Cameroun, Cinquantenaires, Connaissance de nos héros: Ernest Ouandié

Cameroun, Cinquantenaires, Connaissance de nos héros: Ernest Ouandié

Ernest Ouandie:Camer.beEvocation de la mémoire du vice-président de l'Upc, fusillé le 15 janvier 1971 à Bafoussam .Martyr, il l'aura été jusqu'au bout. Jamais dans l'histoire des exécutions, un homme n'aura été aussi  serein devant la mort. Même les bourreaux chargés de balancer la sale besogne sont étrangement surpris par cette attitude. Eux qui étaient habitués à voir des condamnés pleurant, suppliant à quatre pattes, implorant dans toute la pitié la clémence du roi, lorsque ce n'était pas celle de Dieu le père.En effet, le dernier feuilleton de la vie d'Ernest Ouandié qui se tourne dans les hauts plateaux de l'Ouest, à Bafoussam, était plus qu'un spectacle. Après l'exécution de ses deux compagnons, Tabeu Gabriel alias "Wambo le courant" et Fotsing Raphaël, accusés d'avoir voulu tuer le président Ahidjo dans le cadre du complot dit de la "sainte croix", Ouandié entendant faire ses recommandations avant de tirer sa révérence : celles de ne pas voir bander ses yeux, un véritable défi lancé contre ses bourreaux dans tout son stoïcisme, en regardant bien en face la mort. Serait-il exagéré de présenter ce courage comme un véritable cas d'école ?

Pour Ouandié, le combat ne fait que commencer et ne s'arrêtera plus. Surtout que sa dernière parole, sur un ton prophétique, avant que les balles n'aient raison de lui, scandait ces mots : D'autres poursuivront le combat". L'histoire peut bien lui donner aujourd'hui raison, car presque quarante ans après sa prophétie, le combat pour la liberté et l'indépendance du Cameroun reste entier : une démocratie en marche arrière, une constitution "coupée décalée", un code électoral taillé sur mesure, champion toutes catégories confondues de la corruption et que sais je encore…

Pour avoir eu le mérite de soulever et d'anticiper  ces dangers qui guettaient à court et à long terme le Cameroun, ses camarades et lui ont été victimes de la barbarie coloniale. A 47 ans bien sonnés, l'âge de la maturité, de la grande raison, Ernest Ouandié est froidement exécuté sur la place publique le 15 janvier 1971 après une mascarade de procès tenu à Yaoundé. L'homme était considéré par les pouvoirs de Yaoundé comme étant le dernier poison qui empêchait le Cameroun de retrouver la paix totale. Que reprochait-on vraiment à ce nationaliste affectueusement appelé par ses compagnons Camarade Emile ?

Arrêté le 19 août 1970 à Mbanga ou mieux, s'étant fait arrêté, le Tribunal militaire l'accusait de tentative de révolution, d'organisation de bandes armées, d'assassinat, d'incendies et de destructions volontaires, d'arrestations et séquestrations, de pillages en bandes et de complicité desdits crimes, tout ceci résumé sous le motif générique propre aux républiques bananières d'atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat.

Après un séjour hors du Cameroun à la recherche d'un soutien hypothétique dans les pays comme le Soudan, l'Egypte, le Ghana et même la Guinée Conakry, Ernest Ouandié regagne le Cameroun, sa patrie, non sans jurer, la main sur le cœur, devant la dépouille de son camarade Félix Roland Moumié, de se battre jusqu'au dernier souffle, de ne jamais reculer devant "le gouvernement fasciste et colonial de Yaoundé".

Conscient du lourd travail qui l'attend avec l'Upc et sa branche armée l'Alnk, il réorganise la lutte clandestine, nuance le ton entre fermeté et détermination. Ses critiques envers le gouvernement d'Ahidjo et la France s'accentuent : "contre la dictature du parti unique, fasciste et néocolonialiste ", "l'heure est grave et la patrie est plus que jamais en danger, Kamerunaises, Kamerunais, unissons-nous ! " Il critique également les députés nouvellement élus aux législatives du 26 avril 1964 et estime qu'ils ont triomphé sans gloire. Le 5 mai 1964, dans un tract ouvert aux députés de l'Assemblée nationale fédérale, il propose quelques conditions pour le retour de la paix, parmi lesquelles l'abrogation des lois et des ordonnances d'inspiration fasciste, l'intervention d'une loi portant amnistie totale et inconditionnelle de tous les faits politiques découlant de la lutte de libération nationale et commis avant ou après l'indépendance, le départ des troupes et l'évacuation des bases militaires étrangères du Cameroun, le retrait du pays du marché commun européen et la réduction de moitié des indemnités parlementaires et des traitements des ministres et hauts fonctionnaires. Toutes ces propositions resteront lettre morte.

Le Camarade Emile est lui-même conscient que sa tête est mise à prix par les autorités de Yaoundé. Il accepte d'affronter sans recul ses ennemis politiques, véritable leçon de courage, miroir pour une jeunesse qui le connaît à peine, car il est absent des programmes scolaires comme tous ses camarades.

Ernest Ouandié et ses camarades restent pour le peuple camerounais la boussole, la locomotive, le repère, au même titre que Patrice Lumumba au Congo, De Gaulle en France, ou Mandela en Afrique du Sud.
Au Cameroun, il suffit de faire un tour dans une classe, du Cm1, de 3e ou de terminale et s'amuser à demander aux élèves à qui ils veulent ressembler ou s'identifier. La réponse est identique selon qu'on se trouve au Nord, au Sud, à l'Est ou à l'Ouest : "J'aimerais être feyman !"

En ce jour d'anniversaire, symbole du meurtre de Ouandié, il est impératif de s'arrêter un tant soit peu et penser d'abord au Cameroun en donnant un sens à ce bouc émissaire sacrifié sur le chemin de la liberté.
Que ceux qui se plaisent à falsifier l'histoire de notre pays pour des raisons, comme disait la chanteuse, de ventre et de bas-ventre, se gardent de tout triomphalisme, car un poisson ne pouvant être noyé dans l'eau finit toujours par remonter. Les faits sont têtus, inutiles de leur trancher la tête, ils resurgiront toujours et de la plus belle manière, comme dit Nguefant Ambroise, alias "supportant", ancien condamné à mort, peine commuée à 20 ans de prison, homme de main et cuisinier de Ouandié Ernest dans leur maquis dit "Accra" dans les montagnes de Batcha.

Par Francis Kuikoua,Enseignant d'histoire et géographie

Fochive:Camer.beOuandié interrogé par Fochivé
   
Le directeur du Sedoc a dirigé en 1970 l'interrogatoire du commandant de l'Alnk et d'autres accusés traduits devant le Tribunal militaire.

La sécurité : M. Ouandié Ernest, dans vos déclarations, vous avez abondamment mis en cause Mgr Ndongmo. Vous avez donné des détails sur les contacts que vous n'avez cessé d'avoir depuis que vous êtes revenu sous maquis. Vous avez dit tout l'appui, le concours, l'organisation matérielle et morale à laquelle il participait depuis que vous êtes sous maquis.

Ouandié : Voila. Parler de soutien et d'appui depuis que je suis au maquis, de la part de Mgr Ndongmo, ce serait vraiment l'accabler. J'ai dit lorsque je suis entré dans vos locaux que j'ai eu des contacts d'abord avec l'abbé Ndongmo en 1962, par la suite avec M. Ndongmo déjà devenu évêque, deux fois en 1966, et deux fois en 1970.
(...) il est vrai que cette année je ne me suis déplacé de mon PC que sur invitation expresse de Mgr Ndongmo qui disait avoir urgemment besoin de moi. Lorsque nous nous sommes rencontrés, il m'a fait état de la possibilité de m'aider à rencontrer mes copains à l'extérieur.

La sécurité : vous avez dit également que Mgr Ndongmo gérait une partie des fonds et tout récemment, nous savons qu'il vous a fait porter 100 000 francs. Il a dit lui-même que ces 100 000 francs provenaient d'un montant de 700 000 francs qu'un certain Fotsing Raphaël avait été chercher à Kumba et nous savons aussi (et vous l'avez reconnu) que cet argent provenait de l'assassinat des Grecs dans le Moungo en 1965. Voulez-vous confirmer ce point ?

Ouandié : Pardon ? Veuillez répéter, je ne comprends pas

La sécurité : Je répète M. Ouandié vous avez dit que Mgr Ndongmo gérait une partie des fonds et tout récemment, nous savons qu'il vous a fait porter 100 000 francs. Il a dit lui-même que ces 100 000 francs provenaient d'un montant de 700 000 francs qu'un certain Fotsing Raphaël avait été chercher à Kumba et nous savons aussi (et vous l'avez reconnu) que cet argent provenait de l'assassinat des Grecs dans le Moungo en 1965. Voulez-vous préciser le point de la gestion ?

Ouandié : Il est exact que les 100 000 francs qu'il m'a fait parvenir tout dernièrement provenaient justement de ces 700 000 francs. C'est vrai que nous avons déposé chez lui une somme de 700 000 francs pour faciliter simplement nos commissions

La sécurité : voulez-vous préciser, comme vous l'avez dit, que vous en tant que commandant en chef de l'Alnk, que cet argent provenait de l'attaque sur des planteurs européens dans le Moungo ?

Ouandié : Enfin, je sais que cet argent m'avait été envoyé par des officiers de notre armée.

La sécurité : C'est-à-dire par ceux que nous appelons les rebelles, les criminels, qui sont sous maquis vos types, hein ?

Ouandié : Vous n'allez pas me prêter votre langage !

La sécurité : (…) Voulez-vous nous dire si vous étiez au courant de ce complot  de 1968 ?

Ouandié : A aucun moment je n'ai été mêlé, de près ou de loin, à cette histoire de complot que d'ailleurs je suis venu prendre connaissance rien que dans vos locaux.

La sécurité : Lors de votre capture par nos militants dans le Moungo, vous avez été trouvé porteurs de papiers, entre autres un mandat du 28 mai 1968, par lequel vous déléguiez Mgr Ndongmo auprès du gouvernement algérien, plus précisément auprès du président Boumedienne pour demander l'aide matérielle et un soutien au profit de la rébellion que vous dirigez. Voulez-vous préciser dans quelles circonstances vous avez établi ce mandat ?

Ouandié : Depuis que je suis dans vos locaux, j'ai toujours soutenu que ce mandat était faux, que je n'avais jamais délégué Mgr Ndongmo où que ce soit.

La sécurité : Mais qui vous a remis ce mandat ? Pourquoi le gardiez-vous sur vous ?

Ouandié : C'est lui qui me l'a remis !

La sécurité : Qu'est-ce qu'il vous a dit quand il vous remettait ce mandat ?

Ouandié : Il m'a remis le mandat avec d'autres lettres et quand j'ai constaté la fausseté de ce document, je l'ai justement gardé sur moi pour en faire état si je parvenais à toucher mes amis, parce que, vous voyez, le document est daté du Moungo.

La sécurité : Sous maquis bien sûr, je le vois, je vois bien le mandat. Il vous a dit qu'il a fait usage de ce mandat ?

Ouandié : Oui !

La sécurité : Qu'il était en Algérie et qu'il avait été reçu par le gouvernement algérien ?

Ouandié : Oui !

La sécurité : Est-ce qu'il vous a remis un jour les résultats de cette démarche ?

Ouandié : Rien !

Source : Paul Valentin Emog, Le porteur de cornes, écrit par Jules Romuald Nkonlak, Le Jour

Sokoudjou Jean Rameau:Camer.beVotre avis : Jean Rameau Sokoudjou, chef supérieur Bamendjou       
   
"Je garde la photo de l'exécution dans mon musée"
"J'ai été témoin de l'exécution d'Ernest Ouandié le 15 janvier 1971 à Bafoussam. Ça s'est passé devant nous. Ernest Ouandié a été exécuté devant l'ancienne PJ (police judiciaire).

L'exécution a eu lieu aux environ de 11h. L'ambiance n'était pas gaie. Les gens étaient tristes. Il y avait, parmi les personnes qu'on a exécutées, un jeune, un certain Fotsing, je crois, dont la mort a vraiment froissé l'assistance. C'était un des camarades de lutte de Ouandié.

Avant l'exécution, Ernest Ouandié a indiqué qu'il ne souhaitait pas qu'on exécute des innocents, car il considérait ces camarades qui l'accompagnaient et qui étaient condamnés avec lui comme des innocents. Et c'était vrai ! Ouandié était un vrai nationaliste et il considérait qu'être exécuté pour une cause nationale était un honneur. Il était très souriant et il n'a pas souhaité qu'on lui bande les yeux. Avant qu'il ne soit attaché au poteau d'exécution, il a entonné une chanson, toujours avec le sourire. Tout cela se passait devant moi. Jusqu'à présent, je garde d'ailleurs la photo de l'exécution de Ernest Ouandié dans mon musée".

Écrit par Jules Romuald Nkonlak , Le Jour

Lire le dossier sur UM NYOBE sur ce lien

Un autre dossier sur Félix Roland Moumié sur ce lien

© Camer.be : Synthèses des revues et journaux



24/05/2010
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres