Cameroun - France : Bruno Gain, Le diplomate qui dégaine
L’ambassadeur de France au Cameroun frôle la ligne rouge à la faveur du verdict de l’affaire Michel Thierry Atangana.
Bruno Gain a-t-il troqué sa redingote de diplomate pour la toge de juge ?
Vendredi dernier, l’ambassadeur de France au Cameroun, s’est fendu d’un
propos passablement acidulé, au sujet du verdict de l’affaire Titus
Edzoa et Thierry Atangana, tel qu’il n’avait pas habitué l’opinion
camerounaise depuis son entrée en fonction à Yaoundé, en 2009. « J’ai
pris connaissance avec déception du jugement rendu hier 4 octobre par le
tribunal de grande instance du Mfoundi dans l’affaire opposant notre
compatriote Michel Thierry Atangana à l’Etat du Cameroun.
Tout en suivant avec une extrême vigilance la situation de M. Atangana, la France n’a bien entendu nulle intention de s’ingérer dans ce processus judiciaire. Ici, comme ailleurs, elle a pour principe de ne jamais commenter les décisions de justice (…). Qu’il me soit néanmoins permis d’observer que la peine infligée à M. Atangana est particulièrement lourde. Ce dernier a déjà purgé une peine d’emprisonnement considérable. Cela fait plus de 5475 jours -15 années déjà- qu’il est incarcéré. Une durée aussi longue est de nature à briser le plus résistant des hommes », écrit le plénipotentiaire français.
Peu avare en qualificatifs dans sa déclaration, Bruno Gain, qui tient certainement chaque mot sorti de sa plume du Quai d’Orsay, voire de l’Elysée dans cette contre-offensive peu diplomatique, ne pouvait que susciter l’ire du gouvernement camerounais, dont le poil se hérisse ces derniers temps à chaque fois que la souveraineté du Cameroun est égratignée, notamment au sujet de la lutte contre la corruption et de la gestion des projets structurants.
Comme sur d’autres sujets épineux, c’est à Issa
Tchiroma Bakary, le ministre de la Communication qu’a échu le rôle de «
rabattre le caquet » à l’empêcheur de sanctionner en rond. « En
procédant pour une seule sanction à des poursuites globales de quatre
(4) chefs d’inculpation qui auraient pu être séparément instruits et
dont le jugement aurait distinctement abouti à une série de peines
d’emprisonnement plus lourdes, l’on peut confirmer, dans ce cas, l’idée
de la magnanimité de la justice ».
Une riposte camerounaise à la mesure de l’audace française ? L’on ne
semble pas loin de ce schéma caricatural. Cela dit, ainsi que l’a
indiqué Bruno Gain dans sa déclaration de vendredi dernier, la France
continuera d’assurer pleinement la protection consulaire de M. Atangana
(condamné à 20 ans de prison), dans le respect du droit international et
notamment des dispositions pertinentes de la Convention de Vienne sur
les relations consulaires du 24 avril 1963.
Outre le cas, Thierry Atangana, Bruno Gain ne chômera pas au Cameroun durant les prochains mois. Lui qui a vu son mandat prorogé au pays des Lions indomptables, officiellement sur la base d’une démarche élégante de l’Elysée visant à l’accompagner vers sa retraite de diplomate. A 64 ans (il est né le 31 octobre 1948 à Reims), ce diplômé de l’Institut politique de Paris aura minimalement un droit de regard sur la gestion de l’alternance au Cameroun. Même s’il s’est toujours tué à indiquer que la France n’a pas de candidat pour la présidence du Cameroun et que la Françafrique est désormais une vue de l’esprit, Bruno Gain ne restera certainement pas indifférent au « combat », qui ira s’accentuant, pour la mise en place des institutions prévues par la Constitution de 1996, Sénat et Conseil constitutionnel et à celui pour l’application de l’article 66 sur la déclaration des biens et avoirs.
D’aucuns croient d’ailleurs savoir que face au caractère de sphinx du président Biya, François Hollande aurait estimé que Bruno Gain est l’homme de la situation, pour obtenir des reformes du chef de l’Etat camerounais. L’ancien représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe aurait surtout le profil requis pour veiller sur les intérêts économiques de la France au Cameroun, pays qui rafle la meilleure cagnotte au monde en matière de Contrat désendettement-développement (C2d). Face à la « boulimie » chinoise et à un certain sentiment anti-français qui se développe dans les ex colonies africaines de l’Hexagone, l’ancien premier conseiller à l’ambassade de France auprès du Saint-Siège devra, pensent des observateurs, « brûler des cierges » afin d’inverser le cours de l’histoire. Lui, qui avait indiqué, à l’occasion d’une visite d’un officiel français à Yaoundé, que la France est dans un « régime polygamique » avec d’autres puissances au Cameroun, et que son pays reste la plus vieille et la plus fidèle des épouses… Allons savoir si la fidélité est un concept admis en diplomatie.