Cameroun: Lettre à la diaspora
Ce qui a motivé la lettre, c’est la lecture de tous vos tracts dont le contenu dénonciateur aurait pu enflammer les foules si le ton était plus juste et l’antienne moins ancienne. Si je crois à la fonction tribunitienne de la dénonciation, je suis fermement persuadée qu’il faut rapprocher des faits pour pouvoir gagner des millions de Camerounais à un combat pour que naisse un Kamerun Nouveau.
Or il me semble en vous lisant que ce que vous dites du Cameroun est en décalage avec la réalité que j’observe. Que la manière dont vous caractérisez le régime de Biya me paraît plus mécanique qu’analysé.
Du coup, vos stratégies de combat passent à côté de la plaque révolutionnaire et ne vous permettent pas de gagner l’adhésion des masses. Je sais que vous me rétorquerez que les masses sont abruties, assommées par leur sort, elles coupent sur le temps de la vie, pour ne pas être décalées de leur quotidien. Que la vérité vient essentiellement de vos analyses outre-Atlantique. Puisqu’ici, nous avons tellement le nez collé sur le guidon, que nous avons peine avoir les roues tourner ! Du haut de la Tour Eifel, on peut voir les merveilles du Monde et la Tour de Pise a beau être en déséquilibre permanent, ceux d’entre vous qui rament à Venise, Paris ou Londres ont la prétention et les papiers qu’il faut pour décrire le présent de l’Afrique et prévoir avec une voyance ultra lucide, ce que demain sera pour nous tous.
J’ai envie de vous dire redescendez sur terre. Redescendez vite les marches de la Tour Eiffel, écrasez avec vigueur vos lunettes grossissantes et regardons ensemble ce qui cloche dans votre démarche.
Je crois qu’il vous faut dépoussiérer beaucoup de vos modèles. Plus que jamais vous devez reconsidérer vos paradigmes, vos angles d’attaque. Car ce qui fait aujourd’hui la longévité de Paul Biya ce sont les erreurs tactiques et stratégiques de ses adversaires. Et ces adversaires ont comme point commun de ne pas voir le Cameroun pour ce qu’il est, tel qu’il est avec son potentiel et ses faiblesses. Non, ils le voient tel qu’il est vu à travers les mailles d’une grille néo-tiers-mondistes, qui fit de la critique de l’impérialisme son cheval de bataille, sans savoir si l’impérialisme avait changé de forme et quelles incidences ces changements ont provoqué dans le champ politique.
Tout se passe dans vos récriminations comme si la doctrine révolutionnaire s’était épuisée avec MaoTséToung, Castro et même Engels. Comme si la structure du système économique n’avait pas engendré de nouveaux monstres obligeant les combattants à réviser leur approche et tactique.
A lire derrière vos invectives, vos colères et un peu votre désespoir, je ne peux manquer de me rappeler ces années 70, où encore jeune lycéenne, toute pétrie de mon nouveau savoir marxiste, je donnais des leçons de lutte de classe à mes parents aristo-bourgeois, du haut de mes dix huit ans. J’avais la fougue, l’aveuglément et naturellement la mé-connaissance de la jeunesse. Mais je prenais mon ignorance pour du savoir absolu.
J’avais l’utopie savante et la critique dogmatique, forcément convaincue de détenir la vérité pour sortir l’Afrique des miasmes du sous-développement.
J’avais alors sous-estimé la puissance de la propagande blanche et à quel point celle-ci nous avait soumis à un lavage de cerveaux, y compris, nous qui nous croyions révolutionnaires. Il me faudra rentrer pour comprendre dans quelle torpeur intellectuelle nous avait condamné l’arrogance de nos certitudes et saisir la manière périphérique que nous avions d’aborder la question du changement sur le continent.
A l’époque, je savais qu’il y avait une imposture quelque part, mais je ne savais pas exactement où la situer. L’imposture c’était notre manière décalée et attardée de voir l’Afrique : nous ne la voyions pas comme un continent, un tout complexe, mais comme un état gouverné par des « présidents fantoches et dictateurs, à la solde de l’impérialisme dont la réalité s’arrêtait aux portes de leur palais, aux murs des prisons et aux cris des militants mutilés ».
Nous avions réduit l’Afrique à un seul schéma, sans chercher à comprendre quelles étaient ses dynamiques propres, de manière à travailler sur sa capacité de changer et sur les dynamiques sociales qui la font encore tenir debout. Nous étions de cette cécité que donne l’assurance de ceux et celles qui sont convaincus d’être au centre du savoir.
Mais qu’en était-il de nos faits de luttes ? Quels combats avions nous mené en France à Londres aux Etats-Unis, pour prétendre enseigner aux autres une manière de se battre ?
Mes chers compatriotes et chères compatriotes de la diaspora, je retrouve dans votre hargne, ma rage de jeunesse et dans vos mots ma suprême arrogance. Je ne vous en veux pas. Mais, il faut que nous avancions. Il faut réellement que le pays change. Pour cela nous avons besoin de vous, avec plus d’intelligence que celle que vous manifestez aujourd’hui. Nous avons besoin de vous avec plus d’humilité et un sens aigu de l’analyse.
Nous avons besoin de vous pour un front de lutte mieux articulé sur des programmes fondés sur une appréhension juste de ce que nous sommes aujourd’hui. Et non pas ce que l’on nous a fourgué comme idéologie de contrebande en guise et place de toute stratégie révolutionnaire.
Chers compatriotes et chères compatriotes, depuis combien de temps n’avons nous pas eu de penseurs révolutionnaires ? Depuis que Marx a écrit le Capital combien d’entre vous ont prêté leur connaissance à l’élaboration de nouvelles doctrines ? Combien d’entre vous, ont fouillé les entrailles de l’Afrique, pour en tirer la substantifique moelle ? Peu bien peu. Non, vous vous intéressez aux strass et aux paillettes. Aux palais et non aux paillotes. Aux côtés spectaculaires de la politique. Le visible. Le risible. Le grotesque. Aux lampions qui font briller le déplacement d’un chef d’Etat à Paris. Vous croyez donner de l’importance à un fait qui n’est que l’aboutissement d’un long processus : pourquoi n’avez-vous pas empêché le Premier ministre français à venir préparer la visite de Paul Biya le 21 juillet 2009 ? Pourquoi n’avez pas déclenché une grève de la faim, dès l’instant où vous saviez que les Accords de défense entre le Cameroun et la France avaient été modifiés ? Pourquoi n’avez-vous pas hurlé et réprimandé sèchement Nicolas Sarkozy sur l’Etat de sa politique en Afrique ?
Chers compatriotes et chères compatriotes, manifestez ! Exprimez-vous ! Mais n’oubliez pas de réactualiser vos paradigmes et soyez un peu plus imaginatifs ! Allez piocher dans votre intelligence les réserves de créativité qu’il faut pour changer la donne en Afrique. Fouillez un peu mieux dans vos littératures pour trouver la traçabilité qu’il faut à un projet révolutionnaire.
Maintenant si vous vous ennuyez et si le pays vous manque : sortez de vos HLM ou vos appartements bourgeois. Ne vous
Je sais que vous saurez me lire et je voie déjà vos objections. Mais ça ne fait rien : j’attends : je suis disposée au débat. Votre serviteur E (je tiens à cet E, final). La chroniqueuse