Cet économiste expert des questions de monnaie qui a écrit de nombreux livres sur le FCFA fait partie de ceux qui estiment que les Etats africains doivent prendre leurs responsabilités et affranchir leur monnaie.
réunis récemment à Paris pour célébrer les
quarante années des accords monétaires. Pour vous qui avez travaillé
sur cet aspect de la gouvernance publique au Cameroun, qu’est ce qui
reste des accords qui sont aujourd’hui encore célébrés?
J’ai travaillé sur cette question avec le professeur Tchuidjang dès
1972. J’étais encore étudiant. Il nous avait initié à la question
monétaire et l’année suivante, nous avons organisé une conférence débat
sur l’entrée en vigueur de accords de Brazzaville, ce que vous appelez
accords monétaires. Je travaille donc dessus depuis 40 ans. Aussi, cela
tombe bien puisque je peux donner mon avis. Pour ce qui est de la
commémoration, je dirais qu’elle est administrative. Pour moi qui suis
plutôt de l’école des approches programme, il aurait fallu faire une
évaluation de fond. Chercher à comprendre ce qui a marché, ce qui est
encore un défi, les acquis, les opportunités, les redéfinitions. Je
n’ai rien entendu de tout cela, mais on a juste sablé le champagne.
Selon certains observateurs, il est
inapproprié de célébrer les accords monétaires avec la France, parce
qu’aujourd’hui le CFA est rattaché à l’Euro. Vous partagez cet avis ?
Normalement tel que c’était conçu dans le temps, une zone
monétaire correspondait à un espace économique identifiable et réelle.
Du début du siècle passé jusqu’à la deuxième guerre mondiale, la macro
économie des pays est dominée par le protectionnisme. Chaque pays avait
sa monnaie et les pays africains se sont retrouvés dedans parce qu’étant
des colonies françaises. Mais depuis quelques temps, c’est la
mondialisation des échanges, les grands ensembles. Je pense pour ma
part, que le CFA n’a pas suivi cette évolution dans les faits. La zone
franc entretient encore des rapports avec l’ancienne métropole française
qui n’ont plus de raison d’être. Les choses se sont harmonisées, la
France a une monnaie commune avec d’autres pays européens, les européens
euxmêmes surveillent le dollar Américain et les autres monnaies, rien
ne justifie que nous soyons encore dans une logique confinées en ce qui
concerne notre monnaie. La relation exclusive avec la France n’a plus de
raison d’être.
Alors dans l’absolu, c’est le CFA qui pose
problème, ou alors c’est la France le partenaire en l’occurrence qui
perturbe ou encore nos dirigeants qui n’ont soit ni le cran, soit ni la
compétence pour assumer une politique monétaire réellement autonome?
Rien de tout cela. Ce qui pose problème c’est que le CFA ne s’est pas
arrimé à la mondialisation. Il continue d’être géré dans le cadre d’une
relation privilégiée, dans un contexte où les choses varient très
rapidement et que la libre concurrence domine. Toutes les études que
j’ai publiées sur la question depuis 1994, demandent de libérer le Franc
CFA à l’époque du Franc français, et aujourd’hui de l’euro. C’est là le
gros problème du Franc CFA, son inféodation à une entité économique
elle-même reliée à un ensemble plus vaste encore, alors que la zone
franc est plongé dans les échanges mondiaux. Nous avons besoin d’un FCFA
qui se négocie librement et dont le taux de change varie en fonction de
nos économies propres. Lorsqu’en France on baisse les taux directeurs,
les comités de politique monétaire ici au Cameroun font de même. Dans un
contexte où nous échangeons en dollar principalement, ce n’est pas
toujours un avantage.
Nous avons besoin d’avoir nos propres mécanismes internes. Je précise que je ne demande pas de sortir du CFA, qui est une monnaie qui fait ses preuves. Je demande de sortir de la relation privilégiée avec l’Euro via la France. Lorsque vous allez au Ghana et au Kenya qui sont des expériences proches des nôtres, ces pays ont leurs propres marchés monétaires. La monnaie est flexible et les taux varient en fonction du dynamisme de leurs économies. Chez nous, rien de cela n’existe. On ignore les fluctuations des taux d’intérêts, pour les entreprises, les particuliers, l’Etat. le résultat est une disproportion dans la situation du marché monétaire. Les banques prêtent à 2,5% aux Etats, 17% aux entreprises fiables et le reste à près de 36%. C’est ahurissant et cela ne s’explique pas. Nous avons besoins d’avoir des mécanismes autonomes du marché monétaire.
Si vous deviez conseiller les gouvernements que diriez-vous ?
Il ne me revient pas de conseiller les gouvernements. Pour l’essentiel,
je vais me résumer. Rien ne nous impose de rester scotchés aux
indicateurs européens, pour définir le taux de change dans la zone
Franc, c’est un impératif, parce que nous sommes dans la mondialisation.
Les Chinois sont entrés dans la danse, les Brésiliens aussi et les
autres partenaires comme le Maroc, et autres. Ensuite, le marché
monétaire doit devenir effectivement libéralisé. Pour l’heure, les
agrégats monétaires sont encore trop dépendant de la situation en Europe
et ce n’est pas toujours un avantage. De même, nos marchés de capitaux
sont fragmentés et les clivages sont énormes sur le marché de la monnaie
et de l’épargne. Il faudrait qu’un jour, on arrive à des taux moyens de
l’ordre de 5%. A ce moment-là, l’argent ira vraiment vers les secteurs
productifs de l’économie. On ne peut pas et ne doit pas se trouver avec
des schémas, ou une PME emprunte à un taux 10 fois supérieur à celui de
l’Etat. Le marché monétaire doit donc être uniformisé.
Est-ce qu’il n’y a pas finalement un
risque si on sort de la zone franc de perdre l’avantage du compte
d’opération? La France apporte quand même une garantie et tient les pays
de la zone franc avec ce mécanisme.
Le compte des opérations ce n’est pas une chose exceptionnelle.
Moi par exemple, j’ai un compte d’opération qui me permet de gérer les
opérations que je mène en devise. Lorsque vous avez une banque ici, elle
a des comptes d’opérations en fonction des zones monétaires. Ce compte
est un compte de correspondant. Tous ceux qui interviennent dans des
places financières diversifiées en ont besoin. A plus forte raison les
Etats. Donc le problème n’est pas le compte d’opération. J'entends
souvent à la télévision des gens dire que la France à notre argent et
nous tient par-là. Il n’en n'est rien. Nous pouvons décider de changer
de correspondant, rien ne nous l’interdit. A l’époque, lorsque Paris est
choisie, la France centralisait quand même les ¾ des flux financiers
des pays de la zone Franc. Les choses évoluent petit à petit et cela
tend à changer. Donc si nous supprimons notre compte à paris, nous
l’ouvrirons ailleurs et à des conditions pas totalement différente. La
Chine par exemple, vous imaginez que personne ne peut rien lui imposer,
mais elle a un compte d’opération aux Etats Unis avec 2500 milliards de
dollars, c’est la logique des marchés internationaux.