Cameroun: Enquête sur la suspension de Twitter Mobile
Cameroun: Enquête sur la suspension de Twitter Mobile
Depuis le 07 mars dernier, les utilisateurs au Cameroun de Twitter, qui était mis à disposition par un canal à sms offert par l’opérateur de téléphonie mobile MTN-Cameroun, ne peuvent plus y accéder à partir de leur téléphone portable. La main du CNS est derrière cette tentative de censure.C’est un message de cet opérateur local destiné exclusivement auxdits utilisateurs privilégiés qui leur indique que ce service est, “pour des raisons indépendantes de [notre] volonté” suspendu. Sur les raisons de cette décision aussi surprenante qu’inattendue, aucune explication officielle n’est donnée à la direction de MTN-Cameroun que AGA NEWS a contactée. L’on y tente simplement de relativiser l’effet d’une telle situation sur les résultats de l’entreprise. “C’est un service qui était offert gratuitement à une cinquantaine de personnes abonnées à notre réseau. Sa suspension, quelle que soit la raison, n’a aucun effet sur nos résultats” répond-t-on.
Le bloggueur Dibussi Tande, dont AGA NEWS reprend ci-contre le texte en anglais, fait en effet le lien entre cette suspension et une sortie récente du ministre de la Communication Issa Tchiroma. En effet, rapporte le bloggeur, lors de sa conférence de presse à la veille des manifestations annoncées par des activistes de l’opposition pour le 23 février 2011, Issa Tchiroma, le porte-parole du régime Biya, avait mis en garde contre le recours, aux réseaux sociaux Facebook et Twitter, comme en Tunisie et Egypte, pour mettre à mal la paix au Cameroun. Ce qui a l’heur d’amuser Félix Zogo, Conseiller Technique au Mincom que nous avons joint, en l’absence du Ministre Issa Tchiroma. Il soutient que “ce n’est pas l’objectif du gouvernement de limiter l’accès des Camerounais à ces technologies nouvelles de l’information. Bien au contraire nous travaillons à ce que les Camerounais se les approprient pour être présent dans ces plateformes nouvelles de communications”.
Embarrassé, le gouvernement dément… contradictoirement
Interpellés sur l’implication possible du
gouvernement dans cette la décision de la suspension, d’autant que
diverses sources, reprises par des sites internet camerounais, en font
état, soutenant que certaines autorités camerounaises craindraient le
recours, par des cyber activistes camerounais, à cette technologie de
l’information (IT), pour organiser et mobiliser des Camerounais contre
le régime trentenaire du président Paul Biya, les réponses des
différents interlocuteurs de AGA NEWS sont contradictoires. Félix Zogo -
qui, au moment de notre entretien téléphonique, nous a d’ailleurs
rapporté être en réunion avec son collègue en charge des TIC au Mincom -
a dit sa surprise, aussi bien sur l’information de la suspension
elle-même que sur la responsabilité éventuelle du gouvernement. “A notre
connaissance, aucun membre du gouvernement encore moins l’ART, qui en a
le pouvoir, n’a initié quelque démarche que ce soit dans le sens de
suspendre ou de mettre fin à quelque service que ce soit” confie le haut
responsable à AGA NEWS. Ce que confirme du reste notre source à MTN.
Tandis qu’une source officieuse à l’Agence de régulation des
télécommunications (ART) soutient qu’il s’agit d’une initiative interne
de MTN-Cameroun, qui aurait quelques soucis avec son partenaire Twitter.
Ce que ne confirme pas du reste notre source contactée à MTN qui
déclare ne pas vouloir s’étendre sur ce dossier, manifestement délicat.
Un haut responsable du ministère des Postes et télécommunications, sous
condition absolue d’anonymat, nous a quant à lui confié que cette
décision a été prise ailleurs que dans son ministère. Il nous a suggéré
de regarder vers les services de sécurité, notamment le Conseil National
de Sécurité (CNS) que dirige le ministre chargé des missions à la
Présidence de la République, Paul Atanga Nji. Le secrétaire permanent du
CNS aurait saisi à cet effet MTN, dit-il “pour des raisons de sécurité
d’Etat”.
Et de tenter, bien qu’un peu embarrassé d’expliquer: “Aussi bien la services de renseignements extérieurs que les services de sécurité ont le pouvoir d’intervenir dans ce domaine lorsqu’ils en ont convenance, sans forcément requérir l’avis de la tutelle technique des opérateurs de téléphonie que nous sommes”. Les services de sécurité nationale qui seraient gênés par l’activisme de la diaspora auraient imposé cette décision à MTN.
Ce qui manifestement étonne ceux qui disposent des données techniques sur les communications. En effet, soutient-on au Minpostel, Twitter MTN c’est moins de 1500 tweets par jour alors les SMS c’est plus de 14 millions/jour chez le même opérateur.
C’est dire que si l’on voulait véritablement réduire la capacité des activistes à utiliser les moyens les plus accessibles par les Camerounais, ce n’est pas le service Twitter-téléphone mobile nouvellement mis en activité par MTN qu’on aurait visé.
La main des services de sécurité
AGA NEWS n’a pas pu contacter Paul Atanga Nji, le
ministre Secrétaire permanent du Conseil national de sécurité à qui des
sources finalement concordantes attribuent la paternité de cette
décision finalement controversée. Mais une source proche des services de
sécurité à Yaoundé soutient que “le fait que MTN offre ce service seul,
et en plus gratuitement, intrigue au plus haut point. ” “Ne sont-ils
pas dans une opération planifiée de déstabilisation du Cameroun par des
groupes communicant à partir de ces plateformes qui s’étendent à
l’étranger?” spécule un autre sécurocrate.
Quelles que soit les positions contradictoirement ainsi révélées au sein
du sérail sur cette affaire, il semble qu’un zèle mimétique, nimbé de
frilosité et paranoïa sécuritaires, parcourt certains cercles du pouvoir
camerounais. Et il est à peu près certain, du moins pour les
connaisseurs du secteur des télécommunications en général, et des
nouvelles technologies de l’information en particulier, que ce zèle
serait au moins contre-productif à moyen et long terme. Pourquoi?
Réponse de notre source au Minpostel: “la décision de suspension de MTN
Twitter va faire inutilement la publicité à un service qui était
jusque-là peu connu et peu utilisé par les abonnés camerounais du
téléphone portable”. En effet depuis le lancement en novembre dernier
c’est seulement une cinquantaine d’abonnés qui avaient recours jusqu’à
la suspension .
Mais quelque soit ce que veulent bien dire les sources interrogées aussi
bien à l’ART qu’au Mincom de même qu’à MTN, cette suspension que MTN
tente de relativiser, du moins sur ses implications économiques, est du
plus mauvais effet. Surtout en ce moment précis.
En effet, l’on sait que nombre de gouvernements, en butte à la contestation populaire, ont eu recours à de telles méthodes de censure pour tenter de contrer la révolte populaire. On l’a en effet vu, aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, et actuellement en Lybie, les libres communications aux moyens des TIC sont présentées comme ayant largement accompagné les soulèvements populaires. Nul ne peut nier que le pouvoir camerounais ait pensé à anticiper. Au moins par tradition faite de frilosité et de paranoïa sécuritaires.
A l’ART, mais surtout au Mincom, on indique qu’il
n’existe aucune volonté du gouvernement de même que des services de
sécurité de priver les Camerounais de l’accès à quelque réseau social
qu’il s’agisse de Twitter ou de Facebook. Les responsables contactés par
AGA NEWS en veulent pour preuve que sur leurs ordinateurs, Twitter et
Facebook sont bel et bien accessibles au Cameroun! Lors que AGA NEWS
leur précise qu’il s’agit de Twitter émis à partir des sms sur les
téléphones mobiles, en principe plus facilement accessibles, ils
essaient autant qu’ils peuvent de rejeter la responsabilité de cette
suspension sur MTN. “C’est une affaire entre MTN et son partenaire
américain” insiste notre source à l’ART.
Felix Zogo quant à lui, croit savoir d’ailleurs que “la politique
gouvernementale en ce moment est de faire en sorte que les Camerounais
s’approprient ces réseaux sociaux qui sont autant d’espace de
communication moderne. Notre département travaille en tout cas dans ce
sens”. Donc acte. Même si curieusement le Conseiller technique n’est pas
au courant d’une réunion entre le gouvernement et les opérateurs de
téléphonie mobile sur la question prévue avant hier lundi 07 mars à
Yaoundé. Cette réunion à la quelle le Mincom devait également prendre
part aurait avorté en raison de l’absence du Cameroun ministre en charge
des télécommunications tutelle technique des opérateurs de téléphonie
mobiles convoqués.
Décision inique et potentiellement contre-productive
C’est dire que les questionnements suscités par la décision annoncée laconiquement par MTN -Cameroun à ses clients utilisateurs, ne risque pas de s’estomper aussi rapidement. Ne serait-ce qu’en raison de l’actualité internationale relative au rôle des TI sur les évolutions connues dans certains pays arabo-africains comme le rélève le blogueur Dibussi Tande.
Faut-il le rappeler, c’est lors du Forum des Leaders Africains des Médias (AMLF) tenu au Hilton Hotel de Yaoundé, en mi novembre dernier, en présence du ministre de la Communication du Cameroun, et à l’inititiative de l’ONG internationale African Media Initiative (AMI), dont le patron du groupe de communications Spectrum, Ekoko Mukete, par ailleurs PCA de MTN-Cameroon, est membre influent et point focal pour le Cameroun, que le service Twitter avait été lancé pour la première fois dans notre pays. Les participants avaient ainsi eu la possibilité de l’expérimenter en direct pendant les exposés du Forum, auxquels participait la Directrice pour l’Afrique de Twitter. Ce service était depuis lors reçu quasi gratuitement par ses abonnés. Le rendant au moins d’accès facile pour le plus grand nombre au cas où il serait informé. MTN est, avec près de 5 millions d’abonnés le premier réseau de téléphonie mobile au Cameroun. In fine, ceci n’explique-t-il pas cela?