Cameroun, Affaire Bibi Ngota: Deux "rapports" d'enquête, un parfum de manipulation…
Cameroun, Affaire Bibi Ngota: Deux "rapports" d'enquête, un parfum de manipulation…
Ils mettent surtout en cause Fame Ndongo, Etoundi Oyono, le procureur de la République et le régisseur de la prison centrale. Toutefois, ces "rapports" exhalent des relents de manipulation...L'Affaire Bibi Ngota vient de prendre étrangement un nouveau tournant. Une main invisible glisse discrètement à certaines rédactions des éléments de deux rapports supposés, liés à l'enquête ordonnée par le chef de l'Etat. Sur la forme, il y a lieu de s'interroger sur la disponibilité de deux rapports d'enquête au lieu d'un seul tel qu'il est de coutume en pareilles circonstances. Certes le chef de l'Etat, dans le souci de s'approcher le plus près possible de la vérité, peut mettre plusieurs services en concurrence. Mais le fait que ces services aient déposé les copies de manière quasi simultanée comme le suggèrent les confrères qui en ont fait état, ne lasse pas d'étonner. La discrétion qui est en principe de mise dans une affaire qui a secoué le microcosme, est loin d'avoir été respectée. Alors, des fuites n'ont-elles pas été savamment organisées à l'effet de manipuler la presse, donc l'opinion ?
Cette question se pose et s'impose au regard des dénonciations et des accusations explicites contenues dans ces "rapports". Certaines personnalités y sont citées comme commanditaires du faux document impliquant Bibi Ngota, Mintya, Sabouang et Nko'o, et qui a mis le feu aux poudres. D'autres personnalités sont dédouanées apparemment pour mieux faire accréditer la thèse du complot politico-tribal induite dans l'évocation du "pays organisateur". Ces documents généreusement servis à la presse et présentés comme des rapports, sont donc à prendre avec beaucoup de pincettes. Plusieurs hypothèses de travail considérées dans ces "rapports" comme des certitudes, nécessitent qu'ont s'y attarde.
Cas n°1: Jacques Fame Ndongo serait avec Belinga Eboutou, l'un des commanditaires du faux document querellé. En suggérant que Jacques Fame Ndongo lorgne le fauteuil de Laurent Esso au secrétariat général de la présidence, les rapports tendent à démontrer que le ministre de l'Enseignement supérieur aurait savonné la planche d'Esso en le présentant comme le bourreau de Bibi Ngota. L'objectif visé serait de décrédibiliser Esso aux yeux du chef de l'Etat.
C'est un argument qui semble tiré par les cheveux dans la mesure où il paraît peu crédible d'accéder à un poste par des manœuvres aussi basses. Le président de la République qui est connu pour sa connaissance pointue de certains hommes clés de son entourage et des pratiques de son système, ne saurait être manipulé par des agissements dignes de chiffonniers. Peut-on objectivement accéder à un poste, fût-il celui de Sg/Pr, en courant le risque d'encourager l'usage de faux documents ? Pour être nommé ministre de l'Enseignement supérieur, l'actuel occupant du Poste a-t-il eu besoin de manœuvrer ? On semble oublier que seul, le président sait comment, quand et pourquoi il choisit ses collaborateurs.
Les rapports insinuent également que Harrys Mintya, celui-là même qui a adressé le "faux document" au Sg/Pr, est un proche parent du Minsup, et que son journal serait par le fait même, financé par Jacques Fame Ndongo. Vérification faite, les deux hommes se connaissent et se fréquentent peu. Leur parenté est donc supposée. Qui a alors intérêt à présenter Fame Ndongo comme celui qui manœuvre en coulisse pour noyer Laurent Esso?
Cas n°2: Emmanuel Etoundi Oyono, l'autre commanditaire. Il est cité dans les "rapports" comme pourvoyeur de fonds des journalistes. Le Directeur de la Maetur, ancien Directeur général du port autonome de Douala (Pad), connaît bien le dossier de l'achat du Rio Del Rey. A ce titre, insinuent les documents, il aurait décidé de se venger de ceux qui avaient obtenu sa tête au Pad. Il aurait donc mis la puce à l'oreille aux quatre journalistes en mettant à leur disposition des informations portant sur les commissions faramineuses de certaines personnalités, dont son successeur au Pad Dayas Monoumé. Cette affirmation présente une faiblesse: si Etoundi Oyono est le fournisseur du faux document, cela disculpe par le fait même Jaques Fame Ndongo, lui aussi présenté comme le commanditaire. Les deux hommes seraient-ils alors de mèche ? Peu probable puisque dans cette hypothèse, la thèse du complot ourdi par le "pays organisateur" ne tiendrait plus la route: Etoundi Oyono qui est originaire du département du Nyong et So'o est d'évidence éloigné du "groupe du sud" sur lequel on fantasme tant. Par ailleurs, tout porte à croire selon ces mêmes rapports que Etoundi Oyono a été entendu à ce sujet par la police. La vérité semble là aussi ailleurs. Nos sources proches de la police soutenant mordicus que l'homme aux lentilles fumées n'y a jamais mis les pieds, concernant cette scabreuse affaire.
Cas n°3: les "rapports" prétendent que le régisseur de la prison centrale aurait affirmé avoir demandé l'évacuation de Bibi Ngota dans un établissement hospitalier. Ce à quoi se serait fermement opposé le procureur de la République. Là encore, le doute est permis. La mentalité des fonctionnaires camerounais qui consiste à appliquer mécaniquement les instructions de la hiérarchie, surtout lorsque celle-ci est au cœur de l'environnement décisionnel, ne peut pas autoriser un régisseur qui est sous l'autorité directe d'un procureur, à lui opposer quelque résistance que se soit. Très souvent même, les subordonnés, pour faire bonne figure, font montre d'un zèle débordant. Exemple: le médecin de la prison centrale de Kondengui.
Cas N°4: Laurent Esso. L'homme au cœur de l'Affaire n'a pas jusqu'ici parlé. Avec le recul, il faut se poser des questions simples, en dépit des conséquences lourdes que son action a provoquées. En tant que secrétaire général de la présidence, n'avait-il pas le droit de chercher à tirer au clair une affaire où sa signature personnelle et les documents de ses services étaient falsifiés ? L'usage abusif de la force publique contre les mis en cause a été dénoncé, mais dans le fond on ne saurait lui dénier le droit de réclamer justice face aux menaces que faisaient planer sur sa personne un chantage. N'importe qui aurait essayé de se défendre, mais peut-être pas avec les mêmes méthodes que le Sgpr.
Les faiblesses et les contradictions relevées dans les différents cas qui viennent d'être énoncés, renforcent l'idée d'une manipulation. Deux hypothèses se présentent. Soit ces fameux rapports d'enquête sont faux, auquel cas il faudrait en conclure que ceux qui ont approché certaines rédactions, veulent noyer le poisson. L'astuce serait de réduire l'Affaire Bibi Ngota à une banale histoire de combat de positionnement. Cela aurait l'avantage d'être facilement digéré par une opinion blasée par ces combats de coqs qui somme toute, n'intéressent plus personne.
Soit alors, les vrais rapports existent, mais seraient tellement accablants qu'il faudrait trouver une stratégie pour qu'ils ne soient jamais rendus publics. Ils rejoindraient ainsi le cimetière des nombreuses Affaires non élucidées où sont enterrés pour toujours des cadavres d'enquêtes. Cette stratégie a l'avantage de miser sur le facteur temps avec la certitude que l'Affaire sera engloutie dans l'oubli collectif.
Nous pourrions donc être en plein dans une opération de brouillage de pistes. L'objectif visé serait de passer un coup de gomme sur une affaire qui a gravement nui à l'image du régime au moment où il a plus que jamais besoin d'un lifting ou d'un relookions. Publier un rapport d'enquête dans ces conditions, provoquerait un nouvel emballement médiatique que personne ne souhaite en haut lieu.
On constate que les rapports d'enquête supposés évitent l'essentiel pour s'appesantir sur des querelles politiciennes supposées (ou réelles). L'essentiel, ce sont des questions simples: Bibi Ngota est-il mort d'une mort naturelle ? Si non, qui en est le responsable ? Les procédures ont-elles été respectées dans la poursuite des journalistes ? Ceux-ci ont-ils été torturés ? Qu'en est-il des commissions faramineuses que certaines personnalités sont accusées d'avoir perçu ? Aucune réponse à ces questions n'a été évoquée dans ces documents relayés par certains journaux. Ce qui laisse planer le doute sur leur authenticité. Alors vigilance et prudence...
© La Météo : Yves Marc Kamdoum