Burkina Faso:Me HALIDOU OUEDRAOGO A PROPOS DU CRASH DU VOL D’AIR ALGERIE: « L’avion peut avoir été abattu »

 

Halidou Ouedraogo:Camer.beComme Me Halidou Ouédraogo, ils sont nombreux les parents qui ont perdu leurs enfants, proches ou amis dans le crash du vol AH 5017 d’Air Algérie, survenu le 24 juillet 2014 et qui a fait 116 victimes. Le 4 août dernier, les familles des victimes créaient une association dénommée Association des familles des victimes du crash AH 5017 de la compagnie Air Algérie (AFVCCAA) dont Halidou Ouédraogo est le président. Nous l’avons rencontré dans son cabinet, le 11 août 2014, pour en savoir davantage sur cette association et les actions qu’elle entend entreprendre pour que « toute la lumière soit faite sur cette affaire ». Toujours sous le choc de la disparition de sa fille, il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère pour dire ses vérités à ceux qui s’occupent de cette affaire.

« Le Pays » : Comment avez-vous accueilli le premier rapport du Bureau français d’analyse sur le crash ?

Me Halidou Ouédraogo : Nous l’avons reçu avec lucidité, si bien que je puis vous dire que le rapport livré par le Bureau français d’analyse ne nous apprend pas grand-chose. L’intervention des autorités françaises, le 24 juillet dernier, notamment celles du président François Hollande et de son ministre Laurent Fabius, a complété l’intervention du comité de crise des autorités burkinabè. Depuis ce jour, nous n’avons pas eu d’éléments nouveaux. Cet accident, à notre sens, est survenu de façon spéciale, obscure et bizarre. Nous n’avons pas la réponse à nos préoccupations parce qu’on nous donne un certain nombre de paramètres. Si vous avez très bien suivi le début de cet incident, le premier point à relever est que l’endroit du crash n’avait pas pu être déterminé dès les premiers moments. Les autorités maliennes disaient que l’avion avait crashé à Kidal, la France n’avait pas de données. Elle a déplacé deux mirages pour chercher le lieu du crash. Ce sont les autorités burkinabè qui ont localisé l’épave de l’avion à 150 Kilomètres de Djibo, à Gossi. Le second point, c’est la nature de la chute de l’avion. A cet effet, on ne peut pas s’empêcher de se poser un certain nombre de questions : l’avion a-t-il été pris dans la tempête ? A-t-il eu une panne technique ? A-t-il été heurté par un objet non identifié du genre un missile ou un drone ? Eux-mêmes, ils ne le savent pas, si bien qu’on a cheminé ainsi jusqu’à ces derniers jours où ils ont pu nous dire que l’avion a évité la tempête aux environs de Niamey, puis est monté en zigzagant à 10 000 mètres et est redescendu à 4 000 mètres, et plus rien car il n’y a plus eu de communication. C’est un grand mystère à ce niveau, parce que ce n’est pas normal. Un avion n’est pas si aveugle que ça. Ce n’est pas un tracteur. Il est bien doté d’instruments sophistiqués qui sont de nature à donner des renseignements sur son itinéraire, sa situation géographique, ses difficultés et éventuellement son lieu de chute. Je le dis parce que très vite, on a retrouvé 2 éléments essentiels, à savoir les 2 boîtes noires de l’avion alors que généralement, on met des mois pour les trouver. Pour l’avion qui a crashé en Ukraine, celui qui a disparu dans l’océan et l’autre qui a crashé en Chine, très vite, les incidents ont été reconstitués. Les restes des corps ont été rapatriés et ont été remis aux parents des victimes. Mais à notre niveau, nous n’avons rien. Donc, ce que nous voulons, c’est la vérité pour pouvoir situer les responsabilités parce qu’un avion est différent d’une voiture. Il y a des accidents d’avion mais cela arrive rarement. Ça nous est arrivé et nous l’avons reçu comme un coup de massue. Nous avons noté qu’il y a des efforts pour identifier les restes des corps, s’il y en a, afin de nous les restituer et qu’il y a des enquêtes qui sont ouvertes à Bamako au Mali et à Paris en France. Ce qui est louable. Nous avons été auditionnés en enquête préliminaire, nos ADN ont été prélevés. Bref, il a une conjugaison d’efforts qui se fait. Tout ce que nous voulons, c’est noter cela pour pouvoir suivre de près la suite de l’enquête. Voilà les circonstances dans lesquelles nous avons appris l’accident de l’avion et les préoccupations qui nous taraudent l’esprit jusque-là. C’est pourquoi nous avons créé une association des parents des victimes de ce crash, pour pouvoir aider à faire la lumière afin d’organiser le deuil et pérenniser la mémoire de nos chers disparus.

Parlant de boîtes noires, il paraît qu’une des boîtes est endommagée

Nous ne sommes pas des spécialistes. Mais, on nous a dit que les boîtes noires sont entourées d’une précaution extraordinaire. Elles sont rivées et tellement protégées qu’elles ne peuvent pas être aussi endommagées que cela. Par ailleurs, on dit que l’avion s’est désagrégé alors qu’on ne trouve même pas le reste de l’avion. S’il est vrai que l’avion a chuté directement au sol, c’est indéniable qu’il n’y ait pas d’impact au sol. Comment se fait-il que l’avion ait explosé au sol et non pas en l’air sans qu’on ne soit même pas capable de nous dire dans quelles conditions les boîtes ont été trouvées ? Pourquoi ont-elles été endommagées ? Il paraît qu’elles auraient été envoyées à des spécialistes. Donc, nous attendons mi-septembre pour encore les écouter et nous espérons que la lumière sera faite sur la question. Dans tous les cas, nous suivons et nous ne sommes pas prêts à en démordre.

Qu’est-ce qui a pu bien bouger depuis la survenue du crash ?

Le premier point qui a bougé, c’est l’approfondissement de la douleur des parents des victimes car ils sont désorientés, même s’il y a des efforts qui ont été faits pour effectivement répondre à leurs préoccupations. Jusqu’à présent, il n’y a pas d’action digne de grande réponse. Nous sommes en train de suivre cette affaire. Il n’y a pas de carence de contact puisque nous sommes en contact permanent avec le Comité de crise à Ouagadougou. Nos membres sont en contact avec les différents comités mis en place. Du point de vue psychologique, les parents des victimes que nous sommes, sommes suivis. Nous avons tous déjà été auditionnés en enquête préliminaire. Aussi, nous avons tous été l’objet de prélèvement d’ADN. Donc, on ne peut pas affirmer que ça n’a pas bougé. A présent, nous sommes en train de travailler à rendre notre association à la fois publique et civile pour pouvoir avoir accès aux dossiers et mieux suivre l’enquête.

Parlant des parents des victimes du crash de l’avion, quelles sont vos attentes ?

C’est une lapalissade que de dire que nous avons perdu nos parents. Personne ne peut nous les rendre. A ce niveau, c’est le vide ; nous ne pouvons rien attendre. Mais, ce à quoi on peut s’attendre, c’est d’avoir la preuve qu’ils sont morts au moins. C’est curieux de le dire, mais un mort ça s’enterre ; on crée un lieu où on peut honorer sa mémoire. Une des grandes attentes, c’est de les identifier et de nous remettre leurs restes. A défaut de cela, nous avons posé un certain nombre de revendications, de demandes au nombre desquelles figure l’érection d’un mausolée ou d’une stèle à la mémoire des disparus. Tout cela sera examiné, selon le gouvernement burkinabè. Aussi, nous avons eu des assurances de l’autre côté. Cela peut se faire sur le lieu supposé du crash, et à Ouagadougou. Mais notre attente est que justice se fasse et que toute la lumière soit faite. Parce que si vous prenez un avion qui n’est pas assuré, vous prenez un coucou au lieu d’un grand Boeing, un gros porteur, pour transporter 116 passagers de Ouagadougou à Alger et d’Alger à Paris, si vous n’avez pas de gilets de sauvetage, pas de ceinture de sécurité dans un avion, il est clair que si vous mettez l’accent sur les gains que vous allez avoir, c’est sûr que votre responsabilité est énorme. Et nous entendons mettre en lumière ces responsabilités-là. Vous avez entendu les membres de la commission d’enquête dire que l’avion n’est pas algérien, que l’équipage n’est pas algérien. Mais nous n’en avons cure. L’avion bat pavillon Algérie. Qu’il ait été loué à San Francisco ou en Espagne, c’est Air Algérie. Pour nous, la responsabilité ne fait pas de doute. Il y a d’autres responsabilités, d’autres situations qu’il faut relever pour éviter que demain, on ne prenne encore nos enfants pour aller les jeter. Nos attentes, c’est une sécurisation de l’espace aérien burkinabè, africain et international.

Avez-vous des contacts avec les responsables d’Air Algérie ?

Quand on crée une association, c’est pour avoir des contacts. Tout cela va être passé au peigne fin. Dès que nous aurons notre récépissé, nous allons effectivement entrer en contact plus approfondi avec ces acteurs-là. Parce que nous avons reçu des lettres de solidarité, de condoléances des ambassades de France, d’Algérie, de Suisse, d’Allemagne. Le gouvernement d’ici a monté des comités de crise et notre association est née effectivement pour être le troisième bras des parents des victimes.

Vous avez déclaré sur une chaîne étrangère qu’ « il y a trop de zones d’ombres dans cette affaire ». Qu’insinuez-vous par « trop de zones d’ombres » ?


A la lumière de mon exposé, n’avez-vous pas perçu ces zones d’ombres ? On nous a d’abord dit qu’il y avait 118 passagers pour ensuite revenir dire 116. Où sont passés les deux autres passagers ? On nous a dit que l’avion n’est pas algérien, de même que l’équipage. Doit-on dire cela à quelqu’un qui a perdu son parent ? Est-ce une méconnaissance de la règle élémentaire de l’aviation ? Quand l’avion ou le bâteau bat pavillon, il est directement identifié. On nous a dit que l’avion a crashé à Kidal mais en réalité il a crashé à côté de Djibo. Il est vrai qu’on fait frontière avec Kidal mais il est loin de Djibo. N’est-ce pas ça une zone d’ombre ? Sur le lieu du crash, il n’y a aucun reste. C’est comme si l’avion et son contenu s’étaient volatilisés, puisqu’il n’y a pas de corps. Parce que même en cas d’accident d’avion, il y a des survivants. Le président algérien, Aziz Bouteflika, je m’excuse de le dire, a survécu à un accident d’avion. Parce que l’avion a crashé, il s’est levé et a marché et il est président aujourd’hui. Mais pour moi, ça suffit parce que je n’ai pas ma fille. Je l’ai vue deux heures avant qu’elle ne meure. Ça c’est une zone d’ombre. Ce n’est pas normal parce que quand tu entres dans un avion, on commence par te dire : « Voici la ceinture de sécurité, on l’attache ainsi. En cas d’incident, regardez sous votre siège, il y a des gilets et même des parachutes ». Au départ, on avait annoncé qu’il y avait même des survivants, que des corps avaient été identifiés. Mais à la fin, il n’y a rien. Il y a un cratère béant et de petits morceaux de carrelets, c’est tout. Il n’y a ni train d’atterrissage, ni gouvernail ; il n’y a rien. Je peux continuer ainsi, en tant que père ? Pour moi, c’est un mystère. J’ai lu quelque part qu’en 1947, l’avion d’un général français, je crois, a crashé dans le désert. On avait annoncé que son avion avait été pris dans une tempête. Quelques années plus tard, il s’est avéré que l’avion avait été abattu. Comme vous le savez, le Sahel n’est plus un espace sécurisé. Il y a les Djihadistes au Nord-Mali, il y a le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) à côté, les groupes armés, les drones français et américains. Si on sécurise cette zone et que c’est une zone d’exclusion aérienne, ce qui semble être le cas, l’avion peut avoir été abattu. On me dira que j’ai affirmé cela à un micro, mais je l’affirme. Est-il vrai ou faux qu’il y a des drones ici ? Le jour où l’accident s’est produit, les groupes, le MNLA, Ansar Dine et autres, étaient en réunion à Alger mais ils ne s’entendaient pas. Mais quand c’est ainsi, on est en train de faire un coup d’éclat pour faire parler de soi. Je ne suis pas un nihiliste, je réfléchis et je cherche les réponses à ma question.

En tant que président de l’association des parents des victimes du crash et magistrat, jusqu’où comptez-vous aller ?

Mais jusqu’au bout ! Vous voyez que je ne suis pas en bonne santé, mais je dépense ma dernière énergie dans cette enquête. Je compte aller jusqu’au bout et j’irai jusqu’au bout parce que j’aimais beaucoup ma fille tout comme vous aimez vos frères et enfants. Elle terminait ses études en droit et était promise à un avenir. Ce n’était pas une paresseuse, elle n’a jamais redoublé. Comprenez-vous ma douleur ? Pour faire des études en France, il faut beaucoup de moyens et je n’ai pas de moyens. Mes seuls moyens, ce sont mes enfants, ma seule richesse, ce sont mes enfants.

© Le Pays : Interview réalisée par Colette DRABO et Mamouda TANKOANO


13/08/2014
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