Câbles de Wikileaks: Les Etats-Unis jugent Paul Biya et Ahmadou Ahidjo
YAOUNDE - 09 SEPT. 2011
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Dans un parallèle qu’il trace entre les deux régimes, Niels Marquardt trouve le premier président de la République charismatique et décisif et déplore le manque d’ambition et de vision qui caractérise son successeur; A l’opposé de celui d’Ahidjo, le régime de Biya est marqué par un endettement massif, une corruption généralisée et une opacité dans la gestion des recettes pétrolières; Par ailleurs, le diplomate américain indique que l’armée a été tribalisée sous le règne de l’actuel président.
Câbles de Wikileaks: Les années Biya et Ahidjo au scanner des Américains
Voici les notes transmises en 2006 par Niels Marquardt, alors ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun.
Résumé
Après 46 ans d’indépendance, le Cameroun n’a connu que deux présidents, Ahmadou Ahidjo (1960-1982) et Paul Biya (depuis 1982) ; Ahidjo, charismatique et homme de décision, a géré un Etat à parti unique (monolithique) où les citoyens n’avaient pas droit au leadership. Sous Ahidjo, l’économie était florissante, le pays présentait alors les indicateurs sociaux et économiques les plus élevés du continent. Depuis lors, Biya a transformé le pays en une démocratie multipartiste avec un accent sur les droits de l’homme et les libertés civiles. Son bilan économique par contre a été marqué par de lourdes dettes, la corruption, dix années d’une économie désastreuse et une chute vertigineuse des indicateurs sociaux. Depuis sa réélection en 2004, Biya semble réfléchir sur son héritage et a engagé son gouvernement dans une approche sérieuse de reforme économique et de restructuration qui commence à porter des fruits. La question cardinale est de savoir si Biya est capable d’ingéniosité pour contourner son héritage négatif de corruption, stagnation et négligence au cours des cinq prochaines années.
Fin de résumé
Le dilemme de Biya
Après 46 ans d’indépendance, le Cameroun n’a connu que deux présidents, Ahmadou Ahidjo (1960-1982) et Paul Biya (depuis 1982). En novembre 2005, la longévité du président Biya au pouvoir a dépassé celle d’Ahidjo ; il fait face à la limite constitutionnelle de mandat en 2011 quand il aura 78 ans. Cet d’anniversaire a conduit beaucoup de Camerounais à comparer les deux régimes. En fait, Ahidjo a bénéficié du temps et de la nostalgie dans cet examen lorsqu’on revoie sa présidence en rose comme une période de croissance, de développement sans crime ni corruption. La présidence de Biya a connu une dévaluation de la devise, une crise économique, une corruption endémique, des problèmes sociaux cruciaux à l’image du Vih/Sida mais, à l’inverse, Biya a quand même apporté une sorte de démocratie marquée par une indéniable ouverture des libertés civiques. Au finish, chacun des régimes a ses forces et ses faiblesses et tous les deux réunis reflètent le chemin emprunté par la plupart des pays africains, c'est-à-dire d’une économie initiale florissante après les indépendances à une économie à croissance limitée avec des reformes et une démocratie réelles en passant par la stagnation et plusieurs crises économiques.
Les hommes et leurs politiques
Ahmadou Ahidjo était un musulman du Nord Cameroun. Il a mis en place une structure basée sur un équilibre régional et ethnique qui domine encore le microcosme politique au Cameroun aujourd’hui. Cette structure tient compte de la distribution des postes ministériels et des nominations dans les grands corps de l’état, avec des postes clés réservés aux natifs des certaines régions. Réputé comme charismatique et homme de décision, Ahidjo a régulièrement parcouru le pays du nord au sud et de l’est à l’ouest et rencontre de nombreux citoyens. Il a centralisé son pouvoir autour de lui et de son bureau, prenant rapidement d’importantes décisions sur la base de sa propre connaissance du problème. Il a utilisé la force pour réprimer la rébellion dans le sud et les provinces anglophones avant et après l’indépendance. Pendant son règne, les droits de l’homme au Cameroun n’existaient pas ; C’était l’époque de l’état parti unique où les citoyens n’avaient pas droit au leadership d’une part et de d’autre part, il ne tolérait pas de corruption dans son gouvernement.
Paul Biya pris le pouvoir en 1982 par décret du président Ahidjo (Biya a été Premier ministre sous Ahidjo pendant 7 ans). C’était pour tenter d’apaiser la pression des bailleurs qui réclamaient de basculer vers la démocratie avec un changement nominal de régime alors qu’il continuerait à régner à travers Biya. Il s’est avéré que Biya avait ses propres ambitions et très vite, il a choisi son propre couloir. Beaucoup pensent que, en représailles, Ahidjo était derrière le coup d’état manqué de 1984. Ahidjo a nié ses allégations au cours d’une interview radiodiffusée un jour après le coup mais a ajouté que «si ses partisans étaient derrière ce coup, il réussirait». Ahidjo alla en exil volontaire au Sénégal où il mourut il y a quelques années. Ses restes mortuaires n’ont jamais été rapatriés pour être enterrés au Cameroun ce qui est devenu une source de tension politique et un point de polarisation entre les deux présidents.
Biya est un chrétien du Sud. Il est plus renfermé, voyageant rarement à l’intérieur du pays et dans les pays africains. A part ses voyages en Suisse, France et parfois l’Allemagne, il va rarement à l’étranger et se montre rarement en public. Il a perpétré la tradition politique d’équilibre ethnique et régional pour la plupart des postes gouvernementaux et concentrer le pouvoir entre ses mains. Son processus (style) de prise de décision est cependant très lent et délibéré, prenant la décision seulement après examen profond par lui-même et apports de plusieurs conseillers de confiance sur une trop longue période. (Par exemple, la formation d’un gouvernement prendrait des mois). Ainsi son processus de prise de décision est fatigant et ineffectif. La première décennie du règne de Biya a perpétré l’état parti unique marqué par des droits de l’homme bafoués surtout après la cascade de rumeurs de coup d’Etat des années 80. Depuis 1982, Biya s’est présenté trois fois aux élections, avec chaque élection progressivement plus libre et correcte que la précédente. Depuis 1992, le Cameroun a aussi connu ses partis politiques d’opposition (plusieurs centaines en fait) et une presse libre. De plus, le Cameroun a connu une amélioration nette du respect des droits de l’homme au cours de six dernières années.
Une autre différence de taille entre les deux hommes est que durant le règne de Biya, le régime militaire a pris un relent tribal réel. Alors que l’équilibre ethnique reste de mise dans l’ensemble des Forces armées en général, la garde présidentielle entière et la plupart des officiers généraux sont Béti, membres de l’ethnie de Biya. Beaucoup pensent que la réaction de Biya à la tentative de coup d’état de 1984 était de promouvoir les bétis (les seuls en qui il a vraiment confiance) à des postes supérieurs de commandement militaire. D’autres pensent que cela reflète la volonté des membres de la région de Biya de conserver le pouvoir en créant un corps militaire qui empêcherait tout non sudiste d’accéder au pouvoir.
En 1996, une nouvelle Constitution entérine certaines avancées de Biya en matière de démocratie et élabore une feuille de route pour la décentralisation du pouvoir de la capitale aux provinces. Cependant cette Constitution reste à moitié appliquée avec beaucoup de problèmes encore réglementés par la constitution de 1972. L’élection de 2004 était la dernière de Biya sous la Constitution de 1996. En 2011, les Camerounais vont pour la première fois élire un nouveau président.
L’héritage économique
Sous Ahidjo, le Cameroun avait les indicateurs sociaux et économiques les plus élevés d’Afrique. Le PIB, l’espérance de vie et les salaires du personnel de l’Etat étaient élevés et le chômage faible. Les revenus du Cameroun dépendaient de plusieurs secteurs agricoles et il profitait de la hausse des prix mondiaux des denrées agricoles à la fin des années soixante dix. Ahidjo utilisait ces revenus dans les plans concertés de développement quinquennaux. Les produits étaient régulés et vendus par des sociétés para publiques afin d’assurer un maximum de revenus à la fois à l’Etat et aux producteurs (paysans), réduisant le développement d’un secteur privé. Une grande partie du Cameroun moderne a été pensée et construite sous Ahidjo. Le régime d’Ahidjo a aussi généré certains des meilleurs produits du Cameroun comme sa main d’oeuvre bien formée. Bénéficiant de l’héritage colonial en matière de tradition et de structures éducatives, le Cameroun a généré de nombreux lettrés et des travailleurs éduqués.
L’héritage économique de Biya est mi-figue mi-raisin. Après la découverte du pétrole en 1977, les revenus générés par le pétrole ont fait croire au Cameroun qu’il pouvait emprunter pour couvrir les pertes dues à la chute de cours mondiaux des produits agricoles. Essayant de supporter les lourdes subventions des structures para publiques construites sous Ahidjo, le Cameroun a commencé à encourir une lourde charge de dettes. Ce qui a été aggravé par les effets dévastateurs de la dévaluation du franc CFA (fixé à un taux fixe depuis 1958). La fin des années 80 était une période de sévère récession de laquelle le Cameroun est en train de sortir.
En 1988, le Cameroun a commencé ses premiers efforts pour faire face à la crise financière en se soumettant au programme du FMI. Les 50% de dévaluation du CFA ont permis de stimuler quelque croissance dans l’économie mais les problèmes structuraux sous-jacents causés par le service publique, le grand nombre de sociétés para étatiques et la lourde dette exigent serrer sérieusement la ceinture. En réponse à l’exigence initiale du FMI demandant la réduction de moitié des salaires des personnels de la fonction publique, le gouvernement Biya a conservé tous les postes mais réduit les salaires de moitié. Brusquement, en deux ans, une large frange de la main d’oeuvre a perdu 75% du pouvoir d’achat. Beaucoup pensent que cet effet était le point de départ de problèmes de corruption que l’on connaît, car chacun exploite les opportunités que lui offre sa position dans l’échiquier. L’incertitude du travail, résultant de multiples programmes du FMI (qui a obligé les privatisations et les liquidations de sociétés para publiques) a aussi plongé beaucoup de doute et d’instabilité dans la bataille pour le travail.
Après beaucoup de faux départs et de détours, le Cameroun a finalement atteint le point de pays pauvre très endettés le 28 avril. Ceci permettra la remise de près de 2/3 de dette extérieure. Les plans de Biya consistent à utiliser les bénéfices de cette remise de dette combinés à une solide campagne anti-corruption, pour favoriser des changements économiques positifs. Les objectifs sont d’investir lourdement sur la santé et l’éducation pour faire face aux problèmes causés par le Sida et le paludisme et de ramener le niveau et les standards de l’éducation au niveau de ceux de l’ère Ahidjo. Les infrastructures, spécialement à Douala et certaines routes, nécessitent d’être également refaites.
Paul Biya préoccupé par son héritage ?
En 1991, au cours d’une interview sur une chaîne de télévision française, Biya a déclaré qu’il aimerait qu’on se rappelle de lui comme «l’homme qui a apporté la démocratie au Cameroun». Mais depuis sa réélection en 2004, Biya semble réviser son héritage et sa vision. Pendant que politiquement, il semble laisser d’assez bons points, économiquement, le Cameroun présente au mieux un visage mitigé et n’est certainement pas le pays dont Biya a hérité. En effet, Biya a demandé avec rhétorique à un ambassadeur «Quelle fierté aurai-je si je laissais le Cameroun dans cet état aujourd’hui ?».
Depuis 2004, Biya a engagé son gouvernement dans une sérieuse approche économique et de restructuration qui a aboutit au point d’achèvement PPTE. Il n’est cependant pas clair si ces réformes sont assez profondes pour produire des avancées économiques importantes en 2011 avant l’élection présidentielle. Malgré des sérieux efforts pour combattre la corruption, qui pourraient relever les indicateurs économiques et sociaux, si dans l’ensemble les résultats économiques ne sont pas à la hauteur des objectifs de Biya, l’on se demande si Biya pensera que sont héritage politique est suffisant pour laisser le pouvoir à la fin de son mandat constitutionnel, ou s’il voudra essayer de briguer un autre mandat afin de laisser un véritable héritage.
Commentaire
Le questionnement compliqué de Biya sur l’héritage qu’il va laisser suggère la question de savoir qui sera candidat à la présidence. Spécialement avec une opposition qui est en désarroi, le RDPC de Biya reste le seul parti à pouvoir proposer un candidat viable. Il y a actuellement comme un jeu de pouvoir au sein du RDPC, surtout par les sudistes qui essaient de s’assurer que la présidence ne leur échappe. La tradition au Cameroun veut que le pouvoir reparte au Nord (comme te dira tout nordiste). Mais si la fracture est très profonde, Biya peut pourrait prétendre que le pays n’est pas suffisamment prêt pour la transition, et chercher à changer la Constitution pour lui ouvrir les portes d’un autre mandat. Cependant, nous pensons qu’aucune prédiction ne donnerait Biya essayant de chercher un mandat additionnel. Avec sa jeune femme et famille, sa maison de retraite en construction non loin de l’ambassade, et son ardeur pour la mise en oeuvre des réformes, semblent à notre avis montrer une personne qui a décidé de vivre ses derniers jours hors de fonction publique. Les aspirations d’héritage mises de côté, son âge et sa santé sont d’importants paramètres qui peuvent l’obliger à écourter son mandat constitutionnel actuel. Notre avis est que Biya est concentré sur son héritage et travaille pour assurer qu’il aura atteint ses objectifs en 2011. Les mesures engagées pour atteindre le point d’achèvement PPTE, pour combattre la corruption, et pour amener le Cameroun vers les challenges d’éligibilité du Millenium représente de plus en plus des changements fondamentaux de la structure politique, économique, et sociale du Cameroun. Tout ceci augure une opportunité aux Camerounais d’élire un nouveau président en 2011.
Source: Wikileaks.org
© Mutations
Dans un parallèle qu’il trace entre les deux régimes, Niels Marquardt trouve le premier président de la République charismatique et décisif et déplore le manque d’ambition et de vision qui caractérise son successeur; A l’opposé de celui d’Ahidjo, le régime de Biya est marqué par un endettement massif, une corruption généralisée et une opacité dans la gestion des recettes pétrolières; Par ailleurs, le diplomate américain indique que l’armée a été tribalisée sous le règne de l’actuel président.
Câbles de Wikileaks: Les années Biya et Ahidjo au scanner des Américains
Voici les notes transmises en 2006 par Niels Marquardt, alors ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun.
Résumé
Après 46 ans d’indépendance, le Cameroun n’a connu que deux présidents, Ahmadou Ahidjo (1960-1982) et Paul Biya (depuis 1982) ; Ahidjo, charismatique et homme de décision, a géré un Etat à parti unique (monolithique) où les citoyens n’avaient pas droit au leadership. Sous Ahidjo, l’économie était florissante, le pays présentait alors les indicateurs sociaux et économiques les plus élevés du continent. Depuis lors, Biya a transformé le pays en une démocratie multipartiste avec un accent sur les droits de l’homme et les libertés civiles. Son bilan économique par contre a été marqué par de lourdes dettes, la corruption, dix années d’une économie désastreuse et une chute vertigineuse des indicateurs sociaux. Depuis sa réélection en 2004, Biya semble réfléchir sur son héritage et a engagé son gouvernement dans une approche sérieuse de reforme économique et de restructuration qui commence à porter des fruits. La question cardinale est de savoir si Biya est capable d’ingéniosité pour contourner son héritage négatif de corruption, stagnation et négligence au cours des cinq prochaines années.
Fin de résumé
Le dilemme de Biya
Après 46 ans d’indépendance, le Cameroun n’a connu que deux présidents, Ahmadou Ahidjo (1960-1982) et Paul Biya (depuis 1982). En novembre 2005, la longévité du président Biya au pouvoir a dépassé celle d’Ahidjo ; il fait face à la limite constitutionnelle de mandat en 2011 quand il aura 78 ans. Cet d’anniversaire a conduit beaucoup de Camerounais à comparer les deux régimes. En fait, Ahidjo a bénéficié du temps et de la nostalgie dans cet examen lorsqu’on revoie sa présidence en rose comme une période de croissance, de développement sans crime ni corruption. La présidence de Biya a connu une dévaluation de la devise, une crise économique, une corruption endémique, des problèmes sociaux cruciaux à l’image du Vih/Sida mais, à l’inverse, Biya a quand même apporté une sorte de démocratie marquée par une indéniable ouverture des libertés civiques. Au finish, chacun des régimes a ses forces et ses faiblesses et tous les deux réunis reflètent le chemin emprunté par la plupart des pays africains, c'est-à-dire d’une économie initiale florissante après les indépendances à une économie à croissance limitée avec des reformes et une démocratie réelles en passant par la stagnation et plusieurs crises économiques.
Les hommes et leurs politiques
Ahmadou Ahidjo était un musulman du Nord Cameroun. Il a mis en place une structure basée sur un équilibre régional et ethnique qui domine encore le microcosme politique au Cameroun aujourd’hui. Cette structure tient compte de la distribution des postes ministériels et des nominations dans les grands corps de l’état, avec des postes clés réservés aux natifs des certaines régions. Réputé comme charismatique et homme de décision, Ahidjo a régulièrement parcouru le pays du nord au sud et de l’est à l’ouest et rencontre de nombreux citoyens. Il a centralisé son pouvoir autour de lui et de son bureau, prenant rapidement d’importantes décisions sur la base de sa propre connaissance du problème. Il a utilisé la force pour réprimer la rébellion dans le sud et les provinces anglophones avant et après l’indépendance. Pendant son règne, les droits de l’homme au Cameroun n’existaient pas ; C’était l’époque de l’état parti unique où les citoyens n’avaient pas droit au leadership d’une part et de d’autre part, il ne tolérait pas de corruption dans son gouvernement.
Paul Biya pris le pouvoir en 1982 par décret du président Ahidjo (Biya a été Premier ministre sous Ahidjo pendant 7 ans). C’était pour tenter d’apaiser la pression des bailleurs qui réclamaient de basculer vers la démocratie avec un changement nominal de régime alors qu’il continuerait à régner à travers Biya. Il s’est avéré que Biya avait ses propres ambitions et très vite, il a choisi son propre couloir. Beaucoup pensent que, en représailles, Ahidjo était derrière le coup d’état manqué de 1984. Ahidjo a nié ses allégations au cours d’une interview radiodiffusée un jour après le coup mais a ajouté que «si ses partisans étaient derrière ce coup, il réussirait». Ahidjo alla en exil volontaire au Sénégal où il mourut il y a quelques années. Ses restes mortuaires n’ont jamais été rapatriés pour être enterrés au Cameroun ce qui est devenu une source de tension politique et un point de polarisation entre les deux présidents.
Biya est un chrétien du Sud. Il est plus renfermé, voyageant rarement à l’intérieur du pays et dans les pays africains. A part ses voyages en Suisse, France et parfois l’Allemagne, il va rarement à l’étranger et se montre rarement en public. Il a perpétré la tradition politique d’équilibre ethnique et régional pour la plupart des postes gouvernementaux et concentrer le pouvoir entre ses mains. Son processus (style) de prise de décision est cependant très lent et délibéré, prenant la décision seulement après examen profond par lui-même et apports de plusieurs conseillers de confiance sur une trop longue période. (Par exemple, la formation d’un gouvernement prendrait des mois). Ainsi son processus de prise de décision est fatigant et ineffectif. La première décennie du règne de Biya a perpétré l’état parti unique marqué par des droits de l’homme bafoués surtout après la cascade de rumeurs de coup d’Etat des années 80. Depuis 1982, Biya s’est présenté trois fois aux élections, avec chaque élection progressivement plus libre et correcte que la précédente. Depuis 1992, le Cameroun a aussi connu ses partis politiques d’opposition (plusieurs centaines en fait) et une presse libre. De plus, le Cameroun a connu une amélioration nette du respect des droits de l’homme au cours de six dernières années.
Une autre différence de taille entre les deux hommes est que durant le règne de Biya, le régime militaire a pris un relent tribal réel. Alors que l’équilibre ethnique reste de mise dans l’ensemble des Forces armées en général, la garde présidentielle entière et la plupart des officiers généraux sont Béti, membres de l’ethnie de Biya. Beaucoup pensent que la réaction de Biya à la tentative de coup d’état de 1984 était de promouvoir les bétis (les seuls en qui il a vraiment confiance) à des postes supérieurs de commandement militaire. D’autres pensent que cela reflète la volonté des membres de la région de Biya de conserver le pouvoir en créant un corps militaire qui empêcherait tout non sudiste d’accéder au pouvoir.
En 1996, une nouvelle Constitution entérine certaines avancées de Biya en matière de démocratie et élabore une feuille de route pour la décentralisation du pouvoir de la capitale aux provinces. Cependant cette Constitution reste à moitié appliquée avec beaucoup de problèmes encore réglementés par la constitution de 1972. L’élection de 2004 était la dernière de Biya sous la Constitution de 1996. En 2011, les Camerounais vont pour la première fois élire un nouveau président.
L’héritage économique
Sous Ahidjo, le Cameroun avait les indicateurs sociaux et économiques les plus élevés d’Afrique. Le PIB, l’espérance de vie et les salaires du personnel de l’Etat étaient élevés et le chômage faible. Les revenus du Cameroun dépendaient de plusieurs secteurs agricoles et il profitait de la hausse des prix mondiaux des denrées agricoles à la fin des années soixante dix. Ahidjo utilisait ces revenus dans les plans concertés de développement quinquennaux. Les produits étaient régulés et vendus par des sociétés para publiques afin d’assurer un maximum de revenus à la fois à l’Etat et aux producteurs (paysans), réduisant le développement d’un secteur privé. Une grande partie du Cameroun moderne a été pensée et construite sous Ahidjo. Le régime d’Ahidjo a aussi généré certains des meilleurs produits du Cameroun comme sa main d’oeuvre bien formée. Bénéficiant de l’héritage colonial en matière de tradition et de structures éducatives, le Cameroun a généré de nombreux lettrés et des travailleurs éduqués.
L’héritage économique de Biya est mi-figue mi-raisin. Après la découverte du pétrole en 1977, les revenus générés par le pétrole ont fait croire au Cameroun qu’il pouvait emprunter pour couvrir les pertes dues à la chute de cours mondiaux des produits agricoles. Essayant de supporter les lourdes subventions des structures para publiques construites sous Ahidjo, le Cameroun a commencé à encourir une lourde charge de dettes. Ce qui a été aggravé par les effets dévastateurs de la dévaluation du franc CFA (fixé à un taux fixe depuis 1958). La fin des années 80 était une période de sévère récession de laquelle le Cameroun est en train de sortir.
En 1988, le Cameroun a commencé ses premiers efforts pour faire face à la crise financière en se soumettant au programme du FMI. Les 50% de dévaluation du CFA ont permis de stimuler quelque croissance dans l’économie mais les problèmes structuraux sous-jacents causés par le service publique, le grand nombre de sociétés para étatiques et la lourde dette exigent serrer sérieusement la ceinture. En réponse à l’exigence initiale du FMI demandant la réduction de moitié des salaires des personnels de la fonction publique, le gouvernement Biya a conservé tous les postes mais réduit les salaires de moitié. Brusquement, en deux ans, une large frange de la main d’oeuvre a perdu 75% du pouvoir d’achat. Beaucoup pensent que cet effet était le point de départ de problèmes de corruption que l’on connaît, car chacun exploite les opportunités que lui offre sa position dans l’échiquier. L’incertitude du travail, résultant de multiples programmes du FMI (qui a obligé les privatisations et les liquidations de sociétés para publiques) a aussi plongé beaucoup de doute et d’instabilité dans la bataille pour le travail.
Après beaucoup de faux départs et de détours, le Cameroun a finalement atteint le point de pays pauvre très endettés le 28 avril. Ceci permettra la remise de près de 2/3 de dette extérieure. Les plans de Biya consistent à utiliser les bénéfices de cette remise de dette combinés à une solide campagne anti-corruption, pour favoriser des changements économiques positifs. Les objectifs sont d’investir lourdement sur la santé et l’éducation pour faire face aux problèmes causés par le Sida et le paludisme et de ramener le niveau et les standards de l’éducation au niveau de ceux de l’ère Ahidjo. Les infrastructures, spécialement à Douala et certaines routes, nécessitent d’être également refaites.
Paul Biya préoccupé par son héritage ?
En 1991, au cours d’une interview sur une chaîne de télévision française, Biya a déclaré qu’il aimerait qu’on se rappelle de lui comme «l’homme qui a apporté la démocratie au Cameroun». Mais depuis sa réélection en 2004, Biya semble réviser son héritage et sa vision. Pendant que politiquement, il semble laisser d’assez bons points, économiquement, le Cameroun présente au mieux un visage mitigé et n’est certainement pas le pays dont Biya a hérité. En effet, Biya a demandé avec rhétorique à un ambassadeur «Quelle fierté aurai-je si je laissais le Cameroun dans cet état aujourd’hui ?».
Depuis 2004, Biya a engagé son gouvernement dans une sérieuse approche économique et de restructuration qui a aboutit au point d’achèvement PPTE. Il n’est cependant pas clair si ces réformes sont assez profondes pour produire des avancées économiques importantes en 2011 avant l’élection présidentielle. Malgré des sérieux efforts pour combattre la corruption, qui pourraient relever les indicateurs économiques et sociaux, si dans l’ensemble les résultats économiques ne sont pas à la hauteur des objectifs de Biya, l’on se demande si Biya pensera que sont héritage politique est suffisant pour laisser le pouvoir à la fin de son mandat constitutionnel, ou s’il voudra essayer de briguer un autre mandat afin de laisser un véritable héritage.
Commentaire
Le questionnement compliqué de Biya sur l’héritage qu’il va laisser suggère la question de savoir qui sera candidat à la présidence. Spécialement avec une opposition qui est en désarroi, le RDPC de Biya reste le seul parti à pouvoir proposer un candidat viable. Il y a actuellement comme un jeu de pouvoir au sein du RDPC, surtout par les sudistes qui essaient de s’assurer que la présidence ne leur échappe. La tradition au Cameroun veut que le pouvoir reparte au Nord (comme te dira tout nordiste). Mais si la fracture est très profonde, Biya peut pourrait prétendre que le pays n’est pas suffisamment prêt pour la transition, et chercher à changer la Constitution pour lui ouvrir les portes d’un autre mandat. Cependant, nous pensons qu’aucune prédiction ne donnerait Biya essayant de chercher un mandat additionnel. Avec sa jeune femme et famille, sa maison de retraite en construction non loin de l’ambassade, et son ardeur pour la mise en oeuvre des réformes, semblent à notre avis montrer une personne qui a décidé de vivre ses derniers jours hors de fonction publique. Les aspirations d’héritage mises de côté, son âge et sa santé sont d’importants paramètres qui peuvent l’obliger à écourter son mandat constitutionnel actuel. Notre avis est que Biya est concentré sur son héritage et travaille pour assurer qu’il aura atteint ses objectifs en 2011. Les mesures engagées pour atteindre le point d’achèvement PPTE, pour combattre la corruption, et pour amener le Cameroun vers les challenges d’éligibilité du Millenium représente de plus en plus des changements fondamentaux de la structure politique, économique, et sociale du Cameroun. Tout ceci augure une opportunité aux Camerounais d’élire un nouveau président en 2011.
Source: Wikileaks.org