Cameroun : La liste dans la pratique politique au Cameroun
Cameroun : La liste dans la pratique politique au Cameroun
Une liste peut être un lieu de réalisation de soi parce que permettant d'accéder à des strates supérieures de la société ; ou au contraire être la manifestation d'un drame annoncé ou d'un drame subi.
Le journal «Dikalo» du 20 août 2010, a titré sur
une escroquerie politique dont était accusé Mme Françoise Foning, de la
part de trois journalistes : Jean Marie Tchatchouang du journal
«l'Anecdote» ; Aristide Nguekam du journal «Pélican» et Emmanuel Towa de
«Hit Radio». Ils dénoncent l'inscription de leurs noms dans une liste
accompagnant la motion de soutien des élites politiques, forces vives et
chefs de communautés de l'Ouest vivant à Douala. Liste publiée dans le
journal «Cameroon Tribune» du 06 août 2010.
Nous sommes là en plein dans un cas pratique de l'utilisation de la
liste pour soutenir l'action politique. Françoise Foning est présidente
de la section Rdpc de Douala 5e et Maire de la même ville. Pour être
totalement en phase avec la saison des motions et ne pas être accusée de
tiédeur politique, elle a invité les élites politiques et les forces
vives de l'Ouest dont il est originaire. Mais elle aussi invité des
journalistes pour donner ensuite l'écho de la manifestation dans leurs
différents médias. Comme d'habitude, une liste a circulé et tout le
monde y a mis le nom, y compris les journalistes. Si l'on en croit
Aristide Nguekam, les journalistes auraient signé en pensant à l'autre
liste, la liste d'émargement qui ouvre droit à rétribution : «Ils
exigent souvent qu'on le fasse (que nous mettions nos noms sur le liste)
mais c'est exclusivement pour compenser nos frais de transport», se
lamente le journaliste.
Il se trouve qu'après le départ des journalistes qui, certainement, ont été plutôt bien traités, les organisateurs ont eu envie d'allonger leur liste, question d'impressionner peut-être au niveau du pouvoir et d'assurer sa fidélité. Ils se sont alors servi les noms de tous les journalistes originaires de l'Ouest ayant pris part à la manifestation, qu'ils aient pris part en tant que participants ou journalistes. C'est ainsi que d'autres journalistes en dehors de trois protestataires ont eu leurs noms dans cette même liste et s'en sont accommodé. Tout est fonction des objectifs qu'on se fixe dans la vie.
Un voyage dans l'historiographie récente des
listes au Cameroun, nous renseigne que le Cameroun a connu au moins
trois listes célèbres qui ont fait des vagues au sein de la société
camerounaise :
La liste des «neuf de Bépanda». Une sombre affaire qui était partie de
la plainte d'une jeune fille accusant certains jeunes du quartier
Bépanda à Douala, d'avoir volé sa bouteille de gaz. D'après la presse de
l'époque, qui a largement publié une liste de neuf personnes, ces
dernières auraient été arrêtées à la suite de l'enquête et aurait tout
simplement disparu. Selon les organisations de défense des droits de
l'Homme, ces personnes auraient sans doute été exécutées par les soins
du commandement opérationnel, une unité d'élite créée par le
gouvernement pour combattre le grand banditisme à Douala et sa région.
Une affaire qui a ensuite pris une dimension internationale et a fini
paradoxalement par faire le bonheur de plus d'une personne.
Il y a eu la, ou plutôt les listes des enseignants d'universités appelant à soutenir le président Paul Biya après sa réélection de 2004. C'est une liste qui a connu des vagues au sens propre du terme. A sa sortie, il y eut un petit nombre d'enseignants qui trouva la force de dénoncer la manœuvre. Pour cela, ils développaient un argumentaire tout à fait respectable, rappelant qu'un enseignant d'université est un intellectuel qui doit se tenir éloigné de la politique surtout partisane. Mais en face, d'autres enseignants pour la plupart des responsables, qui n'avaient pas été associé à la confection de la première liste, faisaient des coudes pour voir leurs noms figurer dans la seconde liste… de rattrapage. Depuis, l'affaire de la liste - qui avait quand même secoué la classe politique à l'époque - s'est tassée. Et ses principaux initiateurs, promus à des postes de responsabilité parfois juteux, cueillent tranquillement les fruits de leur «courage» politique.
Il y a eu en 2006 les listes des présumés
homosexuels qui ont créé de l'émoi dans l'opinion et ont fait les choux
gras de la presse à sensation. Le drame venait de ce que la société
camerounaise tient encore en horreur les pratiques homosexuelles
d'ailleurs réprimées par le code pénal, mais surtout parce que, ce
qu'ils considèrent comme une déviance serait devenu paradoxalement un
des éléments majeurs de la reproduction politique. Et le fait que ces
listes aient été truffées des noms des membres de gouvernement en
fonction venait presque corroborer l'imaginaire construit d'une
connivence dangereuse entre les pratiques homosexuelles et l'ascension
sociale et politique.
En tout cas, ce marqueur sexuel, qui consacrait du même coup la
sexualisation du politique et la politisation du sexe au Cameroun, aura
été pour beaucoup dans la distance qui s'est créée entre les populations
et la classe politique et spécifiquement le pouvoir. Ce que confirme
d'ailleurs Pommerolle lorsqu'elle affirme que les listes ainsi que la
rumeur qui les accompagnait «conférait au personnel politique des
pratiques contraires aux bonnes mœurs sociales, le mettait à distance et
marquait ainsi le refus populaire de côtoyer ce pouvoir».
La démocrature des listes
Mais il y a deux types de listes qui nous
intéresseront particulièrement dans cette réflexion. Ceci, en raison de
l'importance croissante dans la pratique politique au Cameroun. En
effet, sans en donner l'air, la conception d'un certain nombre de listes
est devenue un élément presque structurant du champ politique et social
camerounais. Au point qu'on parlerait facilement de la démocratie des
listes. Il s'agit de la liste des contributions et de la liste
accompagnant la motion de soutien et de déférence au président de la
République ou au président nationale du parti Rdpc.
Nous chercherons à comprendre pourquoi ces deux types de listes
particulières sont devenus des ressorts majeurs qui structurent les
logiques politiques des acteurs et comment ils les intègrent dans leurs
stratégies politiques au quotidien en essayant de les capitaliser au
maximum. Nous verrons enfin quel impact, ces comportements politiques
plutôt originaux, ont dans la marche de la démocratie camerounaise.
La liste des contributions est celle qu'on rédige après une réunion politique et qui récapitule les contributions des membres du parti en vue d'une action future. Ces listes sont tenues aussi par le Trésorier du parti chez qui les âmes généreuses viennent subvenir au besoin financier de la formation politique. Il peut aussi s'agir d'une liste de contributions au niveau communautaire. Ainsi, un chef supérieur - pour des régions où cela signifie encore quelque chose - peut lancer des appels à contribution à l'attention de ses sujets en vue de la construction d'un ouvrage communautaire par exemple.
Dans le landerneau politique camerounais, cette liste est un élément capital pour qui veut entreprendre avec succès une carrière politique. Pour cela, il faut régulièrement y faire figurer son nom et avec des montants d'argent conséquents. Au siège du parti, la prise en compte de ces listes de contribution est souvent déterminante dans le positionnement politique des récipiendaires. C'est l'épaisseur de la contribution qui oblige souvent les hiérarques du parti à s'intéresser à une personne et à l'adouber ensuite. C'est vrai que dans toutes les démocraties, les partis politiques ont des contributeurs parfois occultes. Le problème au Cameroun vient de ce que le lien trop étroit entre la contribution et la volonté du contributeur de rentabiliser personnellement son investissement introduit une sorte de hiatus qui fait de la contribution l'unique à valoir du contributeur.
Bien se comporter dans la liste
Ailleurs, on entre en politique et on réussit en
politique en faisant jouer d'autres arguments que l'argument financier
qui peut parfois n'être qu'un adjuvent. Par exemple en se faisant
remarquer de façon positive par une participation lumineuse aux débats
citoyens. Ce qui contribue à l'animation de l'espace public et peut-être
à la civilisation des mœurs politiques. On peut le faire aussi par une
participation éclatante à un meeting politique comme ce fut le cas de
Barack Obama en juillet 2004 lors de la convention du parti démocrate de
Boston où le jeune afro-américain encore inconnu, avait marqué d'une
pierre, disons noire, sa progression vers la Maison Blanche.
On se souvient aussi du cas de Nicolas Sarkozy lorsque, jeune militant
de l'UDR aux cheveux encore longs, il participa au grand congrès de ce
parti tenu en juin 1975 à Nice. C'est au cours de ce congrès et surtout
grâce à un discours dans lequel il affirma «qu'être jeune gaulliste
c'est être révolutionnaire», qu'il se fit remarquer d'abord par Charles
Pasqua et ensuite par Jacques Chirac. Une fois de plus c'est son
éloquence au cours de ce meeting, comme celle d'Obama à Boston, presque
30 ans après qui a permis de faire son entrée en politique. Aujourd'hui,
ces deux jeunes d'hier sont respectivement président des Etats-Unis et
de la France.
Au Cameroun on entre en politique par la liste et surtout par sa bonne tenue au sein des listes de contribution. C'est dans la liste que tout se joue. Celui qui n'a pas compris cela et tente d'utiliser d'autres moyens pour y accéder l'apprend souvent à ses dépens. C'est parfois un gros piège dans lequel ceux des politiciens qui viennent de la diaspora et qui ont l'habitude des joutes politiques et de la grandiloquence du propos se trouvent souvent pris.
La liste et la corruption
Lorsqu'on scrute leur mécanisme de plus près, on peut constater que les listes de contribution sont aussi pour beaucoup dans la prolifération de la corruption au Cameroun. Une des innovations que le régime du renouveau aura apportées à la pratique politique au Cameroun, est son ouverture aux fonctionnaires, aux hommes d'affaires et à toutes les personnes qui se sentent la capacité d'inscrire un gros montant devant leur nom dans une liste de contribution.
La corruption vient de ce que le fonctionnaire qui veut faire de la politique se retrouve en concurrence dans la liste des contributions avec des hommes d'affaires, généralement des feymen, une espèce d'escrocs des temps modernes. Les feymen ont l'habitude de mettre la barre très haute dans l'échelle des contributions, c'est le seul argument dont ils disposent.
Du coup, la concurrence politique qui devrait avoir lieu dans les échanges au sein de l'espace public, a été ramené au sein des listes où, sans mot dire, on peut tout à fait damer le pion à ses adversaires. Dans ce contexte marqué par la prédominance des gens sans foi ni loi, et où le langage, à la limite de la trivialité vole parfois très bas, on entend souvent dire : « si tu n'as pas ton nom dans la bonne liste, tu es un homme mort ».
Pour faire face à la concurrence, le fonctionnaire, dont les seuls revenus ne lui permettront jamais de renverser la vapeur, se voit obligé de plonger la main dans les caisses de l'Etat. Et puisqu'il le fait pour la bonne cause, celle qui contribue à maintenir le parti au pouvoir en place, dans un premier temps, il n'avait jamais été inquiété. Il s'était même trouvé en train de faire équipe avec le feyman pour se servir les deniers publics. En quelque temps, des fonctionnaires, qui étaient tenus en dehors de la pratique politique sous le régime d'Ahidjo, sont devenus des entrepreneurs politiques parfaitement rationnels. On a ainsi vu des fonctionnaires, gagnant à peine 200 000 F CFA (300 euros), miser jusqu'à deux millions de francs CFA (3000 euros) dans une liste de contribution, question de se faire remarquer au sommet du parti. Sauf que pour le faire, il doit accéder à une autre planète : celle des corrupteurs et des corrompus.
La liste accompagnant la motion de soutien et de déférence au président de la République et au président national du Rdpc est l'une des plus cotée au Cameroun aujourd'hui. Il s'agit pour les populations, de se réunir par affinité tribale, confessionnelle, professionnelle, amicale, confraternelle et autres, pour adresser une motion de soutien au président de la République ou au président national du parti au pouvoir qui sont pour le cas du Cameroun une et même personne. Ces motions viennent souvent lorsque le chef de l'Etat est l'objet des attaques. Elles ont alors d'après leurs initiateurs, pour but de lui marquer leur soutien et lui signifier qu'il n'est pas seul dans l'adversité (…)
Le phénomène des motions de soutien un est élément
si massif au Cameroun aujourd'hui que le pouvoir, pourtant principal
bénéficiaire peine à le canaliser et à lui donner sens pour se campagnes
futures. Sur inspiration du secrétariat général de la Présidence de la
République du Cameroun, la société d'édition et de presse du Cameroun,
SOPECAM, qui édite le quotidien national «Cameroon Tribune», a déjà
édité deux volumes des motions de soutien au chef de l'Etat sous le
titre de «l'appel du peuple ». Mais au rythme où les motions de soutien
pleuvent en cette veille de l'élection présidentielle de 2011, on a
l'impression qu'au sein du pouvoir, on paierait cher pour voir mettre de
l'ordre dans tout çà. Et si le pouvoir a cette attitude là au lieu de
s'en contenter, c'est parce qu'il n'est pas dupe.
Au sein du pouvoir, et d'ailleurs Paul Biya lui-même sait que ceux qui
inondent le quotidien gouvernemental de motion de soutien, soutiennent
plutôt la réalisation d'un pronostic de leur réussite personnelle qu'il
ont fait, des paris qu'ils ont misé sur la réélection de Paul Biya,
laquelle réélection leur permettra de conserver les privilèges ou
d'accéder à la mangeoire. Ils agissent en faisant triompher cette
magnifique formule de Félix Cyriaque Ebole bola : «près de l'Eglise,
loin de Dieu».
Mais ce qui est intéressant, c'est la liste qui accompagne la motion de soutien elle-même et qui est publiée en même temps qu'elle dans le quotidien gouvernemental «Cameroon tribune». Pour ses concepteurs, cette liste doit impressionner par sa longueur et ensuite par la qualité des personnes qui y figurent. Pour des besoins de la conception de la liste, certaines élites, pourtant en guerre ouverte pour le positionnement, arrivent parfois à taire leurs querelles. Dans la liste, il y a d'abord les initiateurs qui sont parfois seuls à connaître des objectifs bien précis qu'ils assignent à la liste. Ce sont des élites agissant en entrepreneurs politiques rationnels qui ont foi de devoir rentabiliser l'investissement politique engagé. Et comme la politique, à la différence des affaires au sens pur du terme, nécessite la participation populaire, ils cooptent, parfois à coups de corruption ou de chantage, d'autres personnes, en général des cadres qui aspirent à des nominations, pour allonger la liste. Et si la chose n'est pas bien conduite, cela peut aboutir à des éclats de voix. Ainsi va la politique au Cameroun.