Cameroun, Exclusif: ENOH MEYOMESSE S’exprime sur son « Coup d’Etat manqué »
Cameroun, Exclusif: ENOH MEYOMESSE S’exprime sur son « Coup d’Etat manqué »
L'historien, écrivain, politicien Enoh Meyomesse revient dans cette contribution sur la grande polémique au sujet d'une rumeur de tentative de coup d'Etat le 17 juillet dernier au Cameroun. Lisez plutôt sa réaction... Depuis plusieurs jours nous sommes au centre d’une grande polémique au sujet d’un coup d’Etat que nous aurions tenté d’organiser le 17 juillet 2010. Dans les lignes qui suivent nous nous prononçons sur cette information accusation, de nombreux amis ayant estimé que « qui ne dit mot consent ». Lundi 12 juillet en milieu d’après-midi, la sonnerie de notre téléphone retentit. Qui est-ce ? Un numéro caché.
Nous pensons aussitôt à un correspondant qui se
trouve à Singapour. C’est lui qui a l’habitude de nous joindre de cette
manière.
- Allo !
- M. Enoh ? (Surprise, ce n’est guère ainsi qu’il nous appelle habituellement).
- Oui, c’est bien moi.
- Je suis un camarade du Lycée Leclerc. Je suis colonel dans l’armée
camerounaise. Je t’appelle pour t’informer de notre choix sur ta
personne.
- A quel sujet ? Et puis, cher camarade, qui es-tu ? En plus, ton numéro est caché.
- Justement, cela n’a pas d’importance, tu peux reconnaître ma voix,
essaie de chercher …et même si tel n’est pas le cas, cela n’a également
aucune importance.
- Pour moi, oui.
- T’inquiète. Je t’appelle pour t’informer de notre décision de
renverser PB dans deux jours, c’est-à-dire le 14 juillet, pendant qu’il
dépense l’argent du Cameroun à Paris.
- Pardon !
- Tu as bien compris. En plein défilé, assis à côté de Sarkozy, vlan ! à terre.
- Euh …Bon, et moi dans tout ça, savez-vous que les téléphones sont écoutés au Cameroun.
- Une fois le connard à terre, on te place au pouvoir, pare ce que la
communauté internationale est devenue très hostile aux militaires au
pouvoir. Tu comprends.
- …
- Ne t’inquiète de rien. Nous avons estimé que tu as les capacités qu’il faut pour redresser ce pays…
- Attends, attends, vous qui ? Vous qui ?
- Un groupe d’officiers supérieurs, en majorité des colonels, c’est tout
ce que l’on pourrait te dire en ce moment. Moi je suis ton camarade au
Lycée, et nous suivons toutes tes interventions télévisées. Tu es très
apprécié par les officiers supérieurs de l’armée, crois-moi. On voit en
toi un patriote. Ne viens-tu pas de publier un livre d’histoire du
Cameroun ? Crois-moi, cela a été très apprécié. Je comprends fort bien
ton embarras, mais, ne t’inquiète de rien. On a tout prévu. On viendra
te chercher une fois que tout sera fini, comme les Ivoiriens sont allés
chercher le Général Gueï. Tout ce que je te demande, c’est ton silence
absolu. (Fin de la conversation)
Nous voilà tout hébété, notre portable en main, à le regarder tel un outil devenu subitement dangereux. Un camarade du Lycée colonel ? Oui, il en existe. Mais, il s’agit duquel ?
Mercredi 14 juillet, nous sommes
aux aguets ; rien ne se passe. Même pendant la réception à l’ambassade
de France à laquelle nous participons, toutes les fois où notre
téléphone sonne, nous sursautons. Jeudi 15 juillet. Rien. Vendredi 16
juillet. Rien. Vers 16 heures, un nouvel appel masqué. Nous pensons
immédiatement à notre mystérieux correspondant. Ce n’est pas lui. C’est
une autre connaissance qui désire prendre rendez-vous avec nous. Nous en
sommes surpris, car elle ne l’avait jamais fait auparavant.
- Nous nous verrons lundi, s’il te plaît, Ok ?
- Ok !
Nous éteignons notre téléphone et le mettons à la charge. Lorsque nous
l’ouvrons vers 19 h 30, nous découvrons un message nous invitant à
rentrer en contact avec notre interlocuteur de l’après-midi. Il y a
urgence. Pourquoi ? Aucune réponse. Nous le joignons.
- Il faut absolument que nous nous voyions en ce moment.
- Pas possible. (Par principe nous n’acceptons jamais les rendez-vous que nous fixent des inconnus). Il insiste.
- Je suis en train de partir en voyage…
- Qu’à cela ne tienne, je viens te trouver à l’agence de voyage où tu te trouves. (J’en suis davantage intrigué).
- Ce n’est pas possible.
- Si, il le faut absolument, c’est même pour ton bien.
Nous fermons notre téléphone.
Lundi ou mardi, promenons notre regard sur les titres des journaux. Nous
y découvrons qu’il y aurait eu une tentative de coup d’Etat. Nous ne
pouvons nous empêcher de penser au fameux appel de lundi. Puis, nous
haussons les épaules. En fin de journée, un parent nous appelle. La
police est à nos trousses. De quoi s’agit-il ? Il y aurait un CD en
circulation. La police a besoin d’une copie de notre émission à STV.
Quoi de plus simple. Nous dépêchons le parent à Douala, avec un mot pour
le présentateur de l’émission. Manque de chance, il revient bredouille.
Néanmoins, il faudrait que nous fournissions à la police notre CV. Quoi
également de plus simple. Le week-end commence sur ce document. A Biyem
Assi, samedi sur le coup de 11 heures, nous hélons un copain qui passe
en voiture. Celui-ci freine des quatre fers.
- Monte ! Parce que tu vas devenir Président de la République tu fermes ton téléphone ?
- Président de la République ?
- Ne fais pas le malin. Tu as enregistré un CD dans lequel tu te proclames Président de la République.
- Sans blague ! Si au moins ça pouvait être vrai…
- Quoi ! Tu veux dire que tu n’es au courant de rien ?
- Au courant de quoi ?
- Pas possible ! Tout Yaoundé sait que tu devais renverser PB le 17 juillet, et toi tu ne le sais pas ?
- Aussi vrai que je m’appelle Enoh.
- Ok.
Il sort son cellulaire, compose un numéro.
- Allo ! J’ai l’oiseau avec moi dans ma voiture, il n’est au courant de
rien. C’est encore une affaire montée de toutes pièces pour extorquer
de l’argent à Paul Biya. Je viens te voir le soir pour qu’on en parle en
profondeur.
Tout au long du week-end, nous nous renseignons
sur cette affaire abracadabrante. Nous découvrons plusieurs choses : 1/-
nous aurions annoncé la dissolution du Rdpc ; ce n’est pas surprenant,
nous l’avions déjà dit au cours de la fameuse émission à STV, comme à
tant d’autres, et nous faisons partie de ceux qui ont divorcé avec Paul
Biya lorsque, au mois de septembre 1983, il s’était accaparé du parti
d’Ahmadou Ahidjo, l’Unc, plutôt que de créer le sien, cette Unc est
devenue Rdpc, donc nous demeurons fidèle à notre critique du départ ;
2/- nous aurions annoncé l’abrogation de la Constitution ; nous n’avons
jamais fait mystère de notre opposition non seulement à celle en
vigueur, mais à toutes celles qui ont régi le Cameroun depuis
l’indépendance, pour la simple raison qu’elles ont toutes été concoctées
contre le peuple, ce sont des vestons taillés autour d’un individu,
nous avons même déjà écrit des livres là-dessus ; 3/- nous aurions
annoncé la dissolution d’Elecam ; combien de Camerounais ne le
désirent-ils pas, au fond d’eux-mêmes, dès lors que cet organisme n’est
rien d’autre qu’une annexe du Rdpc ? Le corps diplomatique accrédité à
Yaoundé ne le souhaite-t-il pas non plus ? Serions-nous le seul à rêver
de son remplacement par un organisme plus neutre ?
Nous avons également appris qu’il y aurait tout un catalogue de
promesses que nous aurions faites aux militaires.Notre conclusion.
Probablement le « camarade du lycée » devenu colonel, et ses collègues
ou copains, nous ne savons quoi dire, sont à l’origine de toute cette
cabale. 1/- Notre voix a été imitée, ainsi que le sont, à tout moment,
celles de plusieurs personnes au Cameroun, et il a été, par la suite,
aisé de reprendre les thèmes que nous développons en toutes
circonstances. 2/- Comment ne pas penser que par ce biais, il existe des
personnes qui ont tenté de faire passer un message ? Après les
mémorandums, voilà probablement une nouvelle forme d’expression des
Camerounais qui est en train de voir le jour. On simule un coup d’Etat,
pour obtenir satisfaction sur un problème, par exemple, faire tomber des
têtes.
Mais, dans le même temps, il peut se trouver que nous soyons totalement hors sujet, que des officiers s’apprêtaient, effectivement, à renverser le régime pendant que Paul Biya était assis à côté de Sarkozy. Comment savoir où se trouve la vérité ?