L’armée camerounaise a affronté durant deux jours des éléments de la secte.
L’attaque de Kolofata par des éléments de Boko Haram a relégué au second plan un évènement majeur dans la guerre que livre le Cameroun à la secte : la bataille de Bargaram qui a commencé le 24 juillet 2014. Pour s’achever le lendemain. De leurs positions de Saguir, petit village nigérian d’environ 1500 âmes, les assaillants ont fondu sur les positions de l’armée camerounaise à Bargaram, distante d’environ sept kilomètres. Les combats ont été violents à cause de la riposte de la trentaine d’éléments du Bataillon des troupes aéroportés (Btap), du Bataillon d’intervention motorisé (Bim) et de la gendarmerie stationnés sur place.
L’armée a d’abord infligé de sérieux coups à l’ennemi avant d’abandonner ses positions, submergée par un flot incessant d’assaillants. Non sans perdre quelques hommes et du matériel. La violence de la riposte de l’armée n’aura pas été du goût des assaillants. Car après le retrait tactique de l’armée, les éléments de la secte s’en sont pris aux populations. Certains habitants ont été tués et égorgés, d’autres fait otages. Tôt le lendemain, avec des moyens plus conséquents, l’armée a lancé une contre-attaque.
Elle a notamment mis en mouvement ses chars du 34eme Bim positionés à Kousseri et repris le contrôle de Bargaram. Sa progression a toutefois été stoppée par une embuscade tendue par des éléments de la secte dans le village Kamouna, non loin d’un verger situé près de l’unique école publique du coin. C’était le dernier verrou avant d’avoir la base des assaillants en ligne de mire.
COMMANDEMENT
Les décisions prises par le patron du 34ème Bim, si l’on en croit des sources proches de l’armée, ont été fatales à la contre-attaque. Il aurait par exemple ordonné trop rapidement le retrait de ses troupes. Ce n’est pas le seul reproche qui peut être fait au lieutenant-colonel Justin Ngonga. Par ses agissements, il a donné par ce retrait tactique, le sentiment que l’armée abandonnait les populations. En effet, dans leur repli, le contingent engagé dans l’opération s’est arrêté à Hilé-Alifa, chef-lieu de l’arrondissement du même nom et distante d’une vingtaine de kilomètres du champ de bataille. La colonne a récupéré le sous-préfet, Moussa Abdoulaye, et sa famille. Le chef de terre, garant de l’Etat, n’a eu ni le temps de fermer son bureau, ni fermer son domicile.
De même, le maire de la commune, Ali Cheik Djibrine, le commandant de brigade de gendarmerie et le commissaire de police ont quitté la ville. Seul le député Ali Adjit qui habite Hilé-Alifa, a refusé de se mettre sous la protection des militaires. L’intéressé a expliqué qu’en plus de son devoir d’élu, il était également chef de village de Hilé-Alifa 1 et qu’à ces titres, il ne pouvait abandonner ses populations et ses sujets. Il est donc resté sur place, sillonnant la ville à moto et sensibilisant les populations.
Cette posture du colonel était injustifié car les éléments de la secte, craignant sans doute la puissance de feu de l’armée qu’ils avaient déjà goûtée à Dabanga quelques semaines plus tôt, ne se sont pas aventurés au-delà de Kamouna. C’est donc dans cette atmosphère que des villages entiers ont été désertés à l’instar de Bargaram, Kamouna, Mourdaf, Kaforam, Chahak et Gorey Talgoutoun. En révoquant le sous-préfet de l’arrondissement de Hilé-Alifa le 26 juillet 2014, quelques jours seulement après les évènements, le chef de l’Etat a montré clairement qu’il avait pris la mesure du problème. Le limogeage du lieutenant-colonel Justin Ngonga s’inscrit dans la même lignée. «Le sous-préfet a été limogé le 26 juillet 2014 et le lendemain, le premier adjoint préfectoral du Logone et Chari nommé pour assurer son intérim a pris fonction, bien que ce fut un dimanche.
Nous saluons cette décision du chef de l’Etat qui a agit rapidement pour restaurer l’autorité de l’Etat», se réjouit un conseiller municipal de la commune de Hilé-Alifa. Malgré les évènements, personne ici ne doute des capacités de l’armée. «Nous allons les balayer. Ce qui est arrivé est la résultante d’une mauvaise décision qui a conduit à l’enchainement des évènements. Si le commandement sur le terrain avait été efficient, ces illuminés de Boko Haram auraient enregistré des pertes plus lourdes», soupire Mahamat, originaire de Hilé-Alifa et installé avec sa famille dans l’arrondissement de Makary. Les bouleversements intervenus dans le commandement, le renfort en hommes et en matériels et surtout l’arrivée attendue de l’appui aérien en soutien aux troupes au sol devraient optimiser les capacités de l’armée.
STRATÉGIE
Selon diverses analystes, Boko Haram souhaite prendre pied dans le lac Tchad pour en faire un sanctuaire et surtout pour y lever des fonds. Dire que l’environnement lui est aujourd’hui favorable est un euphémisme. En effet, la zone est située aux confins de plusieurs pays. Elle est mal administrée, habitée par des populations de diverses nationalités et riche en ressources naturelles. Entre 1985 et 1994, le volume de poissons pêchés dans le Lac et vendu au Nigeria s’est élevé à 481.167 tonnes métriques, soit 18,42% de la production totale intérieure de ce pays.
De même, l’insécurité est grandissante dans la zone et les paiements des rançons sont quasi-quotidiens. Selon le chef de la communauté Djoukoun de Kofia, deux milliards Fcfa ont été versés par les pêcheurs aux ravisseurs entre 2006 et 2009. «Le sentiment d’appartenance à une nation n’existe pas ici. Cela a toujours été la jungle. La secte veut mettre sous sa coupe tous les bandits et anciens rebelles tchadiens installés ici en leur offrant un cadre, de sorte à régenter toutes les activités à leur profit», explique un commerçant de Darak qui a fait fortune dans le commerce de poisson.
Les incursions ne sont pas encore régulières, mais des indices sur son intérêt à contrôler cette vaste zone sont de plus en plus perceptibles. Le 30 juillet 2014, un des enfants du richissime homme d’affaires, Woubri Ramat, a par exemple été enlevé à Darak. L’homme règne depuis des années sur l’île où il fait office de parrain...