Bernard Njonga : Le report du Comice est une catastrophe
«Les seigneurs de la terre seraient-ils devenus les damnés de la terre?» Ainsi s’interroge Bernard Njonga, porte-parole de la Coalition pour la souveraineté alimentaire (Cosac) et surtout, technicien de la chose agricole en tant qu’ingénieur.
C’est que les implications du report du rendez-vous national du monde rural d’Ebolowa, décidé par le président de la République Paul Biya, sont énormes, traumatisantes et en même temps ruineuses pour plusieurs secteurs. Et la preuve que plus rien ne va est que, aussi bien les thuriféraires du régime que les médias d’Etat, n’osent la moindre analyse pertinente sur cette décision présidentielle. On fait le mort pour accuser le coup, mais il semble bien tard pour rattraper les bourdes, les improvisations et les mensonges officiels. Pourtant, pendant de longs et en dépit des alertes de certains médias, les uns et les autres ont continué de maintenir la flamme et de rassurer, bien que maladroitement, participants et observateurs sur la tenue effective du Comice tel que promis le 31 décembre 2009 par M. Biya, dans son message de nouvel an à la nation. L’ajournement de la fête des producteurs est donc devenu un drame national, mais aussi une malédiction pour la région du Sud, qui attend son Comice depuis près de deux décennies. Et rien, aujourd’hui, ne garantit en début d’année prochaine une représentation à la mesure des investissements et espoirs de ceux qui nourrissent le Cameroun au quotidien. Mais les questions essentielles demeurent : qui va assumer le gâchis ? qui va payer la lourde facture du report par décret ?
Le président Biya, à travers son secrétaire général, a
reporté le Comice agropastoral d’Ebolowa à janvier 2011. N’est-ce pas
une bonne chose, pour ceux qui dénonçaient l’impréparation de cet
événement ?
Une bonne chose ? Ça dépend. Indiscutablement,
certains y trouvent leur compte et d’autres pas. Il est toutefois
regrettable que la majeure partie de ceux qui sont perdants, dans ce
report, se trouvent du côté des producteurs. On n’a absolument pas pensé
à eux, dans cette décision de reporter le Comice. Les seigneurs de la
terre seraient-ils devenus les damnés de la terre ?
En son temps,
nous avions attiré l’attention sur le fait que le Comice était d’abord
et avant tout la fête des producteurs. Une fois de plus, la ville prend
le dessus sur la campagne en ceci que les raisons du report n’ont rien
de rural et ne concernent que la ville. Pourtant, le comité
d’organisation semblait donner tort à ceux qui dénonçaient
l’impréparation de l’événement. J’en veux pour preuve leurs multiples
satisfecit sur les prétendues avancées des travaux, qu’on situait à 80%
en novembre dernier. A l’époque, ce comité a même juré, la main sur le
cœur, dans les journaux, que le Comice aura lieu du 09 au 14.
Comment la Coalition dont vous êtes le porte-parole a-t-elle accueilli cette mesure ?
Avec
étonnement et déception. Ce d’autant plus qu’avant l’annonce officielle
du report, qui venait mettre fin à une rumeur qui avait laissé croire
que le Comice se tiendrait du 15 au 20 décembre 2010, tout indiquait
l’imminence de l’ouverture effective de cet événement. Le dimanche 13
décembre, la ville d’Ebolowa était parée aux couleurs nationales qui
annoncent un grand événement et, surtout, la présence du chef de l’Etat.
Et que dire de ce média, qui avait déjà pris ses quartiers sur le site
du Comice et arrosait le territoire national d’informations de nature à
renforcer l’imminence du Comice !
La Coalition était plus étonnée et
déçue que, ces deux derniers mois, elle avait tout mis en œuvre et était
prête pour l’événement comme chacun pouvait le constater dans l’espace à
elle affecté. A titre d’exemple, la boulangerie avait servi les
premiers pains enrichis aux farines locales, trois jours avant le 09
décembre.
Avez-vous été associé à la prise de cette décision ?
Ni
de près, ni de loin ! Vous vous doutez bien que, si on avait demandé
notre avis, nous n’aurions pas suggéré le report au vu des dommages et
préjudices que ce report cause aux producteurs, en premier. Il n’est pas
évident qu’avec le report, on gagne sur tous les plans. J’ai même peur
que ce qu’on gagne ne compense pas ce qu’on perd.
Quelles pourraient être les conséquences financières de cette mesure ?
Elles
sont énormes, à la limite ruineuses pour certains. Je prends le cas de
la Coalition, qui a loué une boulangerie pour 10 jours, du 06 au 15
décembre à 4,5 millions avant le premier report, puis à 2,5 millions du
15 au 23, quand il se disait que le Comice se tiendrait du 15 au 20. Et
que dire de Tadu Dairy, avec ses 10.000 pots de yaourt qui ne pourront
pas attendre le mois de janvier 2011…
En tant qu’ingénieur agronome, quelles pourraient être les implications biologiques de cette mesure?
Voyez-vous,
le calendrier agricole n’est malheureusement pas aussi maniable qu’on
pourrait l’imaginer. Quand un régime de plantain a atteint sa maturité
physiologique dans l’arbre, il faut le cueillir, sinon il mûrit et
pourrit dans l’arbre. Si on l’a cueilli, il peut résister une semaine au
maximum. Voila la réalité des producteurs qui avaient déjà cueilli
leurs produits pour le Comice. On peut reporter autant de fois le
Comice, on ne reportera jamais le murissement naturel d’un régime de
plantain.
Par ailleurs, renvoyer le Comice en janvier augmente la
difficulté pour les producteurs, car nous sommes en pleine saison sèche,
période de repos végétatif de plusieurs espèces de plantes.
N’y a-t-il pas lieu de craindre un relâchement à grande échelle, de la part des participants ?
Il
y a effectivement lieu de craindre ce relâchement, car le préjudice de
ce report, pour la plupart des participants, n’est pas que financier. Il
est aussi et surtout psychologique. Mettez-vous à la place des
producteurs, qui avaient tout misé sur ce Comice pour préparer leurs
fêtes de fin d’année… Et que dire de ces participants qui avaient
organisé leur agenda, renvoyant certaines activités de décembre à
janvier ?
Un autre motif de crainte réside dans la manière dont la
communication est organisée autour du Comice. Imaginez-vous qu’il n’y a
eu qu’une seule annonce de report : celle du lundi 13. Personne n’a
jamais dit qu’il n’y avait pas Comice le 09, et on a laissé courir la
rumeur de la tenue du Comice pour la période du 15 au 20. Et c’est à la
fin du Comice, qui aurait dû démarrer le 09, qu’on annonce le report.
Toute chose qui n’est pas de nature à rassurer pour janvier. Pire,
l’imprécision de la date en janvier amplifie le doute.
Janvier 2011 sera-t-il plus intéressant que décembre 2010 ?
Il
ne faut pas se leurrer : ce Comice en janvier ne sera pas le même que
celui qui aurait dû avoir lieu du 09 au 14 décembre. Pour ce qui
concerne le Comice agropastoral d’Ebolowa, nous en sommes au sixième
report. Le premier a eu lieu en 1991, une semaine avant l’ouverture. En
2008, on l’a annoncé pour l’année suivante. En 2009, on l’a annoncé pour
2011. Au 31 décembre, on l’a ramené en 2010. Prévu du 09 au 14 décembre
2010, la rumeur l’a reporté du 15 au 20 décembre 2010. Et voici que le
communiqué du secrétariat général de la présidence le renvoie à janvier
2011 ! On espère que ce sera le dernier report.
Interview réalisée par Félix C. Ebolé Bola