Cameroun, Epilogue : C’est qui même qui m’a dit d’aller épouser une fille Eton, * ?
Cameroun, Epilogue : C’est qui même qui m’a dit d’aller épouser une fille Eton, * ?
Notre fille n’est pas n’importe quoi ! Nous devons « manger avec notre fille », vocifère le porte-parole de la famille. - Ce que nous sommes en train de t’offrir, c’est la vie, renchérit son cousin. Et la vie, c’est comme un épi de maïs séché. Pour le grignoter, faut pas être édenté. (Traduction en langue honnête, nous devons nous enrichir sur notre enfant.) (Quelques mois à peine plus tard) - Tu es quoi ? Une bête de somme que j’ai achetée ! Est-ce que ton pauvre père est capable de me rembourser tout ce que j’ai versé pour t’avoir? Hein ! Toum ! Tik ! Kpemm ! - Aïe ! Ouille ! Me wú ya ! Il va me tuer ! Au secouuuurs ! crie Ngono Abeng avec son visage boursouflé.
Le dialogue qui précède se passe à deux époques distinctes : avant le mariage et après.
Dans les années 80, un célèbre musicien Congolais chantait : « En amour il n’y a pas de calcul, en amour il n’y a pas de mesure ». Aurait-il épousé une fille de la Lékié que sa mélodie aurait tourné à la complainte.
La traduction littérale du verbe doter en Eton est « mesurer ». La signification de ce verbe est à chercher dans les profondeurs du porte-monnaie du malheureux élu. On étalerait bout à bout les billets d’argent que l’on dépense pour mesurer une Eton que cela ferait une distance considérable en kilomètres à pieds. La dot est pareille à un commerce où les parents « vendent » leur fille, comme si le degré d’amour se mesurait à la quantité de millions que le futur beau-fils « investissait » sur sa future « marchandise ». Vous pourriez vous estimer heureux si votre future est analphabète. Mais si la fille sait lire, compter et écrire ne serait-ce que son nom, votre cas sera hiki kiri kiriiiii !
Epouser une fille Eton est un drame qui se noue à plusieurs étapes, les unes aussi folkloriques et théâtrales que les autres.
1- D’abord le futur beau-fils doit venir se faire connaître chez son futur beau-père: moi, c’est moi. Si vous me voyez ici, je ne suis pas un « bandit », c’est que je cherche quelque chose qui se trouve ici.
Quelques bouteilles de vin font l’affaire. Le père a compris, entendez : vous pouvez venir ici pendant que les rayons du soleil vous illuminent.
2- Une autre fois, le jeune homme vient « frapper à la porte ». 20 litres de vin de palme sur la tête et dans les bras, un peu de victuailles. Il s’agit de venir dire ce qu’on veut exactement, pour laquelle des filles de cette maison on vient. Ceci peut s’apparenter aux fiançailles.
3- La demande officielle de la main de la fille, avec vin de palme et consort à laquelle le beau-père répond toujours par un renvoi, parce que « cette fille que tu vois, c’est vrai que je suis son père, mais elle n’est pas que ma fille à moi seul. Reviens un autre jour et donne-moi le temps de consulter mes frères ». Les biens apportés partent ainsi « njoh »
4- L’officialisation de la demande. Le beau-père prend la parole et présente le futur : j’étais ici devant ma véranda, assis sur mon vieux grabat. Ce jeune homme est venu me tenir un langage que je n’ai pas réussi à décrypter. Aussi vous ai-je appelé pour me le déchiffrer, vous qui êtes mes oreilles. Jeune homme, redis à mes frères pour quoi tu « mangeais ta bouche » ici l’autre jour. En fin de palabre, on s’est compris. Le futur gendre est « sérieux ». Rendez-vous est pris pour un autre jour pour lui dresser « la liste » pour la dot. Evidemment, on ne rassemble pas autant de crânes honorables et on laisse leurs panses vides. Aux frais du quémandeur, pardi ! Ce n’est surtout pas le moment de se montrer pingre.
5- La liste. Cette épouvantable obéit à 3 règles cardinales: elle est essentiellement non exhaustive, parce que chaque jour susceptible d’être complétée sous prétexte que tel oncle ou cousin s’estime oublié ; puis ce qui manque peut être compensé financièrement et enfin, « la dot ne finit jamais ». la voici donc : Un sac de morue ; 5 téléphones portables ; 7 dame-jeanne de 20 litres de vin rouge - à défaut, 20 cartons de « Ndongo Simon »- Don Simon ; construire une cuisine en tôles à la belle-mère ; construire un Aba’a (case des hommes) en dur pour le beau-père ; l’équiper d’un salon en cuir ; 6 ballots de tissu pagne ; une moto pour le beau-frère ; une voiture pour le beau-père ; un costume 3 pièces pour l’oncle ; un appareil de télévision ; un lecteur DVD ; un groupe électrogène ; une chaîne Hi Fi ; une montre à main pour la belle-mère; une grande montre réveil murale pour habiller la salle de séjour ; une tronçonneuse de marque Stihl 070 ; 3 sacs de riz de 50 kg chacun ; 2 sacs de sel ; 5 machettes ; 5 limes ; 2 bouteilles de « owischki » ; 20 l d’Odontol ; 1.000.000 frs « en mains » (appelés fameusement l’enveloppe) ; un bœuf sur pieds ; 5 chèvres bien dodues (entendez par-là celles dont la protubérance du ventre annonce la naissance imminente d’au moins 2 cabris) ; 5 boucs à barbiche (du genre dont le remugle des testicules balayant la poussière embaume l’air 2 heures durant après son passage) ; 2 vrais cochons (c’est à dire lourds d’au moins 120 kg chacun et longs d’au moins 1m50) ; 1 carton d’huile d’arachide ; 6 cartons de maquereaux ; 3 cartons de poisson gros bar ; un lit en fer ; un matelas en mousse; une couverture en laine… À remarquer la grande absence de bière dans cette encyclopédie : qui va te boire ces « pipis de femme blanche » en un jour si solennel ?
6- Puis vient le jour de la dot. En fait, 2-3 jours de dures négociations, épreuve de nerfs. Le jeune homme, en compagnie du chef de sa famille et de quelques cousins et cousines arrive vers 10 h dans la concession de sa future. Personne pour les accueillir pendant près de 2 heures ! Puis arrivent les beaux-parents en rangs dispersés et manifestement de mauvaise humeur. Pas de salut, regard méprisant vers les biens que vous avez exposés devant la cour. On envoie négligemment des enfants vous chercher quelques sièges ou à défaut, des troncs de bois, tiens !
- Liste en main, on compte, décompte et recompte les biens qu’on a sollicités. Qui vous a dit de modifier la liste, nous on avait écrit 8 boucs et vous n’apportez que ces 3 bébés cabris ! Qui vous a dit que nous buvons de l’owischki de Guinée Equatoriale ? On parlait du vrai, du « fort » fabriqué par les Blancs chez les Blancs et vendu par les Blancs pour les estomacs des nobles parents de notre fille ! Quel est ce mépris ? Cette affaire tourne à la comédie. Nous n’avons pas abandonné nos activités agricoles pour venir se faire ridiculiser ici. D’ailleurs, on parlait de Téléviseur en couleur, c’est quoi ce petit poste radio en noir et blanc que même les chinois ne vendraient pas?
- Pendant que la belle-famille menace de se quitter les lieux, que négociations et supplications s’entremêlent, un groupe de jeunes du village viennent à la vue de tout le monde « voler » toute une dame-jeanne de 20 litres de vin rouge et fondent dans la forêt avoisinante. Bien évidemment les beaux-parents n’ont rien vu et viennent constater que vous n’avez pas apporté tout le vin rouge. Amende, négociations, paiement. 30 minutes plus tard, montre en main, ceux des jeunes gens qui avaient fait mine de poursuivre le voleur reviennent avec le présumé coupable, qui porte la dame-jeanne très vide, les poings liés sur le dos, faisant mine de le fouetter avec des brindilles. Voleur et poursuivants sont ostensiblement éméchés. Le voleur aviné crie son innocence à fendre l’âme. Qui a jamais entendu un coupable plaider coupable ? Or, il se trouve qu’il est le petit frère direct de ta femme. La menace de le livrer à la police est imminente, à moins que tu « n’interviennes » avec quelques dizaines de milliers de fafios pour le libérer. Il ne faut pas surtout montrer que tu es sans cœur.
- Maintenant on n’est même pas sûr que la fille t’aime. Elle doit faire le geste. Elle doit venir ramasser une bouteille de « owischki » et la remettre à son père. Dès lors, on peut commencer à parler. Mais pas avant d’avoir complété le nombre de bouteilles de « fort » qu’on t’a demandé. Argent.
- Subitement des clameurs jaillissent de la cuisine de ta belle-mère. La mater est victime d’une hernie étranglée et doit être évacuée dare-dare à l’hôpital. Ne te demande pas par quelle coïncidence toutes les belles-mères attrapent des hernies étranglées au cours de la dot de leurs filles. Nous sommes ici chez les éton, et chez les éton, ce n’est pas comme chez les autres. Trop de sorcellerie ! Déjà on a étendu la quasi mourante dans une vieille couverture qui a essuyé des choses innommables dans sa longue carrière. Les extrémités sont nouées sur un morceau de chevron qui est hissé sur les épaules de deux robustes gaillards. La route est longue, la vieille est lourde, conséquence on se repose. Et par hasard juste au moment où on traversait le hangar où vous êtes assis. Problème : il faut de l’argent. Laisseras-tu ta belle-mère mourir faute de soins ? Ah dis-donc, sors le nkap.
- La belle-mère est sauvée, mais comme elle est convalescente, il faut aller « la saluer » dans la cuisine. Tes belles-mères t’y attendent et « te font ça très dur » là-bas. Moni moni ! ( à suivre)
* Note de l’auteur : Toute ressemblance avec un groupe identitaire est purement farfelue ou tout le moins, relève d’un hasard malheureux que nous regrettons. Dans ce cas, veuillez substituer le groupe nommé au groupe identitaire que vous abhorrez.
© Correspondance : Félix Kama