Cameroun, Les promesses de la peur... pour postposer la révolte de la jeunesse ?
Cameroun, Les promesses de la peur... pour postposer la révolte de la jeunesse ?
Au Cameroun, la crainte vient de changer de camp. Et pour comprendre les revirements du chef de l'État qui promet des emplois alors que six semaines plus tôt il annihilait dans son discours de fin d’année les espoirs de créations d’emplois avant les premières retombées de la Stratégie pour la Croissance et l’Emploi, il faut d’abord situer ses annonces dans le contexte mondial qui vient de changer brutalement les préconstruits politiques. C’est qu’entre temps, de nouveaux paramètres sont venus maculer la lecture des évolutions sociopolitiques dans un monde qui était jusqu’alors cyniquement préconstruit sans la prise en compte des aspirations de tant de peuples stupidement classés comme indifférents à l’idéal démocratique.
On a pu notamment voir, non des organisations politiques ou religieuses fortes et structurées peser de leur poids dans des changements d’envergure à l’œuvre dans le monde arabo-musulman, mais bien de simples peuples, sans structure, sans organisation, sans leader, sans idéologie, sans programme, sans armes, défaire les autocraties les plus terrifiantes du monde. Bien que ces peuples ordinaires d’Orient n’en soient qu’au stade de l’expérimentation de nouvelles configurations politiques aux contours flous puisqu’étant en pleine construction notamment dans leurs nouveaux rapports avec l’Occident, les paramètres nouveaux qu’ils ont pu constituer ont une importance capitale dans la survie même des formes de domination autocratique dans le monde. Ces paramètres ont en tout cas entamé grandement l’assurance habituelle du chef de l'État Camerounais dans le contexte particulier de cette année électorale. Cela va se traduire concrètement par l’évolution de ses approches dans son fameux discours à l’occasion de la fête de la jeunesse le 11 février 2011.
Ainsi, si en Tunisie, en Égypte, en Libye, au Bahreïn, au Yémen, en Algérie, etc., les jeunes ont pris d’assaut les rues, dans un formidable désordre revendicatif, à l’appel des twits, des blogs et des réseaux sociaux, où les tyrans ne peuvent sévir efficacement, au Cameroun il faut les empêcher par tous les moyens de descendre dans les rues. Même par la promesse de création d’emplois dans un contexte sans croissance ! On comprend pourquoi ces déclarations courtisanes vont pouvoir se faire, fracassantes et solennelles, comme si le contexte économique avait brusquement évolué dans la bonne direction en si peu de temps. En relever les enjeux permet de comprendre les réelles motivations et les non-dits qui se cachent derrière les promesses qui surabondent dans cette dernière adresse à la jeunesse.
Contextuellement, ses promesses sont faites alors que la fièvre révolutionnaire de la jeunesse inemployée gagne nombre d’autocraties du Proche-Orient et tente l’Afrique subsaharienne. D’ailleurs, il est significatif de relever que ce 11 février-là est le jour de la chute spectaculaire d’Hosni Moubarak, quatre semaines exactement après celle impensable de Ben Ali. Auparavant, entre les 4 et 7 février, des tracs hostiles au régime de Yaoundé avaient été versés dans les rues de Bamenda et Bafoussam et en réponse on avait entendu des bruits de bottes venues surtout du centre militaire de Koutaba dans ces villes devenues fortement militarisées. La tension était palpable dans de nombreuses autres villes camerounaises et des tumultes annoncés dans certaines principales villes frondeuses de régions comme Douala, Bamenda, Bafoussam, Nkongsamba, Buea ou Kumba.
Alors qu’il prenait du bon temps dans sa suite hôtelière en Suisse, d’où il s’apprêtait comme certaines années à lire en différé son discours à la jeunesse camerounaise, Paul Biya avait dû interrompre son séjour pour retourner précipitamment au Cameroun. Il est très probable que les grandes lignes du discours qu’il se proposait de délivrer avaient considérablement dû être revues pour faire la part belle aux fallacieuses promesses de créations de tant d’infrastructures et d’emplois.
Relevons ici qu’avec les révoltes du Proche et du Moyen-Orient, ce sont tous les autocrates du monde qui sont frileux. Après plus de deux mois, par peur, aucun d’entre eux ne s’est exprimé sur ces mouvements populaires de contestations politiques. Ils craignent que la moindre déclaration jaillisse comme une étincelle car ils n’ignorent pas que ces convulsions puissent s’étendre dans leur pays respectif. N’a-t-on pas vu les peuples d’Asie, notamment en Chine, exprimer les mêmes désirs et besoins de liberté ? Plus proche de nous, les mauritaniens sont descendus dans les rues. Au Congo, au Gabon, au Sénégal, au Burkina-Faso, les rumeurs de révolte se sont multipliées. François Zimeray, ambassadeur de France pour les droits de l’homme estime à juste titre que les soulèvements des pays arabes vont faire tache d’huile dans le monde à cause d’ « un effet d’émulation extrêmement fort ». Il ajoute que « les dictateurs du monde entier ont du souci à se faire », qu’ « il n’y a pas de raison que ce mouvement ne s’étende pas à une grande partie de l’Afrique et certains pays de l’Asie. »
Au Cameroun, l’exceptionnelle mobilisation de toutes les différentes forces de défenses, gardes présidentielles, militaires, gendarmes, policiers, antigangs et miliciens armés, dans les villes frondeuses à l’annonce des manifestations prévues le 23 février et la répression qui s’en est suivie prouvent à volonté que la crainte s’est emparée du régime autocratique de Yaoundé. L’on a annoncé ici et là, l’infiltration des représentants du RDPC dans les milieux populaires de transporteurs (notamment des « bend-skinneurs »), de commerçants, dans l’optique d’acheter les potentiels émeutiers. Ainsi aussi, des jeunes, souvent des étudiants des universités de Ngaoundéré, de Yaoundé et d’autres villes, ont été réquisitionnés pour « marcher » et chanter les louanges de Paul Biya, moyennant quelques billets de banque. Cette pratique a déjà été utilisée par le régime Biya pour infiltrer les indignés de la diaspora depuis la naissance du CODE le 10 décembre 2003 à Bruxelles. L’année dernière, une section du RDPC en Allemagne défilait dans les rues de Bruxelles où la contestation au régime Biya prend des formes spectaculaires. Le 23 février dernier à Douala, toute proportion gardée, on se serait cru dans la Libye des sévices des mercenaires, et où l’on constate les affres du pouvoir qui peut rendre fou surtout s’il est pratiqué trop longtemps. Car s’il est vrai que « le pouvoir rend fou, comme disait Claude Roy, le pouvoir absolu rend absolument fou. »
On insistera jamais assez sur le fait que pour
décrisper l’atmosphère sociale, il ne s’agit pas de 25000 emplois à
pourvoir aux jeunes camerounais, ni même de 300.000 comme le promettait
Ben Ali quelque jours avant sa déchéance. La problématique est plus
vaste lorsque l'on fait une juxtaposition avec les plus de 30000 jeunes
qui, chaque année, obtiennent le baccalauréat au Cameroun ; 35000
l'année dernière (2010). Que conclure donc si l'on doit prendre en
compte, et il le faut, des dizaines de milliers d’étudiants qui, chaque
année, sortent de la douzaine d'instituts et centre de recherches (CRHC,
INC, IMPM, Mipromalo, CRESA, CITI, etc.), des deux douzaines d'écoles
supérieures publiques (Polytech, ESSEC, UIT, Beaux-arts, ISSEA, ENSAI,
etc), de la trentaine d'écoles privées du supérieure (ISTA, IAI, ESG,
ISTDI, ISBAC, HEC, DIT, etc.) et des 19 universités publiques et
privées, reconnues ou non (Maroua, Dschang; UCAC, UDE, UDM ; Siantou,
Ndi Samba, université internationale de Bertoua ou celle, technologique
d'Ebolowa, etc), sans compter ceux qui sortiront de la douzaine d'écoles
supérieures actuellement en construction (Zone franche universitaire,
PUM, ESSAC, 2 universités virtuelles, etc.). A côté de ceux-ci, il y a
des centaines de milliers d’élèves qui, chaque année, insistons, pendant
l’adolescence, quittent le circuit scolaire sans diplômes
d’enseignement secondaire ou même primaire.
Quant aux jeunes actuellement sans emploi ou sous employés qui
pourraient avoir besoin de formations qualifiantes, ils se comptent par
millions dans les villes et campagne du Cameroun. Car la moitié de la
population a moins de 24 ans, le faisait remarquer Olivier Behlé,
Président du Groupement Interpatronal du Cameroun (GICAM). Il est
probable que jusqu’à 75% de Camerounais, majoritairement sans emploi ou
exerçant un emploi précaire, ait moins de 40 ans. C’est pour tous ces
gens sans avenir dont on avait presqu’oublié les conditions sociales
précaires d’existence qu’il faut, non pas 25000, mais des millions
d’emplois. Pour la plupart d’entre eux, n’ayant plus rien à perdre sous
le soleil brulant des feux de brousse, il suffit aujourd’hui d’une toute
petite étincelle pour qu’ils embrasent le pays tout entier comme il y a
3 ans, jusqu’à l’obtention de plus de justice sociale, quitte à maculer
les trottoirs du rouge de leur sang jeune, jusqu’à ce que Biya dégage !
Et cela, çà craint !
Car Biya est très conscient qu’une révolte comme celle de février 2008
dans le contexte actuel emporterait son régime groggy avec fracas.
A l’évidence donc, ces promesses d’emplois dans la fonction publique
sont une manœuvre de diversion, une distraction faite aux revendications
sociales qui se sont déjà exprimées avec violence il y a trois ans.
Elles ressemblent davantage à un appât du régime, une pure manipulation
de la jeunesse dans le contexte des révoltes sociales du Maghreb et à la
veille des élections présidentielles au Cameroun.
Or donc, d’assurance en crainte, le 11 février, le chef de l'État Camerounais n’explique plus comme le 31 décembre que sans croissance, il est impossible de créer des emplois, qui d’ailleurs ne peuvent logiquement pas être sa principale préoccupation, mais bien la relance de la croissance, laquelle ne saurait être une stratégie à court terme. Au contraire, en promettant immédiatement la création d’emplois dans le contexte d’un Cameroun sans croissance, Biya semble avoir tout-à-coup découvert une formule économique révolutionnaire qui aurait échappée à Keynes lui-même. C’est bien d’une politique économique incohérente qu’il s’agit, portée par un homme sans courage, qui tremble de peur, un homme incapable de gouverner, et, plus que son défunt prédécesseur, ne peut survivre nulle part ailleurs qu’au pouvoir. C’est pourquoi nous avons des raisons de penser qu’il devra tenir parole cette fois-ci, sur les emplois… Au moins partiellement. Mais comment ?