Cameroun, Biya/Fru Ndi : une rencontre entre deux has been peut-elle faire renaître un Cameroun prospère ?

Cameroun, Biya/Fru Ndi : une rencontre entre deux has been peut-elle faire renaître un Cameroun prospère ?

Biya Fru Ndi:Camer.bePendant qu’éberlués, les Camerounais en particulier, et les Africains en général, suivent en Côte-d’Ivoire un épisode supplémentaire de la tragédie nègre, Paul Biya et John Fru Ndi, deux figures de proue de la vie politique camerounaise, semblent vivre une idylle amoureuse. Leur rencontre, anodine et sans objet en elle-même en ce sens que ce sont deux espoirs évanouis de la scène politique camerounaise, invite cependant à une réflexion, tant il est vrai que le pays attend une nouvelle dynamique de l’élection présidentielle de 2011 où l’un et l’autre sont candidat. En fait, si ce qu’on appela jadis le miracle ivoirien se conjugue actuellement en mirage là où l’espoir camerounais n’est plus qu’un lointain souvenir, c’est fondamentalement à cause des hommes à la tête de ces Etats.

La rencontre Biya/Fru Ndi remémore aussi aux Camerounais le triste sort que les instances juridiques locales réservèrent au vote populaire ayant choisi l’opposition en 1992 lorsque celui qu’on appelait le « chairman » avec entrain représentait encore une alternative crédible. En conséquence, la question de savoir si des has been qui se rencontrent peuvent produire une source de Renaissance pour le Cameroun, a le mérite d’être posée. Il ne s’agit point ici d’un quelconque avenir que pourraient incarner Paul Biya et John Fru Ndi, tous les deux passés maîtres dans la dictature comme forme prisée d’exercice du pouvoir. L’un à la tête de l’Etat et l’autre aux commandes du Social Democratic Front (SDF). Il s’agit plutôt de percer et de saisir le message qui semble surgir de cette rencontre au sommet entre l’initiateur d’un Renouveau National à l’évocation désormais anecdotique, et le promoteur d’un Power to the people devenu réellement un power for me alone au sein du SDF. La gestion d’un parti politique augure très bien de celle qu’on appliquerait à la tête d’un Etat. Le RDPC où prévaut un vide juridique quand à la succession du président actuel et le SDF rappellent un Cameroun du statu quo où les figures « Biya après Biya » puis « Fru Ndi après Fru Ndi » constituent l’essentiel de ce que les jeunes générations connaissent comme mécanismes d’alternance à la tête de l’Etat et des partis politiques.

A y regarder de près, Paul Biya est juste en train de tisser la toile de l’assise de sa campagne électorale, dont l’objectif inaliénable est de garder le pouvoir jusqu’à ce que mort s’en suive. Cette rencontre avec Fru Ndi n’est qu’une pièce supplémentaire du cycle politico-économique que le président camerounais construit depuis 2010. Les promesses aux diasporas camerounaises, les festivités grandioses du cinquantenaire de l’indépendance, la résurrection du comice agro pastoral d’Ebolowa, l’ouverture du palais d’Etoudi aux populations par la première dame, les arrestations de l’opération épervier ainsi que le clin d’œil stratégique fait aux jeunes camerounais leur demandant de s’apprêter à prendre la relève, sont quelques unes de ces masures de séduction. Elles iront crescendo plus s’approchera la date des présidentielles que le Président est par ailleurs le seul à connaître. En conséquence, faire un discours en anglais à Bamenda, rencontrer John Fru Ndi, la veuve Fontcha ainsi que l’ancien premier ministre Simon Achidi Achu, ne sont que des pions parmi d’autres du puzzle électoral déjà engagé pour la conservation du pouvoir. 

Et pourtant, si en 1982, Paul Biya incarnait l’espoir et l’avenir pour les Camerounais encore enthousiastes et obnubilés face aux promesses mielleuses et mirobolantes du Renouveau National, en 2011 le Président camerounais n’incarne plus qu’une Afrique fourvoyée par ses élites. Il n’est plus que la pièce à conviction vivante d’un Cameroun où les faits dont traite de l’opération épervier sont les résultats de plus d’un quart de siècle d’exercice sans partage du pouvoir politique par le RDPC. Du côté du SDF, Power to the people a vu le parti privatisé par Fru Ndi et s’est transformé en slogan vide de sens lorsque des députés du même parti ont soutenu, moyennant des avantages divers, la révision constitutionnelle qui fait du triangle national une chose personnelle de l’homme du 6 novembre 1982. De même, l’union introuvable de l’opposition camerounaise autour d’un candidat unique, rappelle à plusieurs Camerounais que le SDF et son leader furent les meilleurs alliés du boulevard laissé au Renouveau National à chaque présidentielle. Ceci étant, le  destin politique de la rencontre Biya/Fru Ndi ne peut en aucun cas être florissant. Pour les Camerounais, cette rencontre rappelle l’image de deux mort-nés politiques que sont à la fois le Renouveau National et le SDF comme forces transformatrices en bien du Cameroun postcolonial. Ce cirque au sommet de l’échiquier politique camerounais ne peut incarner l’explosion en flamme ardente d’une étincelle de prospérité qui couvait encore sous les cendres du Cameroun. Les deux acteurs et leurs trajectoires dégoulinent tellement de faillites politiques que c’est moins un espoir, que de longues années d’errance qu’ils rappellent aux Camerounais.

Ces dernières années, le Cameroun a vécu un lien objectif entre un régime incompétent et une opposition creuse et liquide dans ses élites les plus représentatives. La souffrance sociale qui en résulte s’est diffusée de façon exponentielle au cœur d’une société camerounaise où Renouveau National, Paul Biya, SDF et John Fru Ndi sont, tant deux faces d’un même système politique, que synonymes des facteurs propagateurs des troubles, vulnérabilités et fragilités vécues depuis plus d’un quart de siècle. Nul ne peut attendre de cette rencontre l’exaltation de la justice, du travail et du progrès social. Les Camerounais y perçoivent plutôt le balisage d’un terrain politique dans lequel s’éprouvent, depuis 1982, une mauvaise volonté et des difficultés manifestes d’une écoute attentive des souffrances sociales par invention des démarches collectives et inédites de leur résolution. C’est donc une montagne qui ne peut qu’accoucher d’une souris politique pour l’avenir du pays. Ce qui n’est pas surprenant car, alors qu’Issa Tchiroma Bakary est déjà une tête de pont essentielle pour retisser l’axe Nord-Sud du pouvoir en 2011, la rencontre avec Fru Ndi et le discours en anglais de Bamenda, sont une façon de raffermir l’axe anglophone du pouvoir en place. Les aspirations de vie bonne du peuple camerounais n’ont donc qu’une place d’appendice dans cette gesticulation politicienne où seule la prolongation de son séjour à Étoudi est la motivation ultime d’un homme.

Le Cameroun entre ainsi en 2011 avec le même axe Nord/Sud/Anglophones du pouvoir qui tente de se retisser dans le dos des populations avec pour objectif promouvoir un homme fort qui distribuera des postes de « la mangeoire nationale » à ses alliés anglophones, du Nord et du Sud du pays. La géographie de la souffrance sociale épouse pourtant les contours de tout le pays et de toutes les régions camerounaises. Ceux qui pensent à la magistrature suprême devraient fournir aux pays, non une rencontre improductive de deux has been qui veulent encore et toujours être, mais des arguments performants pour des femmes, des hommes et des enfants à la recherche d’un avenir plus rayonnant.

La rencontre Biya/Fru Ndi est celle du Cameroun en échec, celle d’un Cameroun fourvoyé que ses fils et filles doivent remettre sur les sentiers de la prospérité. Elle est l’incarnation d’un Cameroun dont l’avenir se vit au passé par le biais d’une politique de l’autruche institutionnalisée. En voici quelques morceaux choisis récents :

* En se refaisant candidat en 2011 par modification constitutionnelle interposée, Paul Biya dit aux Camerounais que c’est plus d’un quart de siècle plus tard, et au crépuscule de son âge, qu’il ferait en un temps record ce qu’il n’a pas pu faire depuis 1982 à la fleur de l’âge ;

* On ressuscite, on dépoussière et on recycle le comice agro-pastoral d’Ebolowa qu’on présente aux Camerounais comme un nouveau projet alors que c’est un échec cuisant du Renouveau National, étant donné qu’il aurait dû avoir lieu il y’a de cela plus de dix ans aujourd’hui. C’est le pays organisateur qu’on veut séduire ici sur le tard ;

* Un cinquantenaire de l’indépendance du pays sans aucune institution efficace d’un travail de mémoire pour les générations futures ;

* Un cinquantenaire de l’ENAM sans dénoncer le fait que cette école est depuis longtemps une fabrique de hauts fonctionnaires qui font main basse sur les ressources de l’Etat camerounais ;

* Un cinquantenaire des forces armées à Bamenda qui ne peut faire oublier que de nombreux jeunes camerounais sont tombés sous les balles de cette armée en 2008 en défendant leurs droits.
 
La gesticulation de ces derniers temps se fait donc à la fois dans le vide d’actions positives et le trop plein de débris d’un pays abimé par le Renouveau National. Ceux qui, au sein des médias officiels, ont exalté la démocratie que traduirait la rencontre Biya /Fru Ndi, devraient savoir que la démocratie dont ils parlent s’arrête où commence l’action d’ELECAM. Les Camerounais doivent comprendre que tout séducteur séduit qui veut bien être séduit. Ils doivent savoir que le vrai message de la campagne électorale de Paul Biya est celui-ci : le paradis et l’avenir du Cameroun sont dans le Renouveau National, c'est-à-dire derrière nous et dans l’échec pratique d’une idée fût-elle séduisante.

NB: Thierry Amougou , Chercheur, Macro économiste à l'université catholique de Louvain-la- neuve anime également un blog  /thierryamougou.blogs.nouvelobs.com/

© Correspondance : Thierry AMOUGOU


13/01/2011
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