Cameroun: « Ce que le président veut, ...»
Cameroun: « Ce que le président veut, ...»
Kevin Joseph Walls a sa petite idée du Cameroun, pour y avoir travaillé avec les plus hautes autorités. En 2003, l’Anglais est sollicité par le gouvernement à travers le ministre des transports d’alors, John Bengheni Ndeh.
Le 31 janvier 2003, la société qu’il dirige, Aircratft Portfolio Management (Apm), reçoit mandat d’auditer les contrats de location des avions de ligne de la défunte Cameroon Airlines (Camair). Apm entreprend alors l’audit de la flotte aérienne de la Camair. C’est ainsi que Kevin Walls découvre des baux conclus entre la Camair et Gia (loueur d’avions). Il remarque surtout un dépôt de 29 à 31 millions de dollars Us dans le compte Gia en vue de l’acquisition d’un avion pour le chef de l’Etat Paul Biya.
Fort de son expérience (22 ans dans le domaine de l’aviation), marquée par des opérations de location d’avions et la gestion des compagnies aériennes dans le monde, Kevin Walls qui a étudié et obtenu un Mba à l’école d’aviation de la Embry Riddle Aeronautical University en Floride aux Etats-Unis, émet des réserves concernant la viabilité financière de Gia, dont il n’avait jamais entendu parler. D’où la correspondance adressée au secrétaire général de la présidence de la République Jean Marie Atangana Mebara le 6 mai 2003, afin de protéger et de recouvrer les fonds que Gia avait perçus. Les 31 millions de dollars n’ont jamais été récupéré. Kevin Walls est par la suite accusé de complicité de détournement de fonds. Il lui est reproché d’avoir perçu 270 millions Fcfa. Son adjoint, Hubert Otele Essomba, représentant d’Apm au Cameroun, a été arrêté et se trouve actuellement en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé. Kevin Walls est, quant à lui, recherché par Interpol.
Le 19 juillet dernier, le Jour a publié sa déclaration sous serment faite chez un notaire à Londres le 27 avril 2011, et dans laquelle il accuse Yves Michel Fotso et Marafa Hamidou Yaya. Il y dédouane par ailleurs Jean Marie Atangana Mebara. Le 22 août dernier il a accordé une interview à Ajong Mbapndah, notre confrère de Panafrican Visons (Pav).
Cinq jours avant la prochaine audience du procès Atangana Mebara,
prévue le 31 août au Tribunal de grande instance du Mfoundi, le Jour
vous propose quelques extraits de cet entretien.
Pav :
Votre entreprise a fait des affaires dans d’autres parties de l’Afrique.
Y a-t-il quelque chose de particulier qui vous a frappé dans votre
collaboration avec les autorités camerounaises ?
L'un
des grands problèmes au Cameroun est que toutes les grandes décisions
financières sont prises par une personne (le Président Biya). Il les
prend seul et tout le monde obéit. Par exemple, si le Président veut un
nouvel avion Vip configuré pour son usage exclusif, les gens autour de
lui ne lui demandent pas s’il s'agit d'une bonne utilisation des fonds
publics. Au lieu de cela, ils courent et amènent un avion!
Personne
(s’il veut garder son emploi) n’a certainement le courage de lui
demander si l'acquisition d'un avion de 75 millions de dollars est une
utilisation efficace des fonds publics, quand on sait combien d’écoles
et d’hôpitaux qui pourraient être construits avec 75 millions de
dollars. J'ai entendu récemment qu'il continue d'essayer d'acheter un
avion présidentiel. Il est intéressant de noter que même le président de
la France ou encore le premier ministre de Grande Bretagne ne possède
pas un avion à usage personnel.
Ce qui me préoccupe, c'est le manque de responsabilité sur les
décisions du gouvernement. Par exemple, comment un président peut
ordonner à son ministre des finances de dire à la Société nationale des
hydrocarbures(SNH) de payer 31 millions de dollars à une petite
entreprise comme Gia sans jamais voir un contrat ? La réalité est que la
corruption au Cameroun est systémique, du garçon de thé au plus haut
niveau, et c'est la triste réalité. Il n'y a aucune transparence ou
responsabilité pour les décisions de l'exécutif. Ce que le Président
veut, il l’obtient ! Il n'y a pas de mécanisme en place pour prévenir
les abus de pouvoir au Cameroun. Malheureusement, je n’ai pas
l’impression que cela va s’arranger d’ici peu.
Pav :
Quelles leçons tirez-vous de cette saga et quels conseils donneriez-vous
aux gens qui aspirent à faire des affaires au Cameroun ?
Faire
des affaires au Cameroun n'est pas facile, à tout le moins. Certains
changements fondamentaux doivent être faits, et l'un d'entre eux est la
séparation claire de la magistrature de l'ingérence politique. Il n'y a,
évidemment, aucune indépendance de la magistrature au Cameroun. Sans un
système indépendant et juridique propre, il n'y a aucun espoir pour le
peuple du Cameroun. Lorsque vous vous rendez compte que vous n'avez pas
la normalisation dans un procès équitable, vous perdez espoir. La
corruption est si étendue au Cameroun parce qu'il n'y a aucun système
juridique qui permette de mener efficacement la lutte contre ce fléau.
Deuxièmement,
le Cameroun n'est pas un pays démocratique. Il faut se demander quel
sera l'héritage du président Biya? Qu’a-t-il montré pendant trente ans
au pouvoir ? Le pays est-il aujourd'hui dans un état pire qu’avant qu’il
devienne président ? Un pays où les droits de l’homme ne sont pas
respectés. Il serait donc très difficile de porter mon choix sur le
Cameroun, comme opportunité d’investissement. Permettez-moi de répéter
que ce procès-spectacle (l’affaire Albatros, ndlr) a un effet
dévastateur sur l'image du Cameroun au sein de la communauté
internationale, et ceci n’est pas de nature à encourager les
investisseurs étrangers. Certains m’ont d’ailleurs fait savoir qu’ils
n’investiront jamais au Cameroun à cause de cela.