BOKO HARAM : POURQUOI ON ACCUSE LA FRANCE

 

Cameroun,Cameroon - Boko Haram : Pourquoi on accuse la FranceUne certaine opinion, relayée par les médias, pense que le pays de François Hollande se cache derrière la secte pour déstabiliser le Cameroun. Fantasme ou réalité ?

 

Depuis le début de la guerre que le Cameroun livre contre la secte Boko Haram dans l’Extrême-Nord du pays, la France est malmenée par une bonne partie de l’opinion à travers les médias. Dans les émissions interactives qui envahissent les chaînes Fm de la ville de Yaoundé et au-delà, les différents intervenants voient la main obscure de l’ancienne puissance « coloniale » derrière les attaques qui se multiplient dans l’Extrême-Nord, à la frontière avec le Nigeria.

 

Certaines chaines de télévision ont, depuis le début de ce conflit, fait du french-bashing, une spécialité. Et ça marche. En témoignent les appels exaltés des auditeurs et autres téléspectateurs qui félicitent les présentateurs et les exhortent à aller plus loin. On frise parfois la xénophobie. Les arguments avancés pour soutenir ce « complot français » contre le pouvoir du président Biya sont nombreux. On dit par exemple que les assaillants de Boko Haram utilisent des armes de fabrication française, qu’on les aurait vu avec un char français alors que ce type d’engins ne se vend qu’au Etats, que Boko Haram n’a jusqu’ici revendiqué que l’enlèvement de la famille Moulin-Fournier et pas les autres attaques, etc. On a aussi entendu dire qu’un profond puits de pétrole avait été découvert quelque part dans le nord du Cameroun et que c’est cette manne pétrolière qui aurait aiguisé les appétits voraces de la France.

 

En bons pécheurs en eau trouble, les Français ont donc armé les islamistes de Boko Haram pour créer le chao et mieux se servir par la suite…

 

L’Appel de la Lékié

La journaliste française, Fanny Pigeaud n’a pas arrangé les choses pour son pays avec son article paru sur le site Internet «Mediapart », le 26 août dernier. Article dans lequel elle affirme qu’en réalité, on a affaire, dans l’Extrême-Nord du Cameroun, à une rébellion ourdie par « d'anciens ministres et ex-dignitaires du régime, qui tenteraient d'en finir avec Paul Biya, 81 ans et trente-deux années de règne ».

 

Notre consoeur va plus loin dans son article : « Aujourd’hui, les services de sécurité camerounais ne s’intéressent pas qu’aux nordistes. Ils sont persuadés que la France a lâché Biya, pourtant fidèle garant, pendant trois décennies, des intérêts français dans la région. “ Le président Biya est remonté contre la France parce qu’elle soutient les nordistes. Hollande a ainsi rencontré des officiels camerounais en catimini lors de sa récente visite au Tchad voisin “, confie une source proche des services de sécurité. »

 

Rien de tel pour en ajouter à la psychose d’un complot de la France contre le pouvoir du président Biya. Une idée qui fait son chemin, y compris dans les rangs de certains caciques du pouvoir. A coups d’insinuations, on les voit bien indexer la France. Le 31 août dernier par exemple, les « élites » de la Lékié, emmenés par Eyébé Ayissi, ministre du Contrôle supérieur de l’Etat, en présence de Bidoung Mkpatt, ministre de la Jeunesse et délégué du comité central du Rdpc, ont organisé un meeting très couru pour dire « non à Boko Haram ».

 

Manifestation à l’issue de laquelle « l’Appel de la Lékié » a été signé. Morceau choisi de ce long texte publié par « Cameroon tribune » dans son édition de mardi 2 septembre 2014 : « Non à toute tentative de déstabilisation des institutions politiques nationales, de la part de puissances étrangères… » C’est certainement pour tenter de mettre fin à ce sentiment antifrançais qui tend à se généraliser dans l’opinion, que l’ambassade de France au Cameroun a rendu public, mardi, un communiqué pour « rappeler la position française constante relative à Boko Haram ». « La France condamne avec la plus grande fermeté les attaques perpétrées par le mouvement terroriste Boko Haram dans le nord du Cameroun, à proximité de la frontière nigériane.

 

La France réitère aux autorités camerounaises sa solidarité dans la lutte contre le terrorisme, dans le respect des droits de l’Homme. Elle souhaite rendre hommage aux soldats camerounais tombés dans les combats contre Boko Haram, et s’associe au deuil des familles des victimes civiles et militaires du terrorisme », peut-on y lire. La France nie également tout contact « en catimini » avec des « officiels » camerounais au Tchad comme cela a été écrit par Mediapart.

 

Fantasmes

 

Pour Hilaire Kamga, porte parole de l’offre Orange, tout cela n’est que pur fantasme dont le but est de « créer un nouveau front stratégique de «l’union sacrée forcée derrière M. Biya » pour construire une artificielle unanimité autour du dirigeant perpétuel actuel et son régime, en fabriquant un ennemi extérieur afin de détourner les Camerounais de l’objectif qui est de se débarrasser pacifiquement de ce régime en temps opportun ».

 

Il poursuit : « Il y a là, de mon point de vue, une véritable stratégie de déresponsabilisation de M. Biya Paul, dans la perspective de sa reconduction (inenvisageable) en 2018, ou de la construction d’un leadership alternatif post-Biya autour du président du Rdpc et de son système : c’est ce que nous appelons la stratégie de Hold-up sur l’alternance attendue par tous les Camerounais qui subissent ce régime depuis 32 ans. Pour d’autres, cela relève de la logique d’ancrage dans le douloureux passé des relations Cameroun-France avec l’histoire toujours non soldée à ce jour : notamment en ce qui concerne le génocide bamiléké toujours pas reconnu par l’Etat français. »

 

Le sentiment anti-français au Cameroun, même s’il semble exacerbé aujourd’hui avec l’avènement de Boko Haram, ne date pas d’aujourd’hui. Il trouve une de ses racines dans la guerre sanglante que livra la France contre les nationalistes camerounais dans les années 1950. De nombreux massacres furent perpétrés ainsi qu’on peut le voir dans le remarquable ouvrage « Kamerun! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique (1948 - 1971) », Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa, Ed. La Découverte.

 

© Le Jour : Jean-Bruno Tagne


05/09/2014
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