CAMAIR-CO : L’HEURE EST LA GRANDE DÉBROUILLE !
Le directeur général croyait avoir reçu un cadeau du ciel. Il s’aperçoit, à ses doigts qui commencent à brûler, qu’on lui a plutôt refilé une patate chaude.
Jean-Pierre Nana Sandjo, le nouveau directeur général de la compagnie nationale de transports aériens n’en revient pas. En moins de cinq ans d’existence, la compagnie affiche des dettes de trente milliards. Sapristi ! Comment a-t-on pu creuser le trou comptable aussi loin en aussi peu de temps ? L’explication est pourtant simple. A la création de la nouvelle compagnie aérienne, un décret de Paul Biya, mal inspiré par ses conseillers techniques, a décidé que les « actifs et les passifs » de la défunte compagnie ne seront pas reversés à la nouvelle compagnie. Cette erreur du Président de la République a ouvert la voie à toutes les mésaventures. Après l’épisode des néerlandais, on s’est remis à parier sur les camerounais. Après Mbotto Edimo, prié d’aller faire valoir ses talents au quartier, les camerounais doivent apprendre à faire avec Jean-Pierre Nana Sandjo.
Baptême de feu pour un bleu
Le nouveau directeur général a presque les mêmes défauts que ses prédécesseurs néerlandais. Ils n’avaient aucune expérience de la gestion des entreprises aériennes, Van Elk et Matthijs Boertien au moins avaient l’avantage de directeur de compagnie ou de directeur des opérations. Mais lui, Nana Sanjo a tout juste l’expérience d’avoir vendu des pièces détachées aux directeurs successifs de la compagnie camerounaise. D’avoir su vendre des pièces détachées ne lui garantit pas qu’il est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Peu importe qu’il en ait vendu des tonnes. La preuve, aujourd’hui, lorsqu’il est passé de l’autre côté du miroir, il apprend à côtoyer une réalité qui n’est pas celle qu’il a connue jusque-là.
Il a au moins l’avantage qu’il sait écouter. Il sait écouter ? C’est en tout cas ce que soutiennent ses nouveaux amis. Voilà donc un directeur général d’une entreprise qui pense qu’il va mener la barque à force d’écouter. Et si personne ne voulait rien lui dire, il foncerait droit dans le mur. Nana Sanjo n’est pas seulement aimable de sa capacité d’écoute. Déjà, au contraire de Michel Fotso, il a mis un point d’honneur à tenir une comptabilité. Le fils du milliardaire ne s’encombrait pas de l’exercice. Mais comme d’habitude à la Camair, la comptabilité ne sert pas à faire ressortir les bénéfices, mais plutôt à compter les déficits. En seulement quatre années d’exploitation et un seul avion en propriété (et deux de location), on compte les dégâts comptables. 30 milliards de déficits, qu’il va falloir trouver pour rétablir les équilibres financiers. La banque Ecobank est prête à abouler le fric. Mais on a bien peur que le directeur général ne puisse pas redresser le navire.
Avec les trente milliards qu’il va négocier à Ecobank, il a un plan de développement d’une entreprise à la santé fringante. Il parle de prendre de nouveaux avions, dont un autre Boeing 767 pour ouvrir une liaison Douala-Dubaï. Il veut aussi acquérir quelques autres aéronefs, pour porter la flotte à 11 avions. Mais, dans la foulée, l’Etat du Cameroun, à travers les amis chinois, lui ont fait cadeau de deux autres avions à polémiques, les fameux Ma-60, dont on ne sait pas si la compagnie camerounaise en avait exactement besoin.
Nana Sanjo est le premier surpris de vertige à la vue du gouffre financier. Le Cameroun avec Essimi Menye au Ministère des Finances s’est déjà saigné de 34 milliards, sans compter les frais encourus pour le check-c en Irlande. Le fonds de roulement pour permettre à la compagnie de commencer l’exploitation a été prélevée sur l’emprunt obligataire Etat du Cameroun, une affectation qui n’était prévue nulle part dans la note d’intention de l’emprunt. Le Cameroun a joué aux Etats voyous.
À peine un an plus tard, Alex Van Elk, qui avait un nouvel allié au gouvernement en la personne du Premier ministre yang Philémon, demandait une rallonge de 17 milliards. L’argent dont il avait dare-dare besoin pour payer ses notes d’hôtel et ses factures de restaurant. a tout bien prendre, la Camair-Co ne traîne pas qu’un déficit de 30 milliards. C’est en termes d’actif net que la compagnie devra être évaluée. Si Camair-Co doit rembourser la totalité des sommes qu’elle a reçues de l’Etat actionnaire, elle sera déclarée en cessation de paiements.
Ne restera sur le bilan que la valeur résiduelle du Boeing 767-DJa, dont personne ne voudra même pour quinze milliards. C’est la couleur du baptême de feu pour Nana Sandjo. Ecobank, poker menteur pour 30 milliards Mbotto Edimo, le dernier directeur général de la Camair-Co, a été limogé pour ne s’être pas entendu avec son Pca sur la formule à adopter pour refinancer la compagnie. Nana Sanjo, qui se veut plus docile, a été trouver les trente milliards qu’il lui faut. C’est Ecobank, la banque panafricaine qui va les lui prêter. Mais l’argent ne servira pas à acheter les avions que promet Nana Sanjo pour gonfler la flotte de la compagnie à 11 avions. Il va s’en servir pour en prendre deux ou trois de location. Comme au temps de Michel Fotso. Comme disent les matheux, les mêmes causes produisent les mêmes effets, toutes choses égales par ailleurs. Le nouveau directeur général de Camair-Co a aussi le défaut de ne pas avoir l’entière maîtrise de sa gestion stratégique.
Les avions chinois n’entraient pas dans son plan de déploiement stratégique. on les lui a imposés et il devra les prendre en compte dans le bilan de la compagnie pour un plan d’exploitation qu’il n’a pas prévu. À l’heure des bilans, on va tomber sur des écarts grossiers entre l’investissement dans l’outil d’exploitation et son rendement. Les deux avions chinois à 34 milliards ne se refinanceront pas au bout d’une durée pertinente avant leur cycle d’amortissement prévu. C’est la grande débrouille, même si on se veut optimiste. Nana Sanjo est plutôt bien tombé. Il a la chance que le régime de Biya tient absolument à laisser à la postérité une compagnie de transport aérien, comme il en a hérité une du régime d’Ahmadou Ahidjo, mais qu’il a laissé mourir. Ce régime-là est donc disposé à mettre et à remettre la main à la poche pour sauver les meubles.
David Serge Behel
Cameroun Link 29 04 2015