Camair-Co: Trous d`air en pleine escale

 


28 mars 2011-28 mars 2015, quatre ans déjà que la compagnie nationale aérienne a repris l’exploitation du ciel camerounais.


Bon an mal an, le transporteur peine à se frayer un chemin dans l’univers du transport aérien dans la sous-région comme sur le plan continental : flotte rachitique, effectifs obèses, dette pharaonique, gouvernance questionnable, sans compter que c’est la seule société d’Etat qui, en quatre ans, a connu autant de changements au niveau de son top management. Les zones de turbulences se démultiplient et la compagnie se trouve aux abois.

Les faits

Le 27 mars dernier, l’un des deux Boeing 737-700 de la compagnie nationale aérienne Camair-Co, ne peut pas effectuer les liaisons habituelles. La raison : l’autorité aéronautique (Ccaa), gendarme de l’aviation civile au Cameroun, a retiré à cet appareil son certificat de navigabilité. En fait, l’appareil, après un temps d’exploitation, doit aller en révision. Celle-ci aurait dû intervenir depuis le 27 février 2015. Mais, selon des sources concordantes, un mois plus tard, l’avion n’a pas fait le déplacement des ateliers occidentaux où il suit habituellement ses opérations de maintenance.
Du coup, les responsables de la société envisagent aussitôt de contrer cette décision contraignante qui grève leurs projections et crée de sérieux dommages aux clients. La présidence de la République et les services du Premier ministre organisent des réunions en vue de désamorcer cette énième crise. Mais rien n’y fait. «C’est une question de sécurité aérienne ; on ne peut pas jouer avec la vie des passagers. Si la compagnie ne peut se conformer à une simple révision, comment peut-elle valablement assurer le transport des biens et des personnes ? Et si un accident survient, qui paiera en leur nom», s’indigne-t-on au ministère des Transports.

Mais à Camair-Co, l’on parle de malentendus sur l’interprétation des procédures. «En aviation civile, quand un avion doit aller en révision et que le délai est échu, les textes internationaux prévoient qu’on accorde une marge de 10% sur le délai, et l’entreprise doit communiquer celui-ci à l’Autorité ; malheureusement on n’a pas pu le faire à temps et c’est cela qui nous cause cette situation que les deux parties sont en train d’arranger», confie-t-on au sein de l’entreprise. Jean-Paul Nana Sandjo, le directeur général se dit plutôt serein quant à l’issue de cette affaire qui est en train d’être solutionnée. Car, les deux sociétés sont en train d’accorder leurs violons pour une issue heureuse de cette crise.

Quatre ans après son lancement, après l’insolvabilité sur la location des avions ayant occasionné la séquestration d’un Boeing 737-700 à Paris le 7 juin 2014 pour un reliquat de 700 millions de Fcfa d’impayés, voici à nouveau la compagnie amputée d’un appareil, dans une flotte déjà chétive et rachitique où seuls trois avions seulement sont exploitation. Sans oublier qu’au cours de l’année 2014, à peine rentré de révision, le Dja qui effectue la liaison de Paris avait été bloqué pour amoncellement de factures de carburant impayées. Une situation que des sources proches du dossier et internes à Camair-Co, traduisent par une gestion à la petite semaine.
A l’heure du bilan, la note est plutôt amère, salée et acide : dette astronomique, pertes pharaoniques, taux de remplissage bas… Sur le plan du fonctionnement, la compagnie qui se trouve au bord d’un crash financier, lutte en permanence pour ne pas effectuer une sortie de piste. Créée le 11 septembre 2006 par un décret du chef de l’Etat, la compagnie vit une véritable instabilité sur le plan managérial. De Gilbert Mitonneau, premier directeur général nommé le 30 décembre 2008, l’on a vu passer tour à tour Alex Van Elk, Mathijs Boertien, Frédéric Mboto Edimo dont le bail a duré neuf mois, et depuis le 20 juin 2014, Jean Paul nana Sandjo.

A bord, outre les retards et les annulations de vols inexpliqués, les aéronefs de Camair-Co restent très peu attrayants notamment l’absence de vidéos et autres gadgets. Un faisceau de tares qui a fini par avoir raison des caisses de l’entreprise qui, aujourd’hui, ploie sous 30 milliards de Fcfa de dettes, dont cinq milliards de Fcfa à la Ccaa, plus de quatre milliards de Fcfa à Aéroports du Cameroun (Adc) et plus de 600 millions de Fcfa à l’Asecna (au 1er novembre 2012). «Nous avons trouvé des dettes de l’ordre de 25 milliards de Fcfa, un déficit structurel de 1,5 milliard de Fcfa par mois, 600 personnels et nous travaillons actuellement à ce que tout cela soit réglé», indique le directeur général. Le déficit à lui seul culmine à 18 milliards de Fcfa par an, pour des charges de 48 milliards de Fcfa et des recettes annuelles qui oscillent entre 24 et 30 milliards de Fcfa.
A ceci, viennent s’ajouter des problèmes de gouvernance notamment des magouilles accordant un système de préférences dont bénéficient certains cadres de la maison qui font voyager leurs familles gratuitement ou encore le trafics des pièces détachées d’avions, qui, à un moment, plombait la maintenance des aéronefs et non sans occasionner des surcoûts dans l’achat de celles-ci.

En 2012, un audit est commis au sein de la compagnie et décèle d’énormes irrégularités dans la gestion. Après la publication du rapport du cabinet Okalla Ahanda, contesté par l’ex-directeur général, Alex Van Elk, les députés manifestent au cours de la session budgétaire leur inquiétude quant à l’avenir du transporteur aérien. D’après les membres de la commission des finances, «la politique managériale et commerciale approximative (…) ne permet ni d’assurer un taux de remplissage acceptable des avions, encore moins une réduction des charges d’exploitation». Car, sur un total de 574 652 places possibles offertes par la compagnie aérienne entre mars et décembre 2011, seules 111 705 ont été effectivement occupées. Soit un taux de remplissage de 18%. D’après les chiffres du transport aérien 2014 publiés par la Ccaa, Camair-Co détient seulement 11% des parts de marché du trafic international, contre 21% à Air France et 13% à Brussels Airlines.
Pour ce qui concerne la gestion managériale déplorée par l’assemblée nationale, le rapport d’audit du commissariat aux comptes avait soulevé des problèmes surfacturation des coûts d’exploitation. Ainsi par exemple les dépenses d’exploitation liées au traitement des informations comptables et financières, étaient deux fois plus élevées ; à côté de cela, le rapport déplore l’absence de budget adopté par le conseil d’administration pour les exercices 2011 et 2012. Une situation qui a donné la latitude au directeur général de s’affranchir des contraintes liées au respect des normes budgétaires. Par exemple, la vente des billets d’avions s’est avérée catastrophique pour la compagnie qui, sur un chiffre d’affaires de 400 millions de Fcfa, a supporté des charges de l’ordre de 220 millions de Fcfa.
Les dépenses explosent alors que les recettes ne suivent pas. Sur 30 milliards de Fcfa de subventions reçues en 2012, les dépenses plafonnaient à 45 milliards de Fcfa. Camair-Co qui compte aujourd’hui 750 employés pour trois aéronefs poussifs, est dans l’attente d’une bouffée d’oxygène de 30 milliards de Fcfa lui permettant d’acquérir six nouveaux appareils.

Une enquête de Pierre Célestin Atangana



06/04/2015
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