Cameroun, Affaire Bibi Ngota: Laurent Esso isolé au sein du sérail
Cameroun, Affaire Bibi Ngota: Laurent Esso isolé au sein du sérail
Pour cause de festivités du Cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun, l’affaire Bibi Ngota a déserté les médias. Par contre, au sein du sérail politique camerounais, elle a continué à alimenter les commentaires et les confidences jusqu’au plus haut niveau de l’Etat.En fait, depuis que l’enquête judiciaire commandée par le chef de l’Etat se poursuit de manière déterminante, certaines langues jusque-là silencieuses ont commencé à se délier. Au point que beaucoup en sont à questionner désormais la genèse d’une affaire aussi douloureuse que malheureuse, qui semble avoir fortement ébranlé le landernau politique camerounais. Evidemment, au centre de toutes les conjectures depuis plusieurs semaines, il y a le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, Laurent Esso, « l’homme par qui tout est parti » pour reprendre un commentaire d’une haute personnalité du sérail approché par Le Messager.
Ce dernier poursuit son commentaire de manière véhémente. « Il faut dire que cette affaire du journaliste Bibi Ngota qui est mort en prison est arrivée à un très mauvais moment. Pendant qu’on s’échinait à préparer le Cinquantenaire, et qu’il était nécessaire que le Cameroun et son chef aient une bonne image sur le plan international, cette affaire détestable d’un journaliste mort en prison a surgi. Je vous avoue que ce n’était pas facile à gérer. Et il y avait comme un coup tordu donné dans le dos du chef de l’Etat. Une espèce de traîtrise en somme. Il est clair que le ministre d’Etat, secrétaire général Laurent Esso s’est ainsi retrouvé au centre d’une controverse qui évidement, a non seulement nui à sa propre réputation d’homme d’Etat, mais aussi à celle de l’ensemble du système.
Laurent Esso est quand même le premier collaborateur du chef de l’Etat. Il est considéré comme le géniteur de cette affaire. Il n’y a aucun doute sur cet aspect. Ce qu’il faudrait peut être chercher à comprendre, c’est pourquoi on en est arrivé là… Je veux parler du drame que tout le monde a déplorer, à savoir la mort en prison du journaliste.» En fait, la question essentielle en ce moment au sein du sérail, et davantage pour les enquêteurs chargés de mettre la lumière sur cette affaire saumâtre, se résume effectivement à comment en est-on arrivé là ? « C’est dire, plus globalement, pourquoi est-on allé jusqu’à laisser mourir un journaliste au moment où le président et le Cameroun tout entier s’apprêtaient à entrer dans les festivités du Cinquantenaire ?», confie une autre source apparemment bien introduite au sein du sérail.
Trouble dans la genèse des faits
Vraisemblablement, l’affaire qui conduit à la mort de Bibi Ngota en prison débute en janvier 2010. On se souvient que c’est le nommé Harris Robert Mintya directeur de publication du journal Le Devoir qui la déclenche, lorsqu’il saisit le ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République à travers un protocole d’interview. Dans ledit protocole d’interview, il est question d’une affaire relative à un courrier du SGPR adressé au directeur général de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) instruisant celui-ci de payer des commissions à certaines personnalités ayant œuvré à l’acquisition du bateau-hôtel, Rio del Rey, destiné à l’armée camerounaise.
Avant cela, Harris Robert Mintya a pris le soin d’envoyer le même courrier à Adolphe Moudiki, le directeur général de la SNH. Les proches de Laurent Esso que Le Messager a approchés (à défaut de l’avoir lui-même) affirment que le SGPR ne s’étant pas reconnu dans ce document qui portait pourtant une signature qui ressemblait fortement à la sienne, aurait d’abord convoqué ses collaborateurs du secrétariat général à la Présidence de la République. Notamment ceux de la direction du courrier présidentiel pour en avoir le cœur net.
Ceux-ci lui auraient alors dit qu’un tel courrier n’existerait pas dans les archives de la direction du courrier présidentiel. C’est alors qu’il aurait d’abord invité le sieur Harris Robert Mintya à venir à sa rencontre. Ce que ne fit pas ce dernier. Par la suite, apparemment convaincu que quelque choses se tramerait sur son dos, Laurent Esso va saisir le délégué général à la Sûreté nationale (DGSN), Emmanuel Edou, pour lui demander d’identifier les auteurs de ce qu’il qualifiait alors de « faux document ».
Les fins limiers de la DGSN commencent à investiguer. Laurent Esso pour sa part quitte le Cameroun le 28 février 2010 pour l’Europe où, dit-on, il avait un rendez vous médical. Il donne instruction à Samuel Obam Assam, directeur du courrier présidentiel à la présidence de la République de suivre le dossier. A son retour, le 15 mars 2010, il trouve sur sa table les premières conclusions des analyses policières. Dans ce document confidentiel dont Le Messager a pu lire une copie, il est indiqué entre autres que « Le document litigieux » n’aurait pas été confectionné au Secrétariat général de la présidence. Que Monsieur Laurent Esso n’en serait pas le signataire. Cependant, le document a transité entre les mains de monsieur Harris Robert Mintya Meka, « connu des sommiers de police comme un maître chanteur sans vergogne. » Les policiers indiquent qu’ils poursuivent les investigations pour déterminer l’auteur véritable de la lettre et ses motivations profondes.
Entre temps, les fouineurs de la Direction générale à la recherche extérieure (DGRE) ont vent de l’affaire. Apprenant qu’il y a une histoire relative à un bateau camerounais fabriqué à l’extérieur du Cameroun, et autour de laquelle planerait une autre histoire abracadabrante d’attributions de commissions à des personnalités de la République, les éléments de la DGRE, services secrets camerounais, trouvent alors que cette affaire sur laquelle les transactions ont eu lieu à l’extérieur du pays, est légitimement dans leur porte-feuille.
Ils s’y intéressent donc. Très vite, les principaux protagonistes de cette affaire, dont les journalistes que sont Harris Robert Mintya, Serge Sabouang, et surtout Nko’o Mvondo (dont on affirme qu’il est celui qui a produit le document aux autres journalistes ci-dessus cités) sont repérés, puis conduits dans les locaux de la DGRE. Jusque-là, Le Messager n’a pas pu avoir la précision sur le genre d’exploitations dont ces journalistes ont fait l’objet. Mais il se dit, que ce fut des exploitations « assez rudes », pour reprendre une expression d’un habitué des lieux. En tout cas, c’est certainement pendant qu’ils sont exploités rudement à la DGRE que certains d’entre eux, (probablement Harris Robert Mintya) lâchent le nom du directeur de publication du journal Cameroun Express, Bibi Ngota. Ce dernier est repéré, interpellé et conduit à la DGRE pour lui aussi être exploité. Ils seront remis en liberté deux semaines après.
Des proches du SGPR accusent
Dans l’entourage de l’actuel secrétaire général de la présidence de la République, ses proches n’hésitent pas à parler d’ «un complot diaboliquement ourdi pour nuire au ministre d’Etat Laurent Esso », confie B.M., un haut cadre de l’administration en service au ministère de la Fonction publique et de la réforme administrative réputé assez proche du ministre d’Etat Laurent Esso. Et de continuer : « Nous avons désormais l’impression, sans en être moins convaincus, qu’un groupe de hautes personnalités de la République, qui ont des accointances d’origine sont à l’origine de la mort en prison du journaliste selon un plan machiavélique bien pensé pour faire retomber cette affaire sur Laurent Esso. »
Beaucoup comme B.M. affirment que le SGPR, qui était absent du Cameroun au moment où les quatre journalistes sont interpellés par la DGRE, n’était apparemment pas au courant que les services secrets s’étaient mêlés de l’enquête. Toujours est-il que, quelques jours après leur libération par la DGRE, les journalistes sont à nouveau arrêtés cette fois par les éléments de la police judiciaire à qui le DGSN avait confié préalablement l’enquête. Les choses vont alors aller très vite. Transfert au parquet.
Puis mandat de dépôt pour la prison centrale de Kondengui. L’enquête du Messager révèle que l’affaire prend une tournure dramatique dès lors que l’un des journalistes, Bibi Ngota tombe malade en prison. Son état ne s’améliorant pas, il est question de l’évacuer vers une institution sanitaire approprié. La demande est faite par sa famille. Le régisseur de la prison central de Kondengui saisit immédiatement par écrit le procureur de la République à cet effet. Celui-ci garde silence. Pendant deux semaines, nos sources signalent que le régisseur de Kondengui serait resté à attendre les instructions du chef du parquet sur le cas du détenu Bibi Ngota. Mais en vain. C’est alors qu’arrive finalement le décès qui inaugure tout le ramdam médiatique.
Laurent Esso est identifié comme le principal meurtrier de Bibi Ngota. Ce que trouve évidement injuste B.M., un de ses proches qui accuse: « Il faudra qu’on explique pourquoi subitement on a réussi à dresser l’opinion contre un homme. Laurent Esso n’a jamais porté plainte dans cette affaire. Il a juste signalé à la Dgsn un cas de faux et usage de faux. Maintenant, l’affaire à suivi son cours. Les journalistes se sont retrouvés en prison selon une procédure que la justice a initiée. Maintenant est-ce qu’il appartient à Laurent Esso d’aller en prison faire sortir un détenu malade pour l’amener à l’hôpital ? Il faut bien que ceux qui depuis accablent Laurent Esso répondent à cette question.
On se demande bien pourquoi ceux qui étaient habilités à le faire, à savoir le procureur de la République par exemple ne l’ont pas fait. Mais il y a plus grave : comment expliquer que, une fois le journaliste Bibi Ngota décédé, subitement, une élite bien identifiée du Sud et proche du pouvoir ait pu déclarer que les fils du Sud ont décidé d’aller inhumer Bibi Ngota à Deido à Douala sans que personne parmi les élites du Sud, ne l’ai repris vertement et fermement ? Cela montre bien qu’il y avait un complot quelque part…»
Au final, l’affaire continue donc de diviser le sérail. Avec d’un côté un lobby influent qui à travers des manœuvres souterraines continue à s’échiner pour absolument faire tomber l’actuel ministre d’Etat secrétaire général de la République, et de l’autre, un Laurent Esso continuellement silencieux, mais qui sait que, depuis le déclenchement de cette douloureuse affaire, son avenir politique est en jeu. Reste maintenant à attendre ce que Paul Biya, seul vrai arbitre dans cette affaire, fera des conclusions de l’enquête judiciaire qu’il a commandée.
© Le Messager : Jean Francois Channon