Une propagande s’installe lentement dans le paysage médiatique et politique sur la place du président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril, et du vice- Premier ministre Amadou Ali dans l’expansion de la secte Boko Haram au Nord-Cameroun. Elle s’articule autour de quelques postulats. Le premier se rapporte à leur rôle dans les rapts d’étrangers qui secouent l’Extrême-Nord du pays, leur région d’origine.
En effet, c’est un secret de polichinelle que le président de l’Assemblée nationale a joué les intermédiaires dans la libération du prêtre français Georges Vandenbeusch (30/12/13) alors que le vice-Premier ministre, via son homme lige le député Abba Malla, a contribué à mettre un terme au calvaire de la famille Moulin Fournier (19/4/13) et à celui des trois religieux de Tcheré (1/6/14). Le second postulat tient du lieu de la libération des otages : Narikou, non loin de Banki pour la famille Moulin Fournier ; Achigachia pour le père Vandenbeusch et les environs de la montagne «Greya» pour les deux religieux italiens et la soeur canadienne.
Hormis Achigachia qui se trouve dans le département du Mayo-Tsanaga, les deux autres lieux sont situés dans le Mayo- Sava, département d’origine de Cavaye Yeguié et d’Amadou Ali. Le troisième postulat tourne autour de l’appartenance du vice-Premier ministre à l’ethnie Kanuri, ethnie dominante de la secte Boko Haram. Les inquisiteurs s’appuient donc sur ces indices pour semer le trouble dans les esprits. Désormais, pour certains, Amadou Ali et Cavaye Yeguié Djibril sont «suspects». Une perception qui, non seulement montre les limites de vue de ses adeptes, mais met à mal la solidarité nationale dans la lutte contre la secte islamiste.
DÉSINFORMATION
S’agissant de la libération des otages, il est inutile de rappeler qu’aucune négociation ne se fait sans l’aval du gouvernement, et donc du chef de l’Etat. C’est la raison pour laquelle le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh, se retrouve toujours en première ligne avec une efficacité que beaucoup lui reconnaissent aujourd’hui. Mieux, elle met en synergie divers services de renseignement intéressés directement ou non par la libération des otages car in fine, l’objectif reste toujours de rassembler le maximum d’informations pour prévenir de nouvelles prises, appréhender le mode opératoire d’une secte aussi opaque que Boko Haram, sa structuration, dégager les implications diverses et se lancer si possible après l’aboutissement des négociations dans la traque des ravisseurs.
Côté camerounais, travaille sur le sujet une multitude de services de sécurité bien que les renseignements du Bataillon d’intervention rapide (BIR) restent curieusement en pointe au détriment de la direction générale de la Recherche extérieure (Dgre) et dans une moindre mesure des services de police, de la gendarmerie et de l’armée. A ce jour, aucun service n’a mis en lumière la moindre collusion de Cavaye Yeguié Djibril ou d’Amadou Ali avec la secte Boko Haram. Leur malheur tient simplement à la profondeur de leurs relations au Nigeria, qui ne sont d’ailleurs pas sans bénéfice pour le Cameroun.
«Les otages n’ont jamais quitté le Cameroun». Depuis les libérations du père Georges Vandenbeusch et des trois religieux de Tchéré, cette conclusion est abondamment servie à l’opinion par de nombreux hommes politiques et journalistes. Par contre, personne ne dessine, même vaguement, où ils se trouvaient ni ne cite les déclarations d’un seul otage libéré tendant à conforter cette thèse. Or le père Georges Vandenbeusch et surtout les trois religieux de Tchéré connaissent parfaitement la région…
Le rapprochement entre l’ethnie du vice-Premier ministre et celle de bon nombre de combattants de la secte islamiste, pour argumenter sa supposée collaboration avec la secte participe aussi du lavage des cerveaux entrepris par quelques officines. Poussant toujours le bouchon plus loin, des médias sont même allés jusqu’à publier une information selon laquelle un petit bonnet de Boko Haram interpellé par les forces de sécurité a «lâché» le nom d’Amadou Ali. Un tissu de mensonges ne fût-ce que parce que l’accusateur n’a jamais été interpellé.
«Les Kanuri sont de part et d’autres de la frontière. Ce n’est pas nouveau. Je comprends que les interférences du vice-Premier ministre pour limiter les abus à l’égard de cette communauté peuvent être mal interprétées. Mais de là à dire qu’il protège des membres de Boko Haram est tout de même exagéré», explique une source sécuritaire. Pour la communauté du Grand-Nord, déjà passablement mal à l’aise avec la problématique de Boko Haram, ces accusations sont analysées sous le prisme d’une tentative malicieuse d’affaiblir politiquement les deux personnalités de la région. «S’ils s’attèlent à discréditer Cavaye et Ali aujourd’hui, il faut y voir la preuve non seulement de la totale déliquescence politique du Grand Nord, mais davantage la volonté de quelques manoeuvriers qui veulent profiter de la situation pour faire le ménage avant la bataille de la succession du Président», explique un député Rdpc.
En tout cas, les insinuations à l’endroit de Cavaye et d’Amadou Ali laissent pantois les observateurs politiques des régions septentrionales tant ces deux personnalités se vouent une inimitié solide depuis longtemps. «Si l’un des deux avait montré le moindre signe de faiblesse à l’égard de la secte, il aurait été immédiatement balancé par l’autre. Les accuser ensemble, c’est méconnaître les réalités locales. Depuis toujours, l’un surveille étroitement l’autre», poursuit le député Rdpc. «Dans ce combat, aucune complicité et aucune duplicité ne seront tolérées. (…) Nous le savons, beaucoup sont parmi nous, les uns tapis dans l’ombre, les autres très actifs mais dans l’hypocrisie, faisant semblant d’apporter leur aide aux autorités, leur objectif étant de brouiller les pistes, certainement pour mettre le pays à feu et à sang.
Ceci est inacceptable ! N’ayons pas peur, dénonçons les ! Ils doivent rendre compte de leurs turpitudes», avait ainsi déclaré Cavaye Yeguié Djibril à l’ouverture de la session de l’Assemblée nationale de juin 2014. Des mauvaises langues y avaient vu une adresse en direction d’Abba Malla, médiateur dans la libération des otages et proche d’Amadou Ali. Les observateurs eux, y ont vu la poursuite de la guerre que se livrent les deux personnalités depuis des lustres.