Cameroun : 50 ans après, quel avenir pour nos forces de défense ?
Cameroun : 50 ans après, quel avenir pour nos forces de défense ?
Nous allons bientôt commémorer à Bamenda le cinquantenaire de nos forces de défense. Ainsi en ont décidé nos autorités. 50 ans dans la vie d’un Etat et de ses institutions est certes une durée relativement courte pour dresser un bilan complet et définitif mais il n’en demeure pas moins qu’elle est assez longue pour s’y appuyer afin d’entrevoir les améliorations que nous pouvons leur apporter. Si nos forces de défense ont été bâties depuis 50 ans autour de l’honneur et de la fidélité, l’évolution du Monde, de l’Afrique et de notre sous-région impose qu’elles dépassent cette devise originelle.
En effet, le Cameroun :
- occupe une position stratégique en Afrique centrale et est la porte
d’entrée du golfe de guinée riche en ressources halieutiques et
pétrolières.
- contribue à lui tout seul à la moitié du PIB de la CEMAC et fait contre poids au géant nigérian.
- offre une stabilité apparente qui contraste avec les soubresauts que connaissent les pays qui l’entourent.
Pour consolider ces paramètres stratégiques, nos forces de défense doivent donc faire face aujourd’hui à un triple défi :
- Assurer l’intégrité des frontières terrestres poreuses du pays en répondant aux menaces dites de « basse intensité » qu’engendrent les différents conflits de la région, protéger l’espace aérien contre l’intrusion d’aéronefs hostiles ou transportant des produits prohibés, maintenir la sécurité maritime indispensable au commerce international.
- Devenir plus que jamais une armée républicaine, un creuset de la nation, respectueuse non seulement des institutions mais aussi des droits de l’homme.
- Participer au développement du pays (constructions d’ouvrages), intervenir en cas de catastrophes (inondations, épidémie, évacuations, sauvetage etc ….)
Faire désormais face, de manière simultanée, à des situations multiformes.
Ce triple défi qui appelle à une nouvelle
définition des missions de nos forces de défense dans le cadre d’une
doctrine militaire profondément remaniée s’impose à nous en raison de
nos rapports modifiés avec notre principal partenaire en matière de
défense, la France (nouveaux accords de défense et intégration
progressive de ce pays dans l’OTAN) et de la dimension désormais
multilatérale de la sécurité dans le monde
Pour atteindre un tel objectif, un nouveau concept stratégique doublé
d’un concept géopolitique doit être défini dans le cadre d’un livre
blanc sur la réforme de nos forces de défense.
L’analyse des risques, des menaces, potentiels et/ou avérés nous aidera
ensuite à élaborer notre politique de défense, à adapter notre
diplomatie dans le cadre de ce concept stratégique.
Pour l’heure, les foyers de tension sont nombreux.
Après la rétrocession de BAKASSI, les actes récurrents de piraterie
maritime de la part d’une nébuleuse de mouvements tantôt du Nigéria
tantôt du Cameroun créent une instabilité dans une zone dont
l’exploitation des richesses pourrait permettre à notre pays d’accélérer
son émergence. Le conflit tchadien a engendré depuis des années la
prolifération d’armes légères qui alimentent elle-même le phénomène des
coupeurs de route dans le septentrion. Les éléments démobilisés du
mouvement du rebelle Congolais MBEMBA, errent à la frontière
centrafricaine semant parfois terreurs et désarrois derrière elles.
L’enlèvement d’un opposant équato-guinéen sur notre territoire par les
services de notre voisin, son évasion puis son retour dans notre pays,
ces derniers jours, soulève le problème de la gestion des flux
migratoires entre nos deux pays et les tensions qui peuvent en découler.
Nos forces de défense peuvent-elles entreprendre l’évacuation de nos
concitoyens en cas d’urgence ?
Nos territoires limitrophes des frontières sont progressivement grignotés par nos voisins, en l’absence de démarcation claire et surtout faute de politique de développement de ces contrées oubliées. L’organisme chargé de gérer ses problèmes ne donne que très peu de lisibilité à ses actions.
Le plan de développement des territoires frontaliers d’un montant de 240 milliards de FCFA, imaginé par le gouvernement avec le concours de nos partenaires bilatéraux, tarde à produire ses fruits, tant la mobilisation des ressources est difficile mais lorsqu’elles existent, leur gestion ne résiste pas aux maux que connaît notre pays : lenteur bureaucratique, corruption, inertie, gabegie etc …
Il n’est donc pas rare de voir souvent les populations voisines et les autorités des pays voisins hisser leurs drapeaux sur notre territoire, faire la police, collecter les impôts tout en brutalisant nos compatriotes.
L’assèchement du lac Tchad a accentué ce phénomène de transhumance entre le Tchad, le Niger, le Nigéria et le Cameroun et dont la persistance, sans régulation, constitue une source de conflagration future.
Le Cameroun a été victime ces derniers mois de catastrophes auxquelles nos forces de défense auraient pu faire face en apportant leurs précieux concours. Qu’ils s’agissent des inondations dans la région de Pouss, de l’épidémie de choléra dans l’Extrême Nord où l’assainissement, la construction des forages, des latrines publiques auraient pu s’effectuer par le génie militaire. Le soutien des services de santé de nos forces de défense aux côtés de leurs collègues civils n’aurait pas été de trop. De la construction du pont sur le Nkam à Yabassi dans les années 70 à celle de la route menant à Isanguelé, en passant par les casernes et la réfection de la tribune du 20 Mai à Yaoundé, notre génie militaire a toujours fait preuve d’expertise et peut mieux faire encore pour peu qu’on lui en donne les moyens. Si celui-ci disposait de ponts flottants pour le franchissement, l’incident du Bac de Natchigal aurait trouvé une solution provisoire avant la fin de la réhabilitation du pont d’Ebebda. Le comice agro pastoral d’Ebolowa tout comme certains travaux liés à la commémoration de ce cinquantenaire aurait dû être des terrains d’expression de leur savoir faire mais hélas.
En fait, l’organisation, le déploiement et
l’équipement actuels de nos forces de défense répondent plus au besoin
d’assurer l’ordre constitutionnel.
Autrement dit de faire face à une menace de déstabilisation du pouvoir
qu’elle soit interne et/ou externe. L’utilisation des forces de
troisième catégorie pour lutter contre la montée de la criminalité dans
les grandes villes (commandement opérationnel) ou stopper les émeutes de
Février 2008 a implicitement validé cette option.
Un livre blanc qui intègre les éléments sus évoqués, pour réorienter notre politique de défense, s’avère aujourd’hui indispensable.
Quelle organisation proposer?
L’esprit, le fonctionnement, l’organisation et les règles d’engagement de nos forces de défense ont été hérités du contexte dans lequel elles firent leur baptême de feu.
Un commandement par gouvernorat militaire devrait être mis en place. Au gouverneur civil de la région, on aurait un gouverneur militaire comme interlocuteur pour les questions de sécurité et d’ordre.
Chaque gouvernorat disposerait d’une ou plusieurs unités d’intervention rapide BIR pour les questions de sécurité militaire et BIG (bataillon d’intervention du génie) pour des opérations de sécurité civile avec les moyens de projection adéquats (avions, hélicoptères, véhicules blindés légers, embarcations rapides, matériels de génie).
Ce redimensionnement doit s’accompagner de la mise au centre de tout le dispositif interarmées, d’un renseignement fiable au service de la prise des décisions de nos responsables politiques et militaires.
Les nombreux événements survenus à nos frontières (BAKASSI entre autres) sont là pour nous rappeler que la guerre moderne est avant tout une question de renseignement et qu’il est impérieux de réorganiser nos services de renseignement, de définir leurs territoires de compétences afin d’éviter une compétition inutile et surtout de redéfinir leurs missions. Lorsqu’il y a coordination entre les services et les forces comme ces derniers mois (gendarmerie et BIR) dans l’extrême Nord, les résultats contre les malfrats sont tangibles.
Nos services devront gommer aussi l’image de machine chargée de réprimer que l’affaire du journaliste Bibi Ngota leur a malheureusement donnée dans l’opinion publique. Cinq pôles de renseignement peuvent alors se décliner: d’ambiance (RG), de surveillance du territoire contre les menaces de déstabilisation (DST), de renseignement militaire (DRM), de sécurité militaire (SM : discipline et lutte contre les risques de déstabilisation de l’institution militaire), de renseignement extérieur et d’intelligence économique (DGRE).
Le conseil national de sécurité dont le principal responsable vient d’être nommé, devra se mettre résolument au travail afin d’évaluer en temps réel les dangers auxquels est confronté le pays et y apporter des réponses précises et cohérentes.
La professionnalisation de nos forces armées est
certes une exigence compte tenu de la qualité du matériel mis en œuvre
mais ne saurait faire oublier que le Cameroun ne peut consacrer de
moyens exorbitants pour sa défense eu égard à ses besoins de
développement et à la longueur de ses frontières.
Notre politique de défense doit donc s’appuyer, ce à contre courant de
la tendance actuelle, sur la conscription et les réservistes
mobilisables.
Tsahal, l’armée israélienne en est un parfait exemple de professionnalisation doublée d’une fibre populaire.
Une telle articulation a l’avantage :
- de récréer un lien distendu entre notre armée et la nation,
- de permettre à nos concitoyens d’apprendre la discipline, la rigueur, la morale tant galvaudés ces dernières années,
- d’apprendre à servir qu’à se servir,
- de se former à de nouveaux métiers pour ceux qui ont perdu l’espoir d’en avoir un etc
Avec quels moyens?
La mise en œuvre d’un tel chantier nécessite non seulement des moyens conséquents mais aussi de la durée.
A l’instar des plans quinquennaux qu’il est nécessaire de réhabiliter
et revisiter en économie, il est important de définir une loi de
programmation militaire après une évaluation concrète des ressources
humaines, matériels, casernes dont nos forces armées ont besoin.
Les membres de ce corps doivent bénéficier des conditions de vie adéquates pour accomplir efficacement leurs missions, dans la discipline et le respect des droits des citoyens.
A l’observation du nombre de soldats circulant dans nos grandes villes, parfois sans ordre de missions, l’on pourrait se poser les questions suivantes :
- Nos dirigeants connaissent-ils vraiment en temps réel le nombre d’hommes en tenue à leur disposition ?
- En cas de mobilisation surprise pour évènement imprévu, comment s’attèleront-ils à alerter et rassembler ses hommes en tenue dispersés dans la nature ?
Une solution passerait par le lancement par exemple d’un vaste programme de construction de casernements afin :
- d’offrir aux éléments de nos forces armées, de réelles conditions de vie et de travail,
- de rapprocher les hommes de rang de leurs chefs (tous habiteront la caserne sauf exception),
- de renforcer la discipline, la rigueur et la morale un peu malmenées ces dernières années,
- D’accroitre l’efficacité de leur intervention en cas de mobilisation.
Il faudrait améliorer et multiplier les structures de type coopérative dans les domaines de la couverture médicale, l’éducation, l’approvisionnement et la finance afin d’arrimer nos vaillants soldats et leurs familles à la vie moderne, de réduire les risques de paupérisation de la troupe et les tentations d’affairisme et de corruption.
La gestion des carrières dans nos forces de défense doit retenir également l’attention de nos responsables.
En effet des passerelles entre les carrières
militaires et celles de la société civile doivent se multiplier. La
professionnalisation implique une formation soutenue dans les domaines
variés. Les militaires après la fin de leur contrat pourraient mettre à
profit leur compétence cumulée au service du développement du pays.
En développant des centres de recherches au sein de l’institution
militaire, on pourrait booster la recherche scientifique nationale et
inversement.
Notre pays a atteint l’âge de la maturité pour lancer sa propre
industrie militaire afin de réduire les importations dans le domaine
(tenues, bottes, munitions, etc…)
Nous devons par ailleurs renforcer la souveraineté de notre Etat dans certains secteurs clés de notre sécurité tels que les télécommunications. Malgré les sirènes de la privatisation, la CAMTEL doit demeurer dans le giron de l’Etat en tant que gestionnaire des infrastructures (réseau filaire, fibre optique) mais devra renoncer à être opérateur de téléphonie mobile.
Organiser régulièrement des manœuvres militaires nationales dont nous n’avons plus eu d’échos depuis fort longtemps puis multi nationales avec nos partenaires régionaux et d’ailleurs (France, Etats-Unis) afin d’accroître nos capacités opérationnelles et l’interopérabilité de nos forces de défense.
Accroître de façon significative notre participation aux opérations de maintien de la paix dans le cadre de la CEMAC, l’UA et de l’ONU afin :
- D’aguerrir nos soldats au respect des droits de l’homme,
- De promouvoir l’interopérabilité de notre armée avec celle des pays
amis dans un contexte où la sécurité et la défense ne s’appréhendent
plus simplement au niveau national.
Tout cela implique des hommes et femmes de bonne moralité recrutés selon des critères rigoureux, bien formés, bien équipés et surtout bien entrainés. Nous y arriverons par :
- La formation multilatérale dans les écoles nationales à vocation régionale (ENVR) telles que le Cours Supérieur Interarmées de Défense (CSID) de SIMBOCK, le Pôle Aéronautique National à Vocation Régionale (PANVR) de Garoua, le Centre de Perfectionnement aux Techniques de Maintien de l’Ordre (CPTMO) d’AWAE, l’école internationale des forces de sécurité (EIFORCES) et d’autres encore.
- La création de lycées militaires préparatoires ayant pour vocation d’inculquer l’esprit de discipline, forger une moralité exemplaire aux jeunes camerounais désireux d’entrer éventuellement dans nos forces de défense. Si tel était le cas aujourd’hui, ces établissements auraient servi de véritables viviers pour le recrutement des 1900 commandos, annoncé récemment par le MINDEF.
- Le passage de l’école nationale polytechnique sous la tutelle du ministère de la défense sans pour autant modifier son fonctionnement actuel.
Il s’agit d’un vaste chantier auquel n’échappera aucun gouvernant dans les prochaines années si nous souhaitons « sanctuariser » notre territoire face aux diverses menaces puis jouer le rôle de leader que confère la position géostratégique et le potentiel de notre pays sur l’échiquier sous régional et africain.
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