Cameroun : Le rapport qui tombe mal pour le pouvoir
On
voyait le pouvoir camerounais venir et l’on l’attendait au tournant. Et
il est enfin tombé dans le même travers que bien des régimes africains
très réfractaires à la critique, fût-elle constructive. Surtout quand
celle-ci arrive au moment même où se jouent des enjeux de taille comme
une course au bout de laquelle se trouve la magistrature suprême. Même
si le président camerounais, Paul Biya, ne s’est officiellement porté
candidat à la prochaine élection présidentielle prévue pour le 9 octobre
prochain, l’on n’a pas besoin d’être dans le secret des dieux pour
savoir qu’il n’est pas prêt à céder son fauteuil de sitôt.
C’est donc à dessein que la période préélectorale au cours de laquelle les « lieutenants » du pouvoir de Yaoundé sont en train de baliser le terrain politique en attendant l’ « acceptation »
officielle de leur mentor de se mettre dans les starting-blocks, a été
choisie par ceux-ci pour tomber à bras raccourci sur le rapport de
l’enquête " Cameroun : rapport sur la situation des droits de l’Homme, le recul continue...".
Repris par le site Internet du Nouvel Observateur, ce document de 35
pages traite des questions de violations des droits de l’Homme dans le
contexte de la crise sociale de février 2008, des conditions de
détention dans les prisons du Cameroun, de la torture dans ce pays,
notamment l’action des forces de maintien de l’ordre, et enfin
l’élection présidentielle d’octobre avec un examen critique du cadre
juridique et institutionnel.
De graves atteintes et violations
des libertés individuelles comme l’usage excessif de la force lors des
émeutes de février 2008, des exécutions arbitraires ont été relevées par
le rapport publié le 27 juin 2011 à Paris par l’Observatoire national des droits de l’Homme (ONDH), soutenu par le Comité catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD)-Terre Solidaire. Fruit de 12 mois de travail du comité ad hoc de l’Observatoire constitué par l’Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), la Ligue des droits et libertés (LDL) et le Service national justice et paix
(SNJP), cette publication a également mis à nu les éléments
déclencheurs de la crise sociale de 2008. Elle a ainsi pointé du doigt
la non-satisfaction des revendications, notamment les réformes
politiques et l’amélioration des conditions de vie des populations,
points sur lesquels étaient axées les plateformes.
A la lecture
de ce rapport, c’est vraiment peu de dire que le contenu de ce document
est on ne peut plus accablant pour le régime en place. Car, les
problèmes relevés traduisent à souhait des insuffisances dans les
performances des politiques nationales, surtout en matière de gestion
des remous sociaux. En outre, les maux pour lesquels les manifestants
exigent des soins sont, à n’en pas douter, le corollaire des mauvais
résultats produits par un système devenu obsolète du fait de sa
longévité. Celui-ci est
ainsi frappé d’une cécité acquise après bientôt 30 ans de règne sans
partage, d’impunité et de médiocrité consacrées sur fond de mauvaise
gestion des affaires publiques, soit à travers une mal gouvernance dont
la constante dénonciation n’a jamais été prise au sérieux, soit à
travers une incapacité à initier des projets bien concoctés et savamment
exécutés.
Toute chose dont la révélation par le rapport de l’ONDH ne peut être que dommageable pour le Rassemblement du peuple camerounais
(RDPC), parti au pouvoir, qui se fera sans doute l’obligeance
d’investir incessamment son éternel candidat. Publié dans un contexte
africain largement dominé par des mouvements populaires inspirés et
galvanisés par le succès du printemps arabe, le rapport du PNUD tombe
donc au mauvais moment pour le président Biya. Il ne fallait donc pas se
leurrer à attendre du RDPC qu’il l’entérine, ce qui aurait été du pain
bénit pour les autres candidats en lice pour la prochaine consultation
électorale, qui ne se feraient d’ailleurs pas prier pour en faire leurs
choux gras.
Comprise dans ce sens, la réaction du gouvernement camerounais peut être assimilée à de la légitime défense, et l’on pourrait dire que c’est de bonne guerre. Ne pas y réagir reviendrait à accepter de porter tout seul le chapeau du chaos engendré par la crise, tout en prenant le grand risque de perdre la considération de bon nombre d’électeurs en cette période stratégique. Mais la logique de la lutte politique peut-elle constituer pour autant une raison valable de cacher la réalité au peuple camerounais ? Il ne fait aucun doute que l’intelligentsia, à la solde du pouvoir camerounais, sait bien que l’Observatoire national ne saurait recourir au service de techniciens incompétents ou impartiaux pour faire ses investigations.
Actives sur le terrain, les structures ayant appuyé l’étude connaissent bien les réalités camerounaises que leurs acteurs côtoient et vivent au quotidien. Le document produit est donc techniquement et pratiquement valable. Si fait que la sagesse et une réelle envie de corriger ses erreurs et de mieux prévenir toute grogne sociale auraient pu conduire le gouvernement camerounais à considérer leur rapport apolitique comme un recueil d’observations et de recommandations d’un œil extérieur. Car, ce genre de document est, en réalité, un complément indispensable des rapports nationaux qui ont plutôt une odeur beaucoup plus politique et qui visent à ne présenter que les résultats positifs engrangés par leurs commanditaires.
Comme c’est curieux, le paradoxe existant entre les rapports des gouvernements africains selon les circonstances ! Quand il s’agit de susciter la pitié des bailleurs de fonds pour espérer une quelconque assistance financière, des dirigeants du continent noir se battent pour inscrire leurs pays sur la liste des Pays pauvres très endettés (PPTE). Quand vient, par contre, le moment de rendre compte de leur gestion en vue de mériter le renouvellement en eux de la confiance du peuple, ils arrondissent à l’excès les chiffres pour présenter une situation très reluisante en apparence. Quelle honte !