Le Cameroun a célébré le 20 février dernier, le cinquantenaire de sa réunification. C’est en prélude à ces festivités que le président Paul Biya a pris un décret pour gracier un certain nombre de prisonniers de droit commun, parmi lesquels figure Thierry Michel Atangana. Certes, le décret n’est pas nominatif, mais ses termes semblent inclure cet homme d’affaires français dans le lot des prisonniers qui doivent bénéficier de la remise totale de peine, car ils font cas de ceux qui ont passé dix ans en milieu carcéral alors qu’Atangana en a fait 17.
Cette grâce présidentielle devrait permettre aux bénéficiaires de respirer à pleins poumons l’air de la liberté. Mais jusqu’à hier soir, soit trois jours après la publication du décret, la libération des prisonniers se faisait toujours attendre. Que se passe-t-il donc pour que l’on retarde la libération de ces condamnés dont la culpabilité de certains n’a d’ailleurs jamais été prouvée ?
Selon toute vraisemblance, Biya veut utiliser Antagana comme monnaie d’échange
En tout cas, jusque-là, Thierry Michel Atangana, qui est derrière les barreaux depuis 17 ans, a toujours nié les faits de détournement de deniers publics qu’on lui reproche. De même, la Justice camerounaise n’a jamais pu apporter les preuves irréfutables de la culpabilité de l’homme d’affaires. Dans un pays où la presse n’a pas le droit de parler de la santé du président, quelle crédibilité peut-on accorder à ses autorités ? Le fait que Paul Biya a pris un décret non nominatif laisse croire qu’il a des intentions cachées. Il voudrait tirer le maximum d’avantages et d’opportunités auprès de la France à travers la libération de Thierry Michel Atangana, qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
En tout cas, selon toute vraisemblance, Biya veut utiliser Antagana comme monnaie d’échange. Après 32 ans de règne, il a toujours la boulimie du pouvoir. Et pour que l’ex-puissance coloniale ferme les yeux sur ses dérives dictatoriales afin qu’il continue de régner ad vitamaeternam, Biya est prêt à se servir au maximum de la situation de l’homme d’affaires français. C’est un prisonnier précieux qu’il a sous la main et il n’entend pas le libérer sans en tirer les bénéfices. Et il est sûr d’atteindre ce but car François Hollande qui, depuis quelque temps, a pris l’affaire en main, n’attend autre chose que la libération de ce compatriote.
D’ailleurs, ce ne serait pas la première fois que Biya réussit ainsi à améliorer ses relations avec le président français. La récente libération d’otages français, qu’il a pilotée avec succès, a été un élément porteur. Ce dictateur se fait moins de soucis avec Hollande qu’avec son prédécesseur, Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs le cas avec les autres dictateurs du continent, notamment le Congolais Denis Sassou-Nguesso, le Tchadien Idriss Déby Itno et autres. Considéré à son élection comme un président à cheval sur les principes démocratiques, François Hollande, face à la dure réalité du terrain, a mis beaucoup d’eau dans son vin. Sarkozy ne pouvait pas se permettre de fermer les yeux sur certaines pratiques ou comportements des dictateurs.
Paradoxalement, l’arrivée de la gauche au pouvoir a fait pousser un ouf de soulagement aux dictateurs du continent africain
Paradoxalement, l’arrivée de la gauche au pouvoir a fait pousser un ouf de soulagement aux dictateurs du continent africain. Le président Paul Biya, qui est considéré aujourd’hui comme l’un des plus féroces dictateurs du continent, peut boire son petit lait. C’est la preuve que la Françafrique a encore de beaux jours devant elle. Les termes pardon, paix et réconciliation, abondamment utilisés par Paul Biya au cours de la célébration du cinquantenaire de la réunification de son pays, ne sont que des slogans creux.
Car comment parler de réconciliation au Cameroun lorsque les cendres du père de la nation, Ahmadou Ahidjo, sont encore au Sénégal ? Pourquoi ne pas les rapatrier au Cameroun si tant est que l’on estime que le moment est venu pour les Camerounais de se pardonner et de se donner mutuellement la main pour construire leur pays ?