Cameroun: De la mauvaise information de Paul Biya

Cameroun: De la mauvaise information de Paul Biya

 

Biya En Prison:Camer.beCertaines mauvaises décisions prises par le chef de l'Etat ont parfois pour origine les informations biaisées qu'il reçoit des services spécialisées tels que les Renseignements généraux, la sécurité militaire et d'autres sources classiques et parallèles. La guerre des différents services de renseignements, la corruption rampante, les mauvaises pratiques ont fini par décrédibiliser le système.Il y a une quinzaine d'années, le directeur général adjoint d'une société d'Etat jouant un rôle crucial dans la propagande du régime en place, avait été approché par des éléments des Renseignements généraux avec une information capitale pour lui: il devait passer prochainement directeur général de ladite structure.

Le chef de l’Etat fatigué des agissements au directeur général en poste qui passait à peine une fois par mois dans son bureau voulait le remplacer par son jeune, dynamique et talentueux adjoint, qui en réalité, supportait déjà le poids de l'entreprise sur ses frêles épaules. Afin d'éviter de se tromper sur la personne, le chef de l'Etat avait demandé qu'une enquête de moralité, comme c'est l'usage en pareilles circonstances, soit ouverte sur ledit directeur général adjoint. Les éléments des Renseignements généraux avaient non seulement apporté la précieuse information à cet adjoint, mais lui avaient également prodigué quelques conseils utiles comme par exemple éviter de faire certaines déclarations publiquement, en fait d'être moins bavard. L'enquête ne portait pas sur les nombreuses fréquentations féminines de l’homme qui était et qui est toujours un homme à femmes. Quelques semaines après, le jeune adjoint remplaça effectivement son patron au prestigieux poste. Les notes et les rapports qui avaient été transmis au président Paul Biya lui étaient très favorables. Nous ne savons pas si le nouveau directeur général avait «mouillé» les éléments des Renseignements généraux avant la transmission de leurs notes au chef de l'Etat et après sa nomination.

Des renseignements orientés

Devenu directeur général, ce jeune homme flamboyant qui aspirait à devenir ministre de la République au vu de ses états de service (ça ne compte pas chez Biya quand il veut faire de quelqu'un ministre, il a d'autres critères plus ou moins subjectifs, plus ou moins objectifs) ne l'est jamais devenu, pas par la faute de ses «amis» des Renseignements généraux qui avaient filé des informations négatives sur lui, mais par celle d'un très proche collaborateur du chef de l'Etat qui réussissait toujours a retirer à la dernière minute de la liste des ministres le nom de ce directeur général. Pour l'histoire, cet homme n'est plus directeur général (poste qu'il a perdu il y a dix ans), a été député Rdpc de la région du Centre. Il est aujourd'hui maître de conférences dans une grande école de Yaoundé. Son bourreau qui était originaire de la région du Sud est décédé depuis lors. Il occupait un poste de premier plan à la présidence de la République. Pourquoi ce haut responsable s'acharnait ainsi sur le directeur général, donnant une très mauvaise image de lui au chef de l'Etat afin que ce dernier ne puisse jamais le nommer ministre ? Eh bien selon notre source qui a requis l'anonymat, ce proche collaborateur du chef de l'Etat avait une concubine, une béti, qui travaillait dans la société d'Etat en question et qui parait-il, ne cédait pas aux avances de son directeur général, d'où ses ennuis avec ce dernier. Imaginez donc la suite pour ce directeur général qui n'est jamais devenu ministre sur la base d'informations erronées, pas du tout objectives fournies au président Paul Biya par son proche collaborateur. Pour bien noyer le chien, on avait dit au chef de l'Etat que ce directeur général faisait partie de la mouvance Titus Edzoa après que celui-ci eut été condamné à 15 ans de prison en 1997 pour détournement de deniers publics. Ce qui était une accusation très grave à l'époque pour ce directeur général.

Nous avons pris cet exemple à dessein pour montrer Comment l'orientation de l'information, du renseignement peut transformer en bien ou en mal la vie, le statut d'un individu.

Un maigre résultat pur plusieurs services

Comment est informé le chef de l'Etat ? Dans chaque département du Cameroun, la police et l'armée (militaires et gendarmes) font remonter les renseignements au niveau central à Yaoundé. Après vérifications et recoupements, ces informations ? transmises à ces structures centrales (Délégué général à la Sûreté nationale et ministère de la Défense) qui les transmettent à la présidence de la République, pas directement au chef de l'Etat, mais au secrétaire général qui est la dernière personne à les lire avant de les transmettre au président de la République. Il convient de signaler ici que la base (département) au sommet de l'Etat (présidence de la République) des informations qui ne sont pas jugées délicates disparaissent. En fait, c'est une synthèse que reçoit le chef de l'Etat chaque soir avant de quitter ses bureaux pour ses appartements. Il peut arriver qu'un secrétaire général adjoint de la présidence coordonne le renseignement. Il peut aussi arriver que certaines informations jugées capitales ne fassent tout le long circuit décrit plus haut pour atterrir sur le bureau du chef de l'Etat.

Parallèlement à ces services spécialisés que sont les Renseignements généraux qui sont coiffés dans les arrondissements par les commissaires spéciaux, la direction générale de la recherche extérieure, la sécurité militaire (Sémil), d'autres sources plus ou moins informelles fournissent des renseignements. Parmi ces sources plus ou moins informelles, on retrouve des indics (indicateurs), des civils qui jouent un rôle important dans la collecte de l'information, surtout pour le compte des commissaires spéciaux qui ne peuvent pas couvrir à eux seuls les territoires dont ils ont la charge. Les ministres eux-mêmes restent une bonne source d'informations sur leur région et département d'origine, informés qu'ils sont par des délateurs et autres agents de renseignements de circonstance prêts à dire n'importe quoi pourvu que ça rapporte financièrement et d'autres avantages. Le chef de l'Etat est également informé par ses amis et ses parents, généralement ceux-ci n'hésitent pas à parler en bien on en mal des individus selon qu'ils les défendent ou les combattent.

La guerre des services de renseignement

La question que l’on peut se poser aujourd’hui est de savoir si le président est bien informé. Il ne l’est pas du tout, pour diverses raisons. Il y a la fameuse guerre entre les services de renseignements qui n'est pas l'apanage du seul Cameroun. On a vu ce que cette guerre a provoqué aux Etats-Unis où le président Bush avait été obligé de les regrouper pour amener ces différents services à se concentrer sur leur travail au lieu de passer le temps à se faite la guerre. Une situation similaire existe en France où les Renseignements généraux s'auto glorifient, se disent être la crème en la matière, ce que n'acceptent pas facilement les autres services. Au Cameroun également les Renseignements généraux se croient être supérieurs aux autres services de enseignement, n’hésitant pas comme c’est le cas en France a torpiller ce que font les autres services. Ce faisant, tous les services de renseignements font la course aux résultats pour être bien vus par la hiérarchie, d'abord par chaque ministre ou structure qui abrite un service de renseignements et ensuite par la présidence de la République. Il arrive souvent qu'un service donné fasse parvenir à la présidence des renseignements et qu'un autre service envoie à la même présidence de la République des informations un peu ou totalement différentes sur le même sujet, histoire de montrer que les autres ne valent rien, que ce sont des parfaits incapables. Il arrive même souvent, comme en France ou aux Etats-Unis que ces services passant le temps à se livrer bataille ne voient pas arriver le danger. Que peut donc faire un responsable qui se retrouve avec trois versions différentes sur une même affaire sinon attendre des clarifications et pendant ce temps, le temps passe et quand la décision est prise, il est trop tard.

Il arrive même des cas où la guerre éclate à l'intérieur d'un même service. Ainsi, les responsables locaux ou départementaux des Renseignements généraux ne voient pas d'un bon œil quand ceux des services centraux descendent dans leur territoire de compétence pour y mener des enquêtes. Nous avons vu cela il y a quelques années dans un département de la région du Centre. A l'approche de l'élection présidentielle de 2004, un responsable de Yaoundé avait été envoyé en mission au chef-lieu de ce département pour mener des enquêtes sur certaines personnalités bien en vue. Le Commissaire spécial qui avait ses protégés parmi ces personnalités donnait des bons renseignements sur elles à son collègue venu de Yaoundé. En fait, il ne voulait pas donner tous les renseignements en sa disposition de peur que ce collègue ne fasse un bon rapport de mission à ses chefs hiérarchiques qui pouvaient le qualifier, lui, le commissaire spécial d'incompétent. Malheureusement pour ce dernier, l'homme que Yaoundé avait envoyé en mission était originaire du département, il avait pu ainsi à la langue, aux amis et parents glaner beaucoup d'informations sur ces personnalités. Ceci nous amène aux pratiques de corruption qui ont cours dans les milieux des renseignements généraux.

Les avantages du poste

Dans un autre département du Centre, le Commissaire spécial avait été chargé d'ouvrir une enquête sur une dame, maire d'une localité de ce département. Cette dame qui à un joli minois, qui est d'une beauté à se damner, épouse d'un expatrié avait commis des indélicatesses avec les finances de la mairie. L'enquête n'a jamais abouti, ou du moins la maire avait été blanchie par le commissaire spécial qui était devenu tout bonnement le concubin de cette dame, avec à l'appui une grosse enveloppe de billets craquants. Au double scrutin législatif et municipal de 2007, elle a perdu son poste. Dans le même registre, on voit comment les commissaires spéciaux «arrangent» leurs enquêtes de moralité sur des personnalités du département promis à être nommées à de hautes fonctions moyennant bons de carburant, espèces sonnantes et trébuchantes, etc.

Les fonds font défaut

Pourquoi la rigueur observée dans le passé chez les commissaires spéciaux s'est transformée subitement en une si insoutenable légèreté ? Il y a au moins une explication: la disparition des caisses noires. Sous Ahmadou Ahidjo et au début du régime Biya le renseignement camerounais était bien doté financièrement. Aujourd'hui, les commissaires spéciaux et leurs collaborateurs n'ont plus les moyens de leur politique. Ils se sont souvent obligés de sortir l’argent de leur poche pour désintéresser leurs indicateurs qui couvrent parfois de longues distances, bravent des dangers pour venir leur porter des informations. Cette disparition des caisses noires a fait qu'il y ait un certain relâchement dans leur rendement. Les hommes du renseignement sont maintenant incapables d'acheter une bière ou une carte de crédit de téléphone à leurs informateurs, pire ils se sont transformés en mendiants. Pourtant notre pays a toujours jouit d'une très bonne cote en matière de renseignement par la qualité de ses hommes et l’organisation des services. Mais aujourd'hui, les pratiques malsaines se sont introduites dans la maison et le désordre s'est installé. Les hommes politiques, les hommes d'affaires, l'élite administrative sont entrés dans la bergerie et l'ont transformée en maison de délation. Les conséquences sont très graves puisque le désordre a atteint les plus hauts sommets de l'Etat et induit en erreur à plusieurs reprises le chef de l'Etat en personne.

Dans le cadre de l'opération Epervier par exemple, Paul Biya se rend compte qu'on a lui fourni de fausses informations à travers les notes d'information et autres bulletins de renseignements. En fait, c'est depuis quelque temps qu'il comprend que ce qui se déroule sous ses yeux n'est que règlements de compte entre ses collaborateurs de toutes les régions du pays.

Un grand nombre de personnalités est aujourd'hui en prison alors que quand on regarde de près leurs dossiers, on se rend compte qu'ils ont été montés de toutes pièces dans le but de leur nuire, de les discréditer. Le chef de l'Etat s'est enfin rendu compte qu'il y avait beaucoup de manipulation dans les informations qu’il recevait des services spécialisés Dans des renseignements. Dans leur Positionnement sur le plan politique, certains responsables n'hésitent pas à inventer toutes sortes d'histoires contre leurs rivaux. Ces pratiques ont irrité le chef de l'Etat au point où il se méfie de plus en plus de ces notes et bulletins d'information.

Le rôle néfaste des médias

En dehors des services de renseignement, les médias nationaux sont en partie responsables de ce qui se déroule désormais sous nos yeux. Nous savons très bien que certains de nos confrères ne fonctionnent qu'à coups de subventions privées d'hommes politiques, d'affaires et de l'administration. Manipulés par des commanditaires, ces médias n'hésitent pas à déverser leur venin sur des cibles bien choisies à l'avance. Et ceux qui sont attaqués savent très souvent d'où viennent ces attaques et répliquent avec la même vigueur dans les médias. Quand ils n'attaquent pas leurs rivaux dans ces médias, surtout écrits, ils y font leur autopromotion, autoglorification. La vente au numéro ne rapportant rien et, le manque de publicité aidant, les directeurs de publication (Dp) de certains journaux qui tirent le diable par la queue ne peuvent s'offrir le luxe de refuser cette manne qui ne leur tombe pas du ciel mais des poches de leurs sponsors et bienfaiteurs d'un autre genre.

Le chef de l'Etat peut pourtant compter sur les médias, surtout privés, car ceux officiels agissent comme les services de renseignements, les hommes politiques et ses collaborateurs qui passent leur temps à lui cacher la vérité à lui transmettre des fausses informations qui le perdent, l'embrouillent au lieu de l'éclairer pour l'aider à prendre des bonnes décisions à temps. C’est d’ailleurs parfois à travers ces médias privés que le chef de l'Etat est informé d'une manière objective sur les affaires du pays. Il ne revient pas aux journalistes de faire le travail des agents de renseignement même si les deux corps font le même travail, la recherche de l'information. Si les premiers cités le font pour informer l'opinion, les seconds le font pour d'autres finalités comme par exemple informer les plus hautes autorités politiques du pays, traquer les malfaiteurs et autres bandits, etc.

Le renseignement est un métier noble. Dans les pays occidentaux, n'y entre pas qui veut mais qui peut. En Grande Bretagne par exemple, le Majesty Intelligence 5 (PIS) procède à de rigoureux tests de sélection des diplômés des prestigieuses universités d'Oxford et de Cambridge. D'ailleurs un QI supérieur à la moyenne est exigé des candidats pour faire partie de renseignement.

Le chef de l'Etat plus que par le passé est un homme seul. Il est de plus en plus isolé. Qui parmi ses proches collaborateurs peut se targuer de mériter son entière confiance ? Ils sont peu nombreux. Une faune de requins, de prédateurs, de profiteurs, de délateurs et d'opportunistes de tout poil l'entourent, ont créé autour de lui un cordon sanitaire, pas pour lui rendre sincèrement service ou au pays, pour préserver leurs acquis, renforcer leurs positions mais surtout pour l'étouffer. N'est-il pas temps qu'il se réveille et procède sans délai à la réorganisation de fond en comble des divers services de renseignement et qu'il fasse le ménage autour de lui parmi ses collaborateurs dont certains ont hâte de le voir quitter les affaires ?

© Aurore Plus : MICHEL MICHAUT MOUSSALA



02/04/2010
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