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Cameroun : Alain Fogué , « Nombre de nos dirigeants ont la double nationalité»

Le politologue et géostratège, enseignant à l’université de Yaoundé 2 analyse la question de la double nationalité et du droit de vote des camerounais de l’étranger.

Comment  vous appréhendez la question de la double nationalité et du droit de vote des camerounais de l’étranger ?
C’est une question qui a toujours été instrumentalisée depuis les années de l’indépendance. Il faut se souvenir que le refus de la double nationalité par les autorités camerounaises, c’était d’abord une forme de sanction contre les opposants politiques qui étaient en exil  à l’étranger. Il était question de les couper complètement  de leur base camerounaise parce qu’étant en exil, pour survivre leurs  activités, ils étaient contraints de prendre des nationalités étrangères. Avec le processus de démocratisation, cette question est revenue, et elle revient chaque fois que les élections approchent. La question fondamentale autour de la double nationalité est celle de la capacité du gouvernement à manipuler le vote des camerounais de la diaspora. C’est un vote difficile à encadrer. C’est un vote qui s’annonce réactionnaire, protestataire, frondeur. C’est un vote qui ne s’accommode pas du maquereau et du riz. C’est un vote qui se veut rebelle, révolté. Par conséquent le gouvernement considère que prendre une mesure qui consiste à faire voter les camerounais de la diaspora lui sera défavorable. Ce n’est pas que techniquement c’est impossible, mais c’est un vote difficile à encadrer.

Ce sont donc des enjeux politiques qui emmènent le gouvernement à être réfractaire à la double nationalité et au vote de la diaspora ?
Il n’y a que ça, puisque économiquement c’est  un non sens. Beaucoup de camerounais, pour exercer des métiers importants à l’étranger décident de prendre la nationalité du pays d’accueil. C’est le cas des experts comptables. Economiquement c’est un non sens de contraindre ces camerounais bien formés à l’exil. C’est d’abord un problème de politique politicienne. Mais refuser aux camerounais la nationalité, c’est une erreur, c’est une hérésie économique dans un monde mondialisé.

Quels sont les intérêts pour l’Etat du Cameroun d’octroyer la double nationalité aux camerounais de la diaspora?
Sur la double nationalité, l’Etat du Cameroun aurait tout intérêt de permettre aux camerounais de l’étranger d’avoir  la nationalité camerounaise. Parce que se sentant chez eux, ils investisseront au Cameroun. Il est difficile de concevoir que quelqu’un qui est à 600 km de l’ambassade du Cameroun la plus proche puisse faire un voyage pour obtenir un vis. C’est quelque chose qui vous humilie, qui vous blesse votre orgueil patriotique. Aller chercher un orgueil pour venir voir vos grand parents, vos enfants. L’Etat oublie la dimension économique de cette affaire de double nationalité. Le Cameroun aurait tout à gagner en permettant à ces camerounais de voter. Ce serait une erreur d’empêcher ces camerounais d’obtenir la nationalité camerounaise.

L’intérêt pour les camerounais de l’étranger ?
Voyez-vous, si vous êtes à Londres et que vous avez 1 semaine de vacances, si vous pouvez prendre un voyage pour venir au Cameroun, vous le faites immédiatement. Mais si vous devez faire une demande de visa et attendre avec toutes les péripéties que l’on sait de la bureucratie camerounaise. Ca devient compliqué. La bureaucratie est morte en Union soviétique, mais elle  ressuscité au Cameroun. La notion de temps est importante pour ceux qui vivent dans les sociétés modernes. Le temps d’attente du visa est un temps important. Un temps qui décourage.

Paradoxalement à ce débat, de nombreux camerounais courent vers les nationalités étrangères. Comment percevez-vous ce phénomène ?
La situation économique les y contraint. Si on demandait à plusieurs jeunes qu’est ce que vous attendriez du père noël pour décembre ? Dans la jeunesse camerounaise, presque tous formuleraient le vœu d’avoir un visa pour partir du Cameroun. C’est une réalité. Il y a  des ambassades qui n’étaient connues de personnes il y a quelques années en arrière. Mais aujourd’hui, les camerounais dorment devant ces chancelleries pour obtenir ces visas de sortie du Cameroun. Les gens veulent sortir de la situation économique et sociale malgré les incantations sur le développement et la paix, la réalité est là. Les camerounais veulent s’aérer économiquement, socialement. C’est difficile d’être dans son pays et d’voir peur d’avoir un accident de la route prce qu’on vous transportera dans des urgences où rien est urgent à part le Cfa. Je dois aussi dire sur cette question de la double nationalité que beaucoup de ceux qui nous dirigent ont la double nationalité de fait. Vous n’avez qu’à voyager. Vous verrez qu’au moment de présenter votre passeport camerounais, ceux qui parlent en vos noms présentent d’autres passeport. Il n’y a pas de raison que eux ils puissent avoir la double nationalité et pas les camerounais ordinaires.

2011 c’est dans quelques mois, pensez – vous la question de la double nationalité et du droit de vote des camerounais de la diaspora aura suffisamment avancé ?
C’est une question de volonté politique. Si l volonté politique est là tout ira. C’est une affaire technique qui doit être réglée par les techniciens en la matière. Puisque les camerounais qui vivent à l’étranger sont recensés par les consulats. Même en ligne, ils peuvent le faire avec les outils internet aujourd’hui. Alors, les inscrire sur le fichier électoral, c’est pas ça qui est le plus compliqué. Tout est question de volonté politique parce que même l’inscription sur les listes électorales est devenue une mission pratiquement impossible pour les camerounais de Yaoundé et Nkongsamba. Dans les préfectures, on inscrit à  la tête du client. Si le pouvoir politique veut que les camerounais de l’étranger puissent s’inscrire pour voter, ce sera fait. Quand il a fallu modifier la constitution pour que Monsieur Biya se représente, vous avez vu ca s’est fait, on peut le faire s’il y a la volonté politique.

© Le jour : Boris Bertolt