Cameroun: Le pays aura-t-il son Dadis ?
Cameroun: Le
pays aura-t-il son Dadis ?
Richard Moncrieff, AllAfrica | 28
Jun 2010 International Crisis Group
En Guinée, la période trouble sous la
domination de la junte ne sera bientôt plus qu’un mauvais souvenir – si tout va
bien. Le capitaine Dadis Camara, qui a été acclamé lors de son arrivée à la
tête de l’Etat suite à la mort du président Conté, a fait de 2009 une année que
les Guinéens veulent oublier, son évènement le plus marquant ayant été le
massacre de 160 personnes dans le stade national en septembre 2009. Les
Guinéens, et le reste du monde, espèrent ardemment que cette page de l’histoire
du pays est définitivement tournée. C’est tout autant à un retour à la raison
qu’à la chance que l’on doit cette évolution de la situation. Si Dadis Camara
avait pu se maintenir au pouvoir, les choses auraient pu s’aggraver davantage.
Cette bonne nouvelle pour la Guinée ne
doit pas faire baisser notre vigilance: les conditions qui ont permis à Dadis
Camara de prendre le pouvoir se retrouvent ailleurs sur le continent. La
récente vague de coups d’Etat militaires n’est peut être pas terminée. Le
Cameroun fait partie des pays où bien des éléments permettant une telle éventualité
de prise de pouvoir par la force sont réunis aujourd’hui.
Au Cameroun, on peut identifier trois
problèmes: celui de la gouvernance, celui du respect des lois et celui de
l’armée. Sur le front de la gouvernance, le Cameroun est l’un des Etats les plus
centralisés du monde. Toutes les ressources publiques, que ce soit en termes de
moyens financiers ou d’emplois, proviennent du noyau central du pouvoir, et
pour la plupart du bureau du président Paul Biya. Non seulement le manque de
contrôle qui en résulte encourage la corruption, mais le système fait aussi que
le pouvoir suprême est extrêmement convoité. Les laissés-pour-compte ne peuvent
se nourrir que de miettes. Depuis des années, le Cameroun fonctionne sur cette
base de redistribution des restes. Mais si le président actuel meurt ou se
trouve en incapacité de gouverner, il y aura une lutte acharnée pour s’emparer
de sa place. La nature des enjeux est, donc, un facteur de conflit.
Les autocrates ont tendance à laisser le
chaos derrière eux. Ils laissent ainsi souvent prospérer un flou légal et
constitutionnel. Quand le président Conté est décédé en décembre 2008, le
manque de confiance populaire en la Constitution a fait que son successeur
constitutionnel, le président de l’Assemblée nationale, n’a bénéficié d’aucun
soutien. Il n’a pas pu prendre ses fonctions, l’argument étant que le parlement
aurait dû être renouvelé l’année précédente par des élections.
Au Cameroun, le président de l’Assemblée
nationale est aussi le successeur constitutionnel du président. Sauf si vous
lisez la nouvelle Constitution, adoptée au forceps en 1996. Selon elle, c’est
le président du Sénat qui est le successeur constitutionnel. Or le Sénat
n’existe pas. Tout en attendant que la nouvelle Loi fondamentale soit
promulguée, le pays fonctionne selon une disposition de la Constitution de 1996
stipulant que le précédent texte peut toujours être appliqué. Vous êtes perdus
?
Les Camerounais le sont aussi, ce qui
est clairement l’objectif du président Biya. La démocratie étant dans une
impasse à cause de ses propres manipulations, et les chances pour un changement
politique par les urnes étant très faibles, la question de savoir ce qui se
passerait si le président venait à mourir au pouvoir est d’une importance
capitale pour le pays mais aussi pour la région. Il ne faudrait pas que des
considérations diplomatiques, non partagées par les Camerounais qui sont
conscients du danger de la situation, empêchent les partenaires internationaux
du Cameroun de soulever ce point essentiel.
Le flou constitutionnel qui prévaut peut
évidemment encourager l’armée à intervenir. En Guinée, la hiérarchie militaire
n’avait quasiment plus d’autorité à la mort de Conté, laissant la voie libre
pour un coup d’Etat perpétré par un jeune officier.
Une intervention militaire n’est pas
inéluctable au Cameroun, où les élites pourraient éviter que la situation ne se
délite si elles trouvaient un consensus. Mais le risque existe. Même si elle
est en meilleur état que celle de la Guinée, l’armée du Cameroun a de sérieux
problèmes. En plus de la classique garde présidentielle pléthorique, des unités
spéciales ont été créées pour faire face à des problèmes aux frontières et
combattre le grand banditisme. Elles apparaissent relativement compétentes,
mais leurs relations avec le reste de l’armée, qui ne jouit pas de leur niveau
de formation et de rémunération, sont tendues.
Le respect pour le commandement est
entamé par un problème de génération. Les généraux ne prenant jamais leur
retraite, des officiers plus jeunes voient leur promotion bloquée. Lors du
dernier changement de président au Cameroun, au début des années 1980, il y
avait un seul général et il était très respecté. Il a par conséquent été
capable de maintenir la cohésion de l’armée, malgré au moins une tentative de
coup d’Etat. Aujourd’hui, il y a 21 généraux, dont certains ont plus de 70 ans.
Leur autorité sur les troupes, et leur capacité à s’entendre entre eux,
pourraient bien faire défaut.
Fondamentalement le pays est en proie à
un manque criant d’espérance. Au début des années 1990, les Camerounais ont
investi un espoir considérable dans leur démocratie naissante. Cet espoir a été
presque complètement anéanti par deux décennies de recul démocratique effectué
par le régime. Cette restauration de l’autoritarisme est étroitement associée
dans l’esprit des Camerounais à la persistance de la pauvreté et à
l’augmentation des inégalités. Si une version camerounaise de Dadis Camara
arrivait un jour au pouvoir avec la promesse de balayer la maison, serait-on
surpris s’il bénéficiait d’un soutien populaire ? Le seul moyen pour éviter un
tel scénario est de permettre aux Camerounais d’espérer à nouveau, en
instaurant un climat plus démocratique dans lequel la voix des citoyens sera
entendue et leurs choix seront respectés. Alors que s’approche l’élection
présidentielle prévue l’année prochaine, les défis et les enjeux sont clairs.