Pendant 17 ans, Paul Biya s’est obstinément opposé à la mise sur pied du Sénat. Voilà que subitement, de retour d’un voyage en France où sa capacité à continuer à diriger le Cameroun a été mise sur la sellette, il organise précipitamment les sénatoriales. Comme s’il y avait le feu. Que lui arrive-t-il ? Que redoute-t-il ?
C’est depuis la constitution du 18 janvier 1996 que les Camerounais attendent la mise sur pied du Sénat. L’opposition, pendant 17 ans, l’a réclamée à cors et à cri, en vain. Impuissante, elle s’était résolue au silence, attendant qu’un jour, Paul Biya, dieu du temps et maître absolu du calendrier politique du pays, veuille bien se décider à organiser enfin les sénatoriales.
A priori, rien ne l’obligeait à les organiser. Lui qui a toujours pris son temps, qui n’a jamais dirigé le Cameroun qu’à son rythme, rien qu’à son rythme. Arrivé au pouvoir en 1982, il a entretenu le monolithisme hérité d’Amadou Ahidjo pendant 8 bonnes années, avant d’autoriser en 1990, sous la pression de la rue, le multipartisme, puis 10 ans pour organiser les premières élections pluralistes en 1992. Il a d’ailleurs dû tenir pendant deux rudes années entre 1990 et 1992 alors même que la rue avait bloqué le pays en revendication de la démocratie.
Comme le dit à juste titre Marafa Hamidou Yaya, chaque fois qu’il a fallu prendre des risques pour faire rentrer le Cameroun dans la modernité, Paul Biya a choisi le statu quo, au nom d’une hypothétique paix sociale. Le philosophe et non moins militant du Rdpc Ebénézer Njoh Mouelle, ne disait pas autre chose quand il affirmait dès 1990 que la vitesse de Paul Biya était la vitesse de la tortue, par opposition à la vitesse du lièvre. Il le disait pour justifier la lenteur prise par Paul Biya à instaurer le multipartisme.
Avant d’aller en France, il avait engagé le Cameroun dans un processus biométrique qui, croyait-on, apporterait plus de transparence et donc plus de crédibilité aux élections futures. De fait, l’inscription biométrique est un aveu du président de la République lui-même de l’absence de sincérité des différents scrutins qu’il a organisés jusqu’ici. Car il faut dire que depuis le retour du multipartisme, tous les scrutins qu’il a organisés ont été querellés. Il n’y a pas jusqu’à la cour suprême, officiant en qualité de cour constitutionnelle, qui n’ait reconnu des irrégularités aux différentes élections, même si malgré tout, elle a toujours invariablement proclamé les résultats en faveur du Rdpc.
On avait alors pensé que, subitement piqué par le virus de la vertu politique, Paul Biya avait enfin décidé de laisser une chance à la vraie démocratie dans notre pays. De sorte que les prochains scrutins seraient le résultat d’un processus moderne maîtrisé par le recours à la biométrie. L’opposition s’était d’ailleurs prise à rêver, exigeant même que les prochaines municipales et législatives soient organisées avant les sénatoriales dont elle ignorait si Paul Biya les organiserait un jour. Sur le principe, l’opposition et toute personne éprise de démocratie, avaient raison, car les conseillers municipaux et les députés sont issus de l’ancien système où la fraude était reine.
Comparativement par exemple au crédit que l’on prêtait au système biométrique, bien que les dispositions prises pour sa mise en place soient anecdotiques, ceux-ci manquaient de légitimité. Ils sont d’autant plus illégitimes que leurs mandats respectifs étaient à leurs termes depuis juillet 2012. Ils sont encore en poste grâce à un décret présidentiel, certes légal, mais on ne peut s’empêcher de penser que depuis leur élection, le paysage politique était en pleine recomposition.
Ce qui fait que la situation réelle de la recomposition du paysage politique ne peut être mesurée qu’à travers de nouvelles élections municipales et législatives. Bien plus, les conseillers municipaux, électeurs des sénateurs, devraient être irréprochables pour un scrutin véritablement du Renouveau. Afin de tourner le dos au trafic habituel des élections dans notre pays. On peut constater que c’est raté pour cette fois-ci.
La tortue qui allait aussi vite que le lièvre
Comme toujours, à l’annonce des sénatoriales, l’opposition s’est montrée outrée, s’est accrochée aux branches, pleurnichant partout, comme elle en est passée experte, parce que, soi-disant prise au dépourvu. Pourtant, depuis 17 ans, elle attend les sénatoriales. Pourtant, depuis l’ouverture au multipartisme, elle a rarement eu son mot à dire, en particulier pour ce qui est du calendrier électoral. Elle a toujours attendu, sage comme un enfant, que le président du Rdpc et président de la République, veuille bien convoquer le corps électoral au moment qu’il juge opportun pour son parti Etat qui, du reste, a verrouillé tous les rouages du jeu démocratique.
On aurait pu penser naïvement qu’une opposition, habituée au fait accompli, serait prête à temps et à contretemps pour une fois, et prendrait de revers le Rdpc. John Fru Ndi, son leader, champion de la pirouette et de la folle surenchère, ne l’a nullement aidée avec ses atermoiements incessants et son hypocrisie à toute épreuve.
Avec une opposition faire-valoir, tatillonne et
incapable, Paul Biya avaitiln besoin de précipiter les sénatoriales
comme si la République était subitement en danger sans le Sénat ? Il a
bien attendu 17 ans. Pourquoi n’attendraitil pas davantage ? Que lui
est-il arrivé pendant son séjour français ? Est-ce le fait qu’à Paris,
les journalistes se sont préoccupés de sa capacité à diriger le Cameroun
plutôt qu’aux véritables opportunités
d’affaires qu’offre notre pays.
Il faut préciser qu’officiellement, Paul Biya
était allé en France «vendre» le Cameroun aux hommes d’affaires français
afin d’attirer leurs investissements dans notre pays. Très
curieusement, les préoccupations des Français n’ont pas porté sur le
climat des affaires, notamment la corruption ou la justice soupçonnée
d’affairisme. Même son code des investissements qu’il a tenté de vendre
n’a pas attiré outre mesure
l’attention des journalistes.
Au contraire, on lui a demandé sans pudeur et sans aucun égard dû à son rang s’il n’était pas fatigué ! Et lui de répondre : «Ai-je l’air si fatigué ?» Avant d’ajouter que «personne n’est éternel». Cette attitude des journalistes français se préoccupant plutôt de la retraite de Paul Biya que de son projet très sérieux de faire affaire avec les hommes d’affaires français trahit-elle l’idée que François Hollande se fait du chef de l’Etat camerounais dont on sait qu’il ne le porte pas particulièrement dans son coeur, au moins autant que son prédécesseur ? On est tenté de croire que oui.
Même si les dirigeants français, depuis Nicolas Sarkozy qui a succédé en 2007 au compère du président camerounais Jacques Chirac, boudent Paul Biya, ils n’ignorent pas le rôle du Cameroun dans leur pré-carré en Afrique centrale.
Au nom des intérêts français d’Afrique centrale
D’accord, Paul Biya a su préserver jusqu’ici les intérêts français, copinant sans vergogne avec Bolloré ou les Corses du Pmuc au détriment du Cameroun. Mais sa vision politique inquiète la France. Quand celle-ci voit les dégâts sur son image et ses intérêts économiques causés par son intervention en Côte d’Ivoire pour renverser Gbagbo et introniser Ouattara ; quand elle voit la Rca en lambeaux, compromettant les intérêts de ses ressortissants ou le Tchad dans un équilibre instable, elle craint naturellement que le Cameroun finisse par basculer lui aussi dans l’instabilité.
Si le Cameroun, leader économique de la sous-région, se met à tousser, c’est tout le pré-carré français de l’Afrique centrale qui s’enfiévrait. Vu de la France, Paul Biya se fait vieux. Et sans doute en savent-ils plus long sur son état de santé, puisque c’est toujours dans les cliniques occidentales qu’il se fait suivre. Il n’est pas exclu que, solidaires comme le sont les Occidentaux, ses bulletins de santé qui, a priori devraient relever du secret d’Etat, aient circulé. En tout cas, la perspective de vacance de pouvoir à Yaoundé est de plus en plus ouvertement abordée dans les chancelleries occidentales.
Ici et là, on piaffe d’impatience de voir Paul Biya régler sa succession. On se souvient qu’en 2004, le Cameroun avait, l’espace d’un weekend, connu une frayeur qui n’a pas laissé les Occidentaux indifférents, frayeur consécutive à un ballon d’essai que Paul Biya avait orchestré sur sa disparition, afin de mesurer sa côte d’amour auprès de ses compatriotes. Tout le monde avait bien vu que la sérénité était loin de régner. C’était la panique aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Cameroun. Constitutionnellement, il devait y avoir vacance de pouvoir sans possibilité réelle d’y remédier puisqu’il n’y avait pas de sénat et donc pas de président de sénat qui devait assurer l’intérim en attendant d’organiser l’élection d’un nouveau président.
Cavaye Yéguié, le président de l’Assemblée nationale qui devait faire office de président par intérim, avait senti la terre bouger sous ses pieds, car à Yaoundé, on ne le voyait pas d’un bon oeil dans ce rôle. Il y aurait peut-être eu au moins une révolution du palais et, éventuellement, effusion de sang s’il s’obstinait.
Pour tout dire, malgré la paix sociale dont Paul Biya se targue, le Cameroun apparaît comme un volcan endormi, à cause de ses institutions mal ficelées. Il n’est pas exclu que durant son tête-à-tête à huis-clos avec le président camerounais, François Hollande, au nom des intérêts français, ait demandé à Paul Biya d’organiser sans délai les sénatoriales. En tout état de cause, ces sénatoriales ressemblent à s’y méprendre à une volonté venue d’ailleurs.
Cela se voit à au moins une chose : pour la première fois depuis 1992, le Rdpc n’est pas prêt à une élection. D’ailleurs, au congrès de son parti en juin 1990, soit deux ans avant les premières consultations populaires, Paul Biya avait demandé à ses partisans de se «préparer à la concurrence». Autant dire qu’ils étaient fin prêts quand sont intervenues les législatives de 1992, même s’ils sont passés à deux doigts de les perdre, faute de maîtriser les techniques de fraudes qu’ils affineront plus tard pour les consultations à venir. Les tergiversations, la constitution impossible des listes, le défi lancé à la hiérarchie du parti par des militants voulant à tout prix devenir sénateurs sont autant de signaux qui ne trompent pas.
Bien sûr, il y a toujours eu dans ce parti des luttes d’influence, des duels fratricides, mais la discipline ne lui jamais fait défaut. Il se trouve qu’à ces sénatoriales aux allures de plébiscite que le Rdpc a pourtant gagnées d’avance, les choses vont dans tous les sens. C’est Cavayé Yéguie, le président de l’Assemblée nationale depuis 21 ans qui, subitement, a son poste en horreur et, dédaignant la session actuellement en cours, se voit déjà au perchoir de la future chambre haute. «Je ne démissionnerai que si je suis élu sénateur », défie-t-il ses contradicteurs. Une défiance que personne ne voit pour l’instant, tout le monde étant préoccupé par un parapluie du Sénat.
Aurait-il retrouvé un regain de patriotisme qui lui a recommandé d’accélérer la mise en place des institutions décidées par la constitution de 1996 ? Il faut en douter car il ne se comporterait pas comme s’il sortait d’un long coma et qu’il était urgent de rattraper le temps perdu. On a tendance à croire que Paul Biya qui a fini par reconnaître que «personne n’est éternel», envisage sérieusement la fin de son pouvoir. Là aussi, la précipitation ne s’expliquerait pour cet homme résolument installé hors du temps.
Reste l’hypothèse d’une exigence venue d’ailleurs.
Les gens qui s’étripent pour les sénatoriales précipitées le doiventils
à François Hollande ?