Cameroun - France : Paul Biya «Je récuse les termes tels que « pré carré » ou « Françafrique » parfois employés pour qualifier nos relations »
Cameroun - France : Paul Biya «Je récuse les termes tels que « pré carré » ou « Françafrique » parfois employés pour qualifier nos relations »
Discours du chef de l’Etat camerounais à l’occasion du déjeuner de travail au Palais de l’Elysée, le 13 juillet 2010.
Monsieur le Président de la République Française,
Messieurs les Chefs d’Etat, Messieurs les Représentants des Chefs
d’Etat,
(Mesdames,) Messieurs,
Je mesure l’honneur qui m’est
fait de prendre la parole, au nom de mes collègues, au cours de ce
déjeuner offert à l’occasion de la célébration à Paris du 50ème
anniversaire de la naissance de nos Etats.
Je voudrais, avant toute chose, vous remercier, Monsieur le Président,
des propos aimables que vous venez de prononcer à notre endroit. Je
voudrais aussi vous remercier chaleureusement de l’heureuse initiative
de la présente rencontre. Elle nous permettra de revisiter, pour mieux
l’assumer, notre histoire commune, de réaffirmer notre volonté de
continuer à construire, plus ensemble que jamais, notre avenir.
Diverses célébrations ont déjà eu lieu dans certains de nos pays.
D’autres suivront dans les prochains mois. Mais que l’ancienne puissance
de tutelle se prête à la commémoration d’un moment historique pour
chacun de nos Etats confère bien évidemment à la symbolique de
l’événement une dimension supplémentaire.
Vous venez de le relever avec sincérité, foi et
conviction. Sur ces différents points, Monsieur le Président, nous
partageons, pour l’essentiel, votre vision.
Pour tout pays, l’accession à la souveraineté a, par définition, un
caractère fondateur. Elle marque la fin et le début d’une époque. Elle
figure et figurera en lettres d’or dans les livres d’Histoire du pays
concerné.
Pour nous, Africains, l’indépendance a, en
outre, revêtu une double signification.
Elle a d’abord été synonyme de liberté, qu’elle ait été conquise,
négociée ou concédée. A cet égard, nos leaders nationalistes, comme ceux
d’Europe centrale au 19ème siècle, étaient les lointains héritiers de
vos grands hommes du siècle des Lumières et des révolutionnaires de
1789.
C’était aussi, pour nos prédécesseurs, nos aînés, accéder aux
responsabilités, être comptables de leurs actes, avoir le droit à
l’erreur, être maîtres de leur destin. Bref, retrouver leur dignité.
Tel est le patrimoine moral commun que nous avons reçu en héritage. Ce
qui n’est pas surprenant puisque nous avons connu la même tutelle,
quelle qu’en soit la forme, colonie, mandat, ou la durée, de deux
siècles à quelques décennies selon les territoires.
Certes, la colonisation ne fut pas un long fleuve tranquille.
Heureusement, grâce au Général de Gaulle et au sens de l’Histoire qui
était le sien, elle a connu une issue honorable. Depuis lors, nous avons
évolué progressivement vers des formes de gouvernement et des modes de
développement adaptés à notre temps.
Bien sûr, nous savions, d’un côté comme de l’autre, que nos rapports
étaient appelés à changer. Jetés dans le « grand bain » de la communauté
internationale, une certaine diversification de nos relations avec
l’extérieur, au mieux de nos intérêts, devenait évidente. Pour ma part,
je n’ai jamais eu le sentiment que la France nous en ait fait grief.
C’est pourquoi je récuse les termes tels que « pré carré » ou «
Françafrique » parfois employés pour qualifier nos relations. Vous venez
vous-même, Monsieur le Président, d’évoquer l’ouverture de la France à
d’autres Etats africains. La participation de nombreux pays non
francophones au dernier sommet Afrique/France, à Nice, en est la
confirmation.
Après 50 années d’indépendance, quel bilan peut-on tirer de ce
long chemin parcouru ensemble ?
Notre présence ici aujourd’hui apporte une première réponse. Mais si
l’on veut aller plus loin, je dirais qu’il en reste surtout une «
aspiration à la Justice », sous toutes ses formes, que nos peuples ont
incontestablement héritée de notre histoire commune. Et qui n’est pas
parfois sans poser de problèmes aux dirigeants que nous sommes !
J’ajouterais à cela le partage d’une belle langue qui demeure un
instrument de communication incomparable et l’accès à une prestigieuse
culture qui s’enrichit en se diversifiant.
Sur ces fondations communes, nous avons, au fil du temps, construit des
rapports modernes et décomplexés. Dans de nombreux domaines, qu’il
s’agisse notamment du réchauffement climatique, de la sécurité
alimentaire, de la régulation de la mondialisation, nos points de vue
sont le plus souvent proches ou identiques.
Je n’aurai garde d’omettre l’aide au développement pour laquelle la
France reste à l’avant-garde des contributeurs. Les différentes annonces
que vous venez de faire, en matière d’aide, sont particulièrement
significatives à cet égard.