Après trois prorogations et l’avènement du Sénat, le mandat des députés et des conseillers municipaux va enfin être renouvelé dans un contexte marqué par le désintérêt de la population pour la politique.Il ne reste que trois mois -un peu moins- aux partis politiques légalisés pour sélectionner leurs candidats aux prochaines élections législatives et municipales, et battre ensuite campagne.
Ils le feront sans doute devant des citoyens camerounais, pour la plupart désabusés par la chose politique et qui ne s’y intéressent désormais que lors des commentaires enflammés en buvant une bière dans l’un des nombreux bars qui jonchent les quartiers de nos villes.
Car, au moment où le président de la République signait, hier, 2 juillet 2013, le décret convoquant le corps électoral pour le 30 septembre 2013, le dépaysement de l’organe qu’il a mis en place pour gérer les élections, Elecam, traduisait à suffisance le désintérêt croissant des Camerounais pour les affaires publiques.
En effet, des centaines de cartes d’électeur, pour ceux qui s’étaient donné la peine de s’inscrire sur les listes électorales, sont encore en souffrance dans les points de collecte indiqués par Elecam dont le personnel n’était d’ailleurs pas lui-même mobilisé pour la cause ces dernières semaines. Bien plus, les électeurs ne se sont pas montrés enthousiastes pour aller s’inscrire, malgré une incitation inhabituelle organisée depuis deux ans par les pouvoirs publics et le parti dominant, le Rassemblement démocratique du peule camerounais(RDPC) déclinée en gratuité de l’établissement de la carte nationale d’identité, instauration de la biométrie, déplacements des postes d’inscription dans la rue,descentes permanentes des élites du parti au pouvoir dans l’arrièrepays, dans d’onéreuses campagnes de remobilisation…
Résultat des courses, l’élection présidentielle du 9 octobre 2011 avait attiré à peine sept millions d’électeurs sur un potentiel évalué au double, puisque la population du Cameroun est estimée à plus de 22 millions d’habitants dont plus de la moitié est en âge de voter. L’arrêt des nouvelles inscriptions consécutif à la convocation du corps électoral ne va pas permettre d’améliorer ces statistiques.
Pourquoi ce désintérêt des Camerounais pour la chose politique?
Corruption et manipulation
A l’observation, il apparaît qu’il y a un seul maître du jeu politique: le président de la République. Le reste des acteurs (électeurs, partis, médias, Elecam, observateurs internationaux) ignorent jusqu’au calendrier électoral, qui n’est connu qu’à la lecture des décrets présidentiels signés par doses homéopathiques.
En appuyant ainsi le 2 juillet sur son bouton magique du décret de convocation du corps électoral, revoilà l’attention des politiques braquée sur les prochaines élections législatives et municipales mais, sans emballement populaire. Elus pour cinq ans en 2007, les députés et conseillers municipaux actuels sont pourtant toujours en poste, par la magie de trois prorogations (la dernière signée le 27 juin dernier et accordant trois mois supplémentaires à ces élus) décidées dans la discrétion du décret du chef de l’Etat. Le site web de la présidence de la République du Camerounne se trompe pas en rappelant que le chef de l’Etat «est la clé de voûte du système politique camerounais».
Etant donc seul maître du jeu, le président de la République et son parti, le RDPC, dont il demeure le président national en charge notamment des investitures des candidats, ont des longueurs d’avance sur le reste de la population. Les Camerounais ont logiquement l’impression que les jeux sont faits à l’avance. Les enjeux politiques véritables se réduisant désormais à la bagarre entre élites du parti majoritaire, lesquelles ne se ménagentpas des coups bas, accentuant par là même le dégoût de la politique des Camerounais non politiquement apparentés.
C’est ce qui fait dire au socio-anthropologue Pierre Titi Nwel, dans son introduction à l’ouvrage Manuel d’éducation à la citoyenneté publié par le Service national Justice et paix de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun, qu’il «existe au Cameroun un grand nombre d’expatriés camerounais(…) Les expatriés camerounais sont ces compatriotes qui ne se sentent pas concernés par les consultations électorales, ou qui y sont exclus parun système opaque de participation à la vie politique».
Le pouvoir en place ne se presse pas pour signer le décret d’application de l’article 66 de la Constitution sur la déclaration des biens (lui aussi laissé à la discrétion du chef de l’Etat depuis 1996) qui permettrait pourtant d’avancer un peu plus dans la transparence en matière de gestion des affaires publiques.
On voulait distraire les Camerounais avec le football mais, même le sport-roi-qui ne gagne plus- n’amuse plus personne. Il est même devenu, au vu de ma comédie bouffonne de la Fécafoot en cours, l’illustration de la putréfaction de la vie publique au Cameroun.