Le couple présidentiel au lieu du président de la République. Une habitude camerounaise consistant à accorder une place prépondérante à Chantal Biya dans le dispositif protocolaire a fini par donner l’impression à la première dame d’être un équivalent féminin de l’autorité suprême de la nation. Une habitude africaine antidémocratique.
C’est connu de tous. Paul Biya ne fait plus un seul déplacement, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, sans être accompagné de son épouse. Celle-ci a saisi l’occasion pour asseoir sa notoriété et se faire inscrire dans le dispositif protocolaire, si elle n’en est pas la première personnalité ex aequo. Illustrations : le 19 février 2014, le chef de l’Etat doit présider la cérémonie protocolaire d’inauguration du monument du Cinquantenaire de la Réunification dans la ville de Buea.
L’évènement est prévu à 11 heures. A 10 heures 40 minutes, toutes les personnalités attendues ont déjà foulé le sol du lieu dit « Govenor’s office» où doit se dérouler la cérémonie. A 11 heures et 06 minutes, la syrène motorisée annonce l’arrivée du chef de l’Etat. Paul et Chantal Biya sortent de la limousine climatisée. Comme le chef de l’Etat, Chantal Biya salue l’ingénieur ayant conduit les travaux. Et suit près son époux pendant la présentation de ce monument.
Et lorsque Paul Biya regagne son véhicule pour rebrousser chemin, Chantal Biya décale et se livre à un bain de foule. Faisant attendre le chef de l’Etat. Une attitude inacceptable selon les règles protocolaires sous d’autres cieux. Le même scénario va d’ailleurs se répéter à la place des fêtes de Buea le lendemain, à l’occasion de la parade militaire et civile.
Chantal Biya arrive avec son époux, longtemps après Marcel Niat Njifenji, le président du Sénat que l’on présente comme la deuxième personnalité du pays selon la loi fondamentale, et Cavaye Yéguié Djibril le président de l’Assemblée nationale. N’eut été l’intervention d’un agent de la sécurité présidentielle, la première dame aurait même suivi Paul Biya lors des honneurs militaires.
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Cette place de choix accordée à la première dame se fait aussi ressentir à l’occasion des voyages de Paul Biya à l’étranger. Quelques minutes avant de s’engouffrer dans l’avion, le chef de l’Etat s’entretient avec ses plus proches collaborateurs, dans un salon huppé de l’aéroport. Dans une salle attenante, Chantal Biya fait autant. Elle échange avec les épouses des proches collaborateurs du chef de l’Etat. De quoi parlent-elles ? Quelles instructions donnent-elles ? Difficile de le deviner.
Pourtant selon Eric Mathias Owona Nguini, politologue enseignant à l’Université de Yaoundé II à Soa, la première dame n’est pas une institution constitutionnelle. « On sait dans les habitudes que le magistrat présidentiel est accompagné par un conjoint. Mais ce conjoint doit avoir des limites. Seulement, ce qui se fait au Cameroun est une habitude africaine née d’une ambition de magnificence qui caractérise nos dirigeants. En tant que conjointe, une première dame doit bénéficier des retombées protocolaires. Mais les habitudes africaines poussent le bouchon plus loin », explique ce chercheur à la Fondation Paul Ango Elat de Yaoundé. Il remarque que le fonctionnement des institutions est aussi lié aux habitudes.
La présence de Chantal Biya aux côtés du chef de l’Etat à Buea a même choqué plus d’un observateur averti de la scène politique nationale. Alain Fogué, enseignant à l’Université de Yaoundé II à Soa se dit scandalisé par le fait que l’on ait privilégié la première dame, née longtemps après la date de la Réunification, bottant en touche Mme John Ngu Foncha qui vit ses derniers jours dans un village de la région du Nord-Ouest.