Cameroun (1982-2009) : La corruption et les détournements de deniers publics en question
Retour sur des cas de malversations qui auraient dû susciter une opération d’assainissement de la gestion publique longtemps avant Epervier. Lorsque le 1er président du Cameroun démissionne le 04 Novembre 1982 et remet le pouvoir à M. Biya deux jours plus tard, une vague d'espoir traverse le pays d'est en ouest, du nord au sud. Cet engouement est motivé d'une part par le préjugé favorable dont bénéficie le nouveau président auprès de la quasi-totalité de la population, d'autre part par l'espoir de voir conjurés les souffrances et sévices endurés par le peuple en raison de la manière implacable avec laquelle les problèmes sociaux étaient traités par l'ancien président pour qui les exigences dues au respect des droits de l'homme étaient le dernier des soucis. Le temps de l'éclosion d'une rose, l'euphorie de départ se dissipa dans la nature comme fumée dans l'air.
La tentative de coup d'état du 06 avril 1984 est la première manifestation de la forte désillusion qui s'installe dans le pays.
Les puschistes tentent vainement de secouer la conscience d'un peuple hypnotisé et anesthésié par le discours creux et lénifiant de M. Biya prônant la rigueur et la moralisation en pratiquant le contraire des exhortations publiques. A travers une adresse par message radio aux Camerounais, ils dénoncent à un public médusé : "la bande à Biya, avec leurs escroqueries et leurs rapines incalculables (…), son gouvernement et ses agents propulsés à la tête des rouages de l'Etat avec, comme seule devise, non pas servir la nation, mais se servir. Oui, tout se passait comme s'il fallait se remplir les poches le plus rapidement possible, avant qu'il ne soit trop tard ".
Mal leur en prend : par la grâce des ordres mystiques et l'entrée en scène des réseaux de la françafrique, M. Biya, un temps totalement ébranlé, réussit à reprendre pied. L'action du gouvernement se referme sur les questions sécuritaires caractérisées par l'atmosphère de terreur qui a régné sur le pays aux heures les plus sombres du régime Ahidjo. Parallèlement, tout est mis en œuvre pour verrouiller le système électoral afin de s'assurer un succès sans contestation à toute consultation populaire. Au plan intérieur, la stratégie mise au point se déploie sur trois axes principaux, à savoir :
* le suréquipement d'une garde présidentielle bénéficiant de tous les privilèges et totalement dévouée au chef de l'Etat. Cette forme d'assurance tout risque au plan sécuritaire s'accompagne, au plan institutionnel, de fréquentes manipulations de la loi organique (la constitution) pour garantir l'impunité et une présidence à vie au locataire d'Etoudi ;
* l'accaparement et l'utilisation indécente de tous les moyens de l'Etat et des entreprises publiques pour asseoir et consolider la pérennité du régime en place ;
* le bâillonnement, à travers le contrôle de la presse et un système judiciaire aux ordres, de "tous ceux qui en savent trop", et affichent des velléités d'indépendance d'esprit en essayant de ramer à contre courant des initiatives du prince.
Contre leur soutien à un chef d'Etat qui leur doit son fauteuil, les réseaux de la françafrique et les ordres ésotériques sont entre-temps entrés en concurrence. Ils s'investissent pour infiltrer les secteurs stratégiques de l'économie afin de tirer le meilleur profit du filon camerounais. Leur action pernicieuse est naturellement facilitée par la docilité d'un obligé, otage d'une dette de reconnaissance et qui, par fainéantise ou par négligence, a délaissé toute vision prospective de la gestion des leviers de croissance économique.
Comme il fallait s'y attendre, l'économie
camerounaise plonge dans la crise dans la deuxième moitié des années
80. Totalement pris au dépourvu, enfermé dans ses contradictions, que
les flagorneurs impénitents maquillent par le doux euphémisme de
"nuances dialectiques", la traçabilité de la politique qu'entend mener
M. BIYA pour tirer le pays de la mauvaise passe tarde à se dessiner. Le
F.M.I. s'engouffre dans la brèche et impose des remèdes de cheval. Les
innombrables conséquences de cette situation rythment toujours la vie
nationale sans qu'apparaisse la sortie du tunnel.
A tout prendre, et alors qu'il n'avait de cesse de proclamer, à son
arrivée au pouvoir, que " le Cameroun se porte bien", M. BIYA apparaît
incontestablement comme le démolisseur insouciant des précieux acquis
hérités de son " illustre prédécesseur ". Les marques les plus visibles
de cet extraordinaire gâchis sont :
* la disparition des principales entreprises publiques qui faisaient la fierté des Camerounais en contribuant, en même temps, au transfert des technologies et à la résorption du chômage ;
*la stagnation voire la baisse de la production agricole, notamment des produits de rente (café, cacao, ….) depuis plus de 20 ans ;
* le frein donné à l'industrialisation du pays à cause d'une insuffisance énergétique criarde ;
* la déconfiture du système éducatif, autrefois modèle admiré et vanté en Afrique, actuellement le plus décrié ;
* le chômage endémique des diplômés (et surtout de ceux de l'enseignement supérieur), dont plus de 90% se retrouvent sans emploi, entraînant l'exode massif et inexorable des cerveaux depuis une vingtaine d'années ;
* la décrépitude du système de santé malgré les moyens colossaux injectés par les partenaires au développement ;
* le réseau routier à plus de 70% impraticable pendant la saison des pluies, engendrant l'enclavement de plus de la moitié du territoire pendant de longs mois dans l'année ;
* la paupérisation inexorable des populations et surtout des masses paysannes, pendant que la plupart des hauts fonctionnaires détenteurs du pouvoir s'embourgeoisent avec ostentation ;
* l'exode rural, vecteur de la taudisation rampante des agglomérations urbaines, du grand banditisme et de l'insécurité dans les villes ;
*la corruption et les détournements de deniers publics qui se manifestent par l'enrichissement illicite ; ils sont devenus un des fléaux majeurs de la société.
Il ne s'agit pas d'une énumération à la Prévert, mais ces quelques points permettent de se rendre compte de l'étendue du désastre. Arrêtons nous un instant sur un seul de ces points, à savoir la corruption et les détournements des deniers publics.
La corruption et les détournements des deniers publics
Lutter contre la corruption et les détournements des deniers publics, ce noble et respectable combat, applaudi des deux mains, avec force et enthousiasme, ne pouvait qu'emporter l'adhésion massive d'un peuple au rancart. Mais pourquoi diantre, avoir attendu plus de 15 ans au pouvoir avant de lancer enfin cette campagne de lutte contre la corruption et les détournements des deniers publics à la fin des années 90 ? Suspendue sans la moindre explication en 1999, elle est reprise seulement en 2006, sous la pression des bailleurs de fonds, alors que tous les clignotants étaient au rouge depuis les années 83-84. En effet en 1987, au cours d'une des très rares interviews accordées à un média local en 27 ans de règne, à la question d'un célèbre journaliste télé lui demandant pourquoi les poursuites n'étaient jamais engagées contre les détourneurs de fonds publics, le prince répondit avec aplomb et agressivité par une question en retour : "avez-vous des preuves ?"
Qu'est ce qui justifie finalement le déclenchement et la conduite d'une opération "Epervier" à tête chercheuse qui, non seulement fait le tri des justiciables selon leur docilité au prince, au nom du sacro-saint principe de l'opportunité des poursuites, mais condamne contre les évidences en appliquant des traitements discriminatoires aux victimes tombées dans les mailles du justicier ?
Le credo actuellement en vogue est que M. Biya a lancé une lutte sans merci contre les fléaux que sont la corruption et les détournements des deniers publics. Pour y voir plus clair, passons en revue les personnalités prises dans les mailles du filet de M. Biya.
T. Edzoa : (64 ans), ce professeur agrégé de chirurgie, Grand Maître dans l'Ordre mystique de la Rose Croix, a officié pendant plus d'une décennie en qualité de médecin personnel et de confident de M. Biya. Fidèle parmi les fidèles, tout puissant ministre Secrétaire Général de la Présidence de la République au milieu des années 90, il finit par être piégé par le prince. En effet, s'étant laissé berner par son mentor qui lui faisait croire que sa succession était ouverte, T Edzoa imprudemment, annonça officiellement en 1996 sa candidature à l'élection présidentielle de 1997. Par ailleurs, il avait osé effleurer la question de la gestion opaque de la Société Nationale des Hydrocarbures (Snh) dont il pouvait pourtant parler avec autorité pour en avoir été le Président du Conseil d'Administration (Pca) quelques mois plus tôt.
Dès lors commença son long et terrible chemin de croix avec comme point d'orgue, son inculpation pour détournement de deniers publics en 1997. Immédiatement incarcéré, il s'en tira notamment avec une condamnation à 15 ans d'emprisonnement ferme et confiscation de tous ses biens pour avoir été, prétend-on, l'auteur d'un détournement de fonds publics à hauteur de 335 millions de Fcfa. Il croupit toujours dans les geôles humides et obscures des sous-sols de la Gendarmerie Nationale à Yaoundé. D'autres chefs d'accusation restent pendants devant les juridictions.
A l'époque des faits, le célèbre écrivain Mongo Beti, véritable conscience nationale, commentant cette situation pour le moins insolite dans l'environnement local, s'écria en ces termes : "depuis quand met on les gens en prison au Cameroun pour avoir détourné les deniers publics ? N'est-ce pas le sport favori des Camerounais dans l'exercice du pouvoir ?". Après cette réflexion, accumulant démêlé sur démêlé avec les hommes au pouvoir, il s'est tu pour l'éternité. L'y a- t-on aidé?
P D Engo : (68 ans), ce brillant administrateur civil principal, originaire de la même région que M. Biya, est nommé au gouvernement 1979. Confirmé au poste de ministre de l'économie et du plan à l'arrivée au pouvoir de M. Biya, il en est bientôt remercié moins d'un an plus tard. Il est néanmoins placé à la tête de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale (Cnps) qu'il dirige pendant plus de 15 ans à partir de 1983. Ce tiroir-caisse de l'Etat, en plus des missions officielles, supplée fréquemment le trésor public dans le paiement des salaires des fonctionnaires et autres dépenses de souveraineté, en raison de l'effondrement des finances publiques. Membre du bureau politique, instance suprême du parti au pouvoir, P D Engo était perçu comme un proche de M. Biya quand il a la malencontreuse idée de créer et d'animer une association destinée à perpétuer la mémoire de Martin Paul Samba, grand résistant camerounais assassiné par la colonisation allemande au début du vingtième siècle. Le dynamisme de cette fondation, qui finit par faire de l'ombre à M. Biya dans son propre fief, devient un motif d'agacement pour le prince.
La goutte d'eau qui fait déborder le vase viendra de l'opposition de P D Engo à la braderie de la Cnps à un réseau mafieux corse appartenant à un ancien ministre français de l'intérieur dans les gouvernements de cohabitation. Le soutien de ce dernier à M. Biya a puissamment contribué à sauver son fauteuil présidentiel. Le prince décide alors d'éjecter P.D Endo de son poste de DG/Cnps pour le remplacer par son propre neveu. Ce dernier se charge de confectionner des dossiers accablants contre son prédécesseur. La cascade de procès qui en résultent verra P D Endo accusé puis condamné à 10 et à 15 ans de prison ferme assortie de la
A l'intention des lecteurs de Camer.be: Sondage, Internet et participation politique, Répondez à un questionnaire en ligne sur ce lien.