Biya veut sortir le Sud de l'ornière

Yaoundé, 07 Décembre 2012
© Junior Dieudonné Atangana | Correspondance

A coup de centaines de milliards de FCFA, le chef de l’Etat investit massivement dans sa région d’origine. Histoire de rompre avec ce que d’aucuns ont appelé «le paradoxe du pays organisateur».


Ebolowa - Le centre-ville
Photo: © Cameroon-Info.Net



Avec un peu plus de 600 000 habitants, la région du Sud est née de la scission de la grande province du Centre - Sud. Elle compte quatre départements que sont le Dja et Lobo, la Mvila, l'Océan, la Vallée du Ntem. D'une manière générale, cette région vit d'agriculture. Parmi ses atouts, la région dispose d'une côte maritime avec la ville de Kribi qui offre d'importantes opportunités touristiques et piscicoles, sans oublier les richesses du sol et du sous-sol. Le principal atout de la région reste cependant la ressource humaine. Faut-il le rappeler, le Sud est la région d'origine du chef de l'Etat et il compte un grand nombre de ses fils dans la haute administration et dans les principaux cercles de décision: ministres, directeurs généraux de sociétés d'Etat, secrétaires généraux de ministères, ainsi que dans l'armée.

Mais jusqu'à une époque récente, certains observateurs avaient des raisons de croire que la région du Sud, comble des paradoxes, était à elle même. Ce qui a d'ailleurs inspiré le livre d'Ateba Yene, «Le paradoxe du pays organisateur». En effet, il a fallu attendre plus de 20 ans pour que le comice agro-pastoral d'Ebolowa soit organisé. En dehors de la route Ebolowa - Ambam, qui relie le département de la Mvila à celui de la vallée du Ntem, aucune autre route digne de nom n'a été construite entre les chefs-lieux des départements de cette région. Pour aller d'Ebolowa, la capitale régionale, à Sangmélima et vice-versa, il faut remonter jusqu'à Mbalmayo dans le Centre. Plus grave, pour partir d'Ebolowa à Kribi, ou dans le sens inverse, on est obligé de passer par Yaoundé et Edéa et traverser deux autres régions.

En plus des infrastructures, l'alimentation en eau potable est approximative; en électricité, elle est tout simplement problématique, surtout que les deux sont liées. Dans certaines villes, on passe des journées, voire des semaines, entières sans énergie électrique. Ne parlons pas de la qualité de l'énergie fournie qui laisse tout simplement à désirer.


Le coup de pouce du comice

Et puis vint le comice, et un discours que l'on pourrait qualifier de fondateur du président Paul Biya, qui a énuméré un certain nombre de projets devant être mis en œuvre dans le Sud. Des projets qui pourraient faire des envieux, surtout si l'on prend en compte la contribution de cette région au produit national brut du Cameroun. En fait, personne n'a vraiment fait attention, se disant que, comme d'habitude, ce n'était qu'un discours politique. Et pourtant, même si l'hôtel du comice n'a jamais été achevé, contrairement à ce que le chef de l'Etat avait promis, il reste que l'usine de montage des tracteurs d'Ebolowa, dont le choix du site a été jugé contestable par certains, se met en place.

Mieux, de grands chantiers sont lancés dans la région: le complexe industrialo-portuaire de Kribi en est certainement le plus emblématique. Dans sa première phase, la construction de cette importante infrastructure va coûter plus de 280 milliards de F CFA. La deuxième phase quant à elle est d'un coût global de 3,8 milliards d'euros, soit environ 2500 milliards de F CFA. Il y a aussi le barrage hydroélectrique de Memve'elé (200 MW) pour 365 milliards de F CFA, dont l'importance est nationale, et celui de Mekin (15 MW) pour 25 milliards de F CFA, qui est lui destiné à assurer l'indépendance énergétique de la région. Par ailleurs, on n'en parle pas assez, il y a la centrale à gaz de Kribi (60 milliards de F CFA) qui va produire 300 MW d'énergie électrique. Ces investissements vont non seulement permettre au sud de s'émanciper de la tutelle de Songloulou, mais aussi de faciliter l'installation de nombreuses industries. Déjà, les Chinois comptent installer à Kribi une usine de montage de voitures.

En plus de cela il y a les routes. L'ambition des pouvoirs publics est de relier Sangmélima à Kribi en passant par Ebolowa. Ainsi donc, on ne sera plus obligé de passer par Mbalmayo, Yaoundé et Edéa pour aller d'un coin à un autre de la région. En plus, un réseau routier suffisamment dense est en train d'être mis en place qui permettra de désenclaver l'ensemble de la région. Il s'agit des routes Sangmélima-Djoum-Mintom, Sangmélima-Mengong-frontière du Gabon. Et il yen a d'autres...

Par ailleurs, en vue de l'exploitation du fer de Mbalam dans la région de l'Est, une ligne de chemin de fer longue de plus de 400 kilomètres devrait être construite pour évacuer ce minerai vers le port de Kribi. Le gouvernement a pris l'option bien compréhensible que cette ligne de chemin de fer qui traverse la région du Sud de part en part puisse aussi servir au transport des passagers et des marchandises.


On attend l'université

Au plan social, la construction de l'hôpital de référence de Sangmélima est pratiquement achevée. Reste une chose importante: une université d'Etat que l'élite politique et les populations réclament à corps et à cri. Le Sud reste avec l'Est et le Nord les seules légions qui ne disposent pas encore d'une université publique. Il y a lieu de penser que cette situation pourrait évoluer rapidement. En attendant, une université privée a été mise en place.

La question peut se poser de savoir pourquoi tous ces investissements maintenant. Quelques pistes de réponse à cela: d'abord, sur un plan général, après une longue période de crise, il est normal qu'un effort soit fait pour rattraper le retard. Le port de Kribi et le barrage hydroélectrique de Memve'elé, bien qu'ils soient situés dans le Sud, ont vocation à jouer un rôle national. Mais on pourrait aussi nous rétorquer qu'on aurait pu construire le port de Limbé et un autre barrage sur le bassin de la Sanaga. Certes. Et c'est ce qui fait croire à certains observateurs que le président de la République a un plan pour sa région d'origine. L'on pense qu'il voudrait laisser une marque particulière afin que l'on ne dise jamais après lui et pourtant le président était de là-bas.

Mais on peut aller plus loin: on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir et dans un contexte fait de revendications de toutes sortes, on ne sait pas sur quelle base la dévolution et le partage du pouvoir pourraient se faire dans les années à venir. C'est ce qui fait croire que Paul Biya veut donner à sa région d'origine les moyens de discuter, si ce n'est en position de force, du moins d'égal à égal, avec les autres.



09/12/2012
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 299 autres membres