CAMEROUN: La machine à broyer du journaliste
YAOUNDE - 02 MARS 2010
© François Lasier | Aurore Plus
© François Lasier | Aurore Plus
Il sonne comme une cloche de répression ces derniers temps à l'égard des acteurs des média.
Après l'enlèvement, l'incarcération et la libération impromptue le 13 janvier dernier de Jean Bosco Talla, directeur du journal Germinal, la traque contre les hommes de média se poursuit. Comme pour mieux intimider.
Bien que leurs « crimes » ne soient pas identiques, il se trouve néanmoins que les journalistes sont appelés à faire face, chacun à sa manière et manifestement à son tour, tout au moins, à la machine de répression du sérail. Des sources en haut lieu laissent savoir que les informations traitées ces derniers mois par les hommes de média constituent de plus en plus une source de déstabilisation du régime et de ses principaux acteurs. Comme pour justifier les poursuites et autres menaces à l'encontre des journalistes et éventuellement leurs informateurs. Jean Bosco Talla a commis le crime de publier des extraits "croustillants" du livre du « petit ami » du Président, Ebale Angounou. Même mort, le livre de l'indic de pacotille continue à hanter le sommeil des pontes de Yaoundé. Or, l'opuscule, écrit au pas de charge et plutôt mal édité, ne décrit que ce que tous les Camerounais savent ou croient savoir sur les pratiques sexuelles d'un autre type à Yaoundé et qui ont donné lieu à un registre langagier inattendu. Ils sont à « voile et à vapeur », ou plus simplement des « viens hier ».
Serge Sabouang et Mintsa, des journalistes qui avaient fini par penser qu'ils jouissaient d'une immunité du « quatrième pouvoir » vont apprendre à la caresse de la matraque et aux délices de la balançoire.
Le 5 février dernier, ils sont proprement enlevés par des loubards en civil qui n'avaient surtout pas l'air de rigoler. On leur fait le procès de s'être mêlés de disserter sur un document réputé faux mais qui circule dans certaines rédactions à Yaoundé et à Douala. Un document plus authentique que vrai portant une fausse signature de Laurent Esso. Tout est grossier dès le départ, parce qu'on retrouve à tous les coins de rue au Cameroun des génies capables de vous imiter la signature la plus compliquée du monde au simple coup d'œil. La suite vire a la cocasserie lorsque les journalistes sont traqués et matraqués pour être rentrés en possession d'un « faux document ».
Deux complications. D'abord, si le document est faux, on ne devrait pas en faire un gros plat. Ensuite, on ne comprend pas que, même lorsque la réputation de SGPR Laurent Esso est en jeu (ce qui peut être délicat), on en soit à torturer des journalistes pour leur arracher le nom du coupable du faux document en circulation. Les documents, les journalistes les reçoivent de mille manières. Y compris de courriels anonymes sur le net ou sous leur porte au réveil le matin, alors qu'ils n'ont rien commandé au facteur du coin. Même lorsqu'ils seraient disposés à « coopérer », ils ne mettront pas un seul nom sur un seul visage.
Il s'agit de la SNH, pas toucher !
Le "faux" document en question concerne la SNH et la Présidence de la république. La loi n'est écrite nulle part, mis il est de la SNH au Cameroun comme est de la CIA aux Etats-Unis. Le citoyen américain a le droit de tout savoir, y compris sûrement le nombre de coups droits que Bill Clinton administre à Monica Lewinsky, mais il lui est strictement interdit de foutre son nez dans les affaires de la CIA. On ne met pas des journalistes en prison aux Etats-Unis, mais ils y passent quand ils osent parler des coups tordus de l'Agence.
Ainsi donc, il est interdit de parler de la SNH au Cameroun. D'avoir voulu jouer les héros, nos journalistes, à ce qu'on nous rapporte, sont restés jusqu'au 12 février dans les locaux de la Direction Générale de la Recherche Extérieure (DGRE). Une petite semaine au froid, diète noire et lavage de cerveau au menu.
Le 24 février, Henriette Ekwe, la tendre DP du journal Bebela qui emploie Simon Nko'o, s'est fendue d'un bon communiqué.
Elle connaît mieux que quiconque les violences des camps de détention de la République, elle ne tient plus en place à l'idée seulement qu'un enfant qui aurait pu être son fils subisse ça. Elle y va de sa plume lance-flammes: « Notre reporter sera détenu au secret dans un isolement total malgré notre visite et nos vives protestations dans cet établissement pour dénoncer la violation flagrante des lois la République en vigueur en matière de garde à vue et d'enquêtes. ".
Et, plus loin, " Les responsables de la DGRE refuseront malgré notre insistance ce 10 février 2010, de nous présenter notre collaborateur en violation des dispositions du nouveau code de procédure pénale en matière de garde à vue ".
Quand on passe à une séance de massage à l'officine de la DGRE, on n'en sort pas indemne. On vous refait le portrait et on vous rectifie la plastique. Histoire de vous faire passer l'envie de recommencer à détenir par devers vous des faux documents qui auraient mieux servi à emballer des beignets. Au bout de sept jours au "sanatorium ", on compte les dégâts. "De graves troubles psychologiques et des signes physiques de traumatisme", selon le rapport du médecin qui heureusement, n'était pas encore légiste.
Henriette Ekwe promet d'engager des poursuites judiciaires contre les bourreaux de son collaborateur. Elle a déjà rameuté tout le monde, Amnesty international, Reporters sans frontières et, ça se trouve, la Cour internationale de justice.
Mais son collaborateur n'est toujours pas au bout de ses soucis. Pas plus que confrères. Serge Sabouang est depuis février à nouveau détenu à la PJ de Yaoundé et Simon Nko'o est activement recherché. Mandat d'amener, mort ou vif ?
Rouleau compresseur et vrac
Au Cameroun, lorsqu’un flic a un mandat contre un citoyen, il tient à l’exécuter. Il a ses frais de mission payés rubis sur ongle, il veut aussi se gagner un petit avancement. Des indiscrétions laissent entendre qu'un plan est mis en place pour faire passer les infortunés journalistes pour des « faussaires ». C'est donc eux qui auraient imité la fausse signature de Laurent Esso ? Imitation pour imitation, on aurait au moins l'intelligence d'imiter la bonne signature et pas la mauvaise.
Entre temps, sous ce rouleau compresseur déchaîné, trois autres journalistes sont en sursis. Aboya Manassé, Gustave Azebaze, Anani Rabier Bindzi et Thierry Ngogang, peuvent perdre le sommeil. Ils sont accusés d'avoir commenté un procès verbal d'audition dans le cadre de l'affaire « Albatros ». Ils auraient, à ce qu'on prétend, été informés et servis par un commerçant au marché central, un certain Félix Tekeu Tefeutse.
Le brave commerçant a le défaut de ses fréquentations. Il reçoit tout le monde: la flicaille qui vient se faire dépanner, les journalistes qui viennent se prendre quelques fringues et des téléphones portables à crédit. Il arrive souvent que des clients laissent chez lui des documents lorsqu’ils sont déjà surchargés de quelques paquets bien emballés. Quelqu'un, un flic de la PJ certainement, aurait traîné le document "dangereux". Et, un journaliste venu opportunément est tombé sur la pépite.
Selon des sources concordantes, le 13 février, jour anniversaire du Président Camerounais, Félix Tekeu est séquestré dans un taxi qui le prend du marché central pour NkomKana, un quartier des hauteurs de Yaoundé.
Il a des soupçons, l'œuvre porte la signature de trois molosses dont le chauffeur de taxi qui, selon toute vraisemblance, seraient des éléments des services des renseignements généraux. Chemin faisant, on parle de tout, des affaires plus ou moins liées à l'opération "Epervier" et notamment de l'affaire "Albatros" et celle surtout de la SNH. Des affaires pour lesquelles des journalistes ont commencé le compte à rebours de leurs jours en liberté du fait de l'exploitation ou de la simple possession d'une lettre dont on attribue la signature au PCA de la SNH par ailleurs SGPR. Suivant cette lettre Laurent Esso (PCA) aurait donné injonction à Adolphe Moudiki (DG) de payer une somme de 2 milliards à quelques individus dont le consultant Dooh Collins au titre des commissions sur achat d'une barge hôtel en haute mer. Dans les milieux des journalistes, il se dit que le PCA de la SNH, du haut de sa position, a lancé des barbouzes aux trousses des journalistes et de leurs informateurs.
Les Camerounais ont tous été à l'école de Jean Fochivé. Les informateurs les plus efficaces sont des tenanciers de bars, des chauffeurs de taxi ou des vendeuses de cigarettes au coin de la rue. Sauf que, pour ce coup, le pauvre commerçant qui a été passé par deux fois à tabac n'a plus ses jambes pour courir, ni sa carte d'identité pour se faire identifier éventuellement. Il accuse un gros bobo au genou, il doit se faire des massages à la traditionnelle. Voilà ce qui en coûte d’être pote avec des flics et des journalistes.
Bien que leurs « crimes » ne soient pas identiques, il se trouve néanmoins que les journalistes sont appelés à faire face, chacun à sa manière et manifestement à son tour, tout au moins, à la machine de répression du sérail. Des sources en haut lieu laissent savoir que les informations traitées ces derniers mois par les hommes de média constituent de plus en plus une source de déstabilisation du régime et de ses principaux acteurs. Comme pour justifier les poursuites et autres menaces à l'encontre des journalistes et éventuellement leurs informateurs. Jean Bosco Talla a commis le crime de publier des extraits "croustillants" du livre du « petit ami » du Président, Ebale Angounou. Même mort, le livre de l'indic de pacotille continue à hanter le sommeil des pontes de Yaoundé. Or, l'opuscule, écrit au pas de charge et plutôt mal édité, ne décrit que ce que tous les Camerounais savent ou croient savoir sur les pratiques sexuelles d'un autre type à Yaoundé et qui ont donné lieu à un registre langagier inattendu. Ils sont à « voile et à vapeur », ou plus simplement des « viens hier ».
Serge Sabouang et Mintsa, des journalistes qui avaient fini par penser qu'ils jouissaient d'une immunité du « quatrième pouvoir » vont apprendre à la caresse de la matraque et aux délices de la balançoire.
Le 5 février dernier, ils sont proprement enlevés par des loubards en civil qui n'avaient surtout pas l'air de rigoler. On leur fait le procès de s'être mêlés de disserter sur un document réputé faux mais qui circule dans certaines rédactions à Yaoundé et à Douala. Un document plus authentique que vrai portant une fausse signature de Laurent Esso. Tout est grossier dès le départ, parce qu'on retrouve à tous les coins de rue au Cameroun des génies capables de vous imiter la signature la plus compliquée du monde au simple coup d'œil. La suite vire a la cocasserie lorsque les journalistes sont traqués et matraqués pour être rentrés en possession d'un « faux document ».
Deux complications. D'abord, si le document est faux, on ne devrait pas en faire un gros plat. Ensuite, on ne comprend pas que, même lorsque la réputation de SGPR Laurent Esso est en jeu (ce qui peut être délicat), on en soit à torturer des journalistes pour leur arracher le nom du coupable du faux document en circulation. Les documents, les journalistes les reçoivent de mille manières. Y compris de courriels anonymes sur le net ou sous leur porte au réveil le matin, alors qu'ils n'ont rien commandé au facteur du coin. Même lorsqu'ils seraient disposés à « coopérer », ils ne mettront pas un seul nom sur un seul visage.
Il s'agit de la SNH, pas toucher !
Le "faux" document en question concerne la SNH et la Présidence de la république. La loi n'est écrite nulle part, mis il est de la SNH au Cameroun comme est de la CIA aux Etats-Unis. Le citoyen américain a le droit de tout savoir, y compris sûrement le nombre de coups droits que Bill Clinton administre à Monica Lewinsky, mais il lui est strictement interdit de foutre son nez dans les affaires de la CIA. On ne met pas des journalistes en prison aux Etats-Unis, mais ils y passent quand ils osent parler des coups tordus de l'Agence.
Ainsi donc, il est interdit de parler de la SNH au Cameroun. D'avoir voulu jouer les héros, nos journalistes, à ce qu'on nous rapporte, sont restés jusqu'au 12 février dans les locaux de la Direction Générale de la Recherche Extérieure (DGRE). Une petite semaine au froid, diète noire et lavage de cerveau au menu.
Le 24 février, Henriette Ekwe, la tendre DP du journal Bebela qui emploie Simon Nko'o, s'est fendue d'un bon communiqué.
Elle connaît mieux que quiconque les violences des camps de détention de la République, elle ne tient plus en place à l'idée seulement qu'un enfant qui aurait pu être son fils subisse ça. Elle y va de sa plume lance-flammes: « Notre reporter sera détenu au secret dans un isolement total malgré notre visite et nos vives protestations dans cet établissement pour dénoncer la violation flagrante des lois la République en vigueur en matière de garde à vue et d'enquêtes. ".
Et, plus loin, " Les responsables de la DGRE refuseront malgré notre insistance ce 10 février 2010, de nous présenter notre collaborateur en violation des dispositions du nouveau code de procédure pénale en matière de garde à vue ".
Quand on passe à une séance de massage à l'officine de la DGRE, on n'en sort pas indemne. On vous refait le portrait et on vous rectifie la plastique. Histoire de vous faire passer l'envie de recommencer à détenir par devers vous des faux documents qui auraient mieux servi à emballer des beignets. Au bout de sept jours au "sanatorium ", on compte les dégâts. "De graves troubles psychologiques et des signes physiques de traumatisme", selon le rapport du médecin qui heureusement, n'était pas encore légiste.
Henriette Ekwe promet d'engager des poursuites judiciaires contre les bourreaux de son collaborateur. Elle a déjà rameuté tout le monde, Amnesty international, Reporters sans frontières et, ça se trouve, la Cour internationale de justice.
Mais son collaborateur n'est toujours pas au bout de ses soucis. Pas plus que confrères. Serge Sabouang est depuis février à nouveau détenu à la PJ de Yaoundé et Simon Nko'o est activement recherché. Mandat d'amener, mort ou vif ?
Rouleau compresseur et vrac
Au Cameroun, lorsqu’un flic a un mandat contre un citoyen, il tient à l’exécuter. Il a ses frais de mission payés rubis sur ongle, il veut aussi se gagner un petit avancement. Des indiscrétions laissent entendre qu'un plan est mis en place pour faire passer les infortunés journalistes pour des « faussaires ». C'est donc eux qui auraient imité la fausse signature de Laurent Esso ? Imitation pour imitation, on aurait au moins l'intelligence d'imiter la bonne signature et pas la mauvaise.
Entre temps, sous ce rouleau compresseur déchaîné, trois autres journalistes sont en sursis. Aboya Manassé, Gustave Azebaze, Anani Rabier Bindzi et Thierry Ngogang, peuvent perdre le sommeil. Ils sont accusés d'avoir commenté un procès verbal d'audition dans le cadre de l'affaire « Albatros ». Ils auraient, à ce qu'on prétend, été informés et servis par un commerçant au marché central, un certain Félix Tekeu Tefeutse.
Le brave commerçant a le défaut de ses fréquentations. Il reçoit tout le monde: la flicaille qui vient se faire dépanner, les journalistes qui viennent se prendre quelques fringues et des téléphones portables à crédit. Il arrive souvent que des clients laissent chez lui des documents lorsqu’ils sont déjà surchargés de quelques paquets bien emballés. Quelqu'un, un flic de la PJ certainement, aurait traîné le document "dangereux". Et, un journaliste venu opportunément est tombé sur la pépite.
Selon des sources concordantes, le 13 février, jour anniversaire du Président Camerounais, Félix Tekeu est séquestré dans un taxi qui le prend du marché central pour NkomKana, un quartier des hauteurs de Yaoundé.
Il a des soupçons, l'œuvre porte la signature de trois molosses dont le chauffeur de taxi qui, selon toute vraisemblance, seraient des éléments des services des renseignements généraux. Chemin faisant, on parle de tout, des affaires plus ou moins liées à l'opération "Epervier" et notamment de l'affaire "Albatros" et celle surtout de la SNH. Des affaires pour lesquelles des journalistes ont commencé le compte à rebours de leurs jours en liberté du fait de l'exploitation ou de la simple possession d'une lettre dont on attribue la signature au PCA de la SNH par ailleurs SGPR. Suivant cette lettre Laurent Esso (PCA) aurait donné injonction à Adolphe Moudiki (DG) de payer une somme de 2 milliards à quelques individus dont le consultant Dooh Collins au titre des commissions sur achat d'une barge hôtel en haute mer. Dans les milieux des journalistes, il se dit que le PCA de la SNH, du haut de sa position, a lancé des barbouzes aux trousses des journalistes et de leurs informateurs.
Les Camerounais ont tous été à l'école de Jean Fochivé. Les informateurs les plus efficaces sont des tenanciers de bars, des chauffeurs de taxi ou des vendeuses de cigarettes au coin de la rue. Sauf que, pour ce coup, le pauvre commerçant qui a été passé par deux fois à tabac n'a plus ses jambes pour courir, ni sa carte d'identité pour se faire identifier éventuellement. Il accuse un gros bobo au genou, il doit se faire des massages à la traditionnelle. Voilà ce qui en coûte d’être pote avec des flics et des journalistes.