Bernard A. Muna : Je quitterai le pouvoir après une brève transition
Si l’on vous demande de faire un état des lieux du Cameroun en 2010, que diriez-vous ?
Sur
le plan économique, le Cameroun est un pays dans lequel l’on n’a
manifestement pas encore réussi à exploiter et à transformer en
richesses les innombrables ressources naturelles et humaines
disponibles. Il est aberrant qu’avec tant de richesses naturelles, nous
ayons un si fort taux de sans-emploi qui se recensent notamment dans la
classe des jeunes diplômés.
Nous sommes dans un pays où bon nombre
s’enrichissent par des moyens douteux et non orthodoxes, où de
faramineuses sommes d’argent sont gardées dans des coffres-forts ou
malles cachées dans des domiciles privés, à l’abri de tout regard et de
tout contrôle. Nous sommes dans un pays où des politiciens,
fonctionnaires et hommes d’affaires véreux ont contracté des alliances
vicieuses pour piller, ensemble, le trésor public à travers de faux
contrats, des contrats non exécutés ou bâclés, ou encore des contrats
dont les coûts sont frauduleusement multipliés.
Le mal camerounais
est à chercher dans la malhonnêteté des politiciens, membres du
gouvernement, haut cadres, fonctionnaires, hommes d’affaires et
responsables de sociétés publiques et parapubliques. Le Cameroun a
besoin d’hommes intègres et honnêtes, dans toutes les sphères de la
société.
Sur le plan politique, le Cameroun regorge de pas mal de
feymen politiques. Le parti au pouvoir a réussi l’exploit de tuer la foi
des Camerounais en la possibilité d’un progrès politique soutenu par
l’émergence des institutions étatiques encadrées par des principes de
démocratie et de probité. Le parti au pouvoir est passé maître dans
l’art de la manipulation de l’opinion, par le folklorique et les mises
en scène qui contrastent, pourtant, radicalement avec la réalité. Par
exemple, les plus de 250 partis politiques enregistrés officiellement
(et dont plus de 90 % sont créés ou suscités par le régime en place)
sont destinés à entretenir l’illusion d’un pays très démocratique auprès
de l’opinion nationale et internationale. Or, loin d’être l’expression
d’une vitalité politique débordante, il s’agit d’une anarchie suscitée
et entretenue par le régime qui s’en sert comme arme pour mieux
contrôler et diluer toute action viable des vrais partis progressistes.
Il suffit d’assister à une réunion entre le gouvernement et les partis
politiques pour en être témoin. Ces soi-disant partis politiques,
sponsorisés par le pouvoir en place, ont pour mission de jouer les
troubles fêtes et d’entretenir en permanence un climat de confusion
politique. Cet état de choses est, désormais, tellement banalisé que ces
leaders-pions ne se cachent plus pour demander leur miche au
gouvernement, comme contrepartie de leur appartenance à la majorité
présidentielle.
Depuis septembre 2010, vous avez annoncé votre candidature à
la présidentielle prévue cette année. En quoi consiste votre programme ?
Premièrement,
lorsque nous jetons un regard rétrospectif sur les 50 ans de notre pays
depuis l’indépendance de la partie francophone et la réunification des
deux Cameroun, nous réalisons que nos avons manqué de saisir de grandes
opportunités.
Tout d’abord, l’indépendance de la partie francophone
est octroyée au milieu d’une révolte de citoyens contre le colon
français, sans que les acteurs et les parties prenantes se soient
données le temps de la réconciliation, sans que les parties se soient
accordé sur les fondamentaux de la Constitution de cette nouvelle
République, sans que l’on ait eu le temps d’organiser de nouvelles
élections.
En effet, ce n’est que 3 mois après l’indépendance, en
mars 1960 notamment, que la Constitution du jeune Etat du Cameroun fut
élaborée et des élections organisées sans la participation de l’Upc,
alors en rébellion. Aussi, les pourparlers pour la réunification,
parachevés lors du Congrès de Foumban, se sont déroulés en l’absence de
l’Upc. Et l’on rata, encore là, une deuxième opportunité de
réconciliation nationale. On évolua vers le parti unique, toujours sans
l’Upc. Et plus tard vint le régime du Renouveau et le coup d’Etat manqué
de 1984, qui attisera un autre pôle de mécontentement dans la partie
nord du pays.
En 1990, le retour au multipartisme mettra en scène,
entre autres mouvements, des protestations politiques de la partie
anglophone du pays. Et, là encore, aucun effort sincère de
réconciliation n’est fait. L’on aura plutôt droit à la fameuse
Tripartite, une farce politicienne qui se soldera par le folklore
prémédité par le Rdpc, dont les femmes envahiront la salle avec des
arbres de paix, perturbant ainsi une réunion politique qui aurait pu
être déterminante pour l’avenir de notre pays si elle était restée
rationnelle et dépassionnée.
Nous croyons en la nécessité d’un
gouvernement de transition. Je m’estime à la hauteur pour assurer le
leadership d’un tel gouvernement. Le chef de ce gouvernement devra
quitter le pouvoir une fois ses missions essentielles accomplies, et la
nouvelle Constitution adoptée et promulguée. Le leader de ce
gouvernement de transition ne sera pas candidat à l’élection
présidentielle suivante. J’estime que mon expérience professionnelle,
tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur, fait de moi le meilleur
candidat pour un tel gouvernement de transition. Je suis l’un des rares
hommes politiques de l’heure à avoir vécu et travaillé dans le système
du Cameroun occidental, du Cameroun oriental durant le fédéralisme et
dans le système de l’Etat unitaire. Je suis donc doté de beaucoup
d’expérience que j’entends mettre à contribution, dans le dessein de la
reconstruction du Cameroun de demain. Tous les ouvrages d’analyse
politique que j’ai écrit et publié portent sur la construction d’un
nouveau Cameroun et d’une nouvelle Afrique émancipés des jougs tribaux,
ethniques et religieux régressifs. Je suis disposé à mettre mon
expérience et mes connaissances au service du Cameroun et des
Camerounais.
Au lendemain de notre victoire, notre premier acte sera
de mettre sur pied la Commission vérité et réconciliation. Elle devra
traiter des points essentiels que j’ai déjà évoqués. En plus, elle devra
s’attaquer aux principaux fléaux qui ont jusqu’ici porté atteinte aux
droits de l’homme en général, à la corruption, aux détournements de
fonds publics, etc.
Il est important de souligner que notre règne ne
sera nullement consacré à la construction des prisons pour caser les
milliers de délinquants à col blanc, qui auront usé de leur position de
pouvoir pour piller le trésor public et s’enrichir illicitement : ils
sont des milliers, et se retrouvent dans tous les secteurs d’activité.
La Commission vérité et réconciliation se penchera sur les cas de ceux
qui voudront bien avouer leurs forfaits, restituer le trop-perçu au
Trésor public et demander pardon au peuple camerounais. Pour ceux qui
franchiront ces étapes, à la satisfaction de la Commission et du peuple,
ils bénéficieront de la grâce présidentielle et resteront par
conséquent libres.
Une Assemblée constituante sera élue, avec pour
mission d’élaborer la nouvelle Constitution du Cameroun sur la base des
principes de respect de l’histoire, des cultures et des réalités
sociales camerounaises. Cette nouvelle Constitution sera soumise à
l’adoption du peuple camerounais, par un vote référendaire. Toute
modification ou amendement de ladite Constitution se fera
obligatoirement par la même voie. La décentralisation complète des
pouvoirs sera consacrée dans cette nouvelle Constitution, pour empêcher
aux hommes politiques de se substituer à nouveau aux institutions dans
le but d’assouvir leurs desiderata égoïstes. Cette nouvelle Constitution
donnera, à chaque Camerounais pris individuellement, le droit de saisir
la Cour suprême en cas de violation de l’un de ses droits
constitutionnels. Elle devra, par ailleurs, garantir l’indépendance
judiciaire, l’impartialité de l’administration et de la Fonction
publique assurée par des fonctionnaires bien rémunérés et libérés du
joug des pouvoirs politiques subséquents.
Comment entendez-vous améliorer les choses dans les secteurs tels que l’éducation, la santé, la sécurité sociale ?
L’éducation
est l’un des secteurs piliers d’une nation. Elle mérite qu’on lui
accorde un financement et un investissement conséquents, tout en sachant
que les retombées ne sont pas toujours immédiatement visibles. Or, il
va de soi que la qualité d’une nation est étroitement dépendante de la
qualité du système éducatif qu’elle développe et met à la disposition
des jeunes générations. Les bons docteurs, physiciens, ingénieurs,
juristes, comptables, banquiers, entrepreneurs et autres, capables de
compétitivité et de créativité, ne sont que le résultat d’un bon système
éducatif, à la fois moderne et à la portée de toutes les couches
sociales. Or, ce secteur souffre, chez nous, d’un sous-investissement
qui se ressent dans la précarité de la main-d’œuvre, des infrastructures
et de la recherche. Il existe encore de nombreuses localités où des
écoles, créées par décret, sont matériellement inexistantes faute de
salles de classes, d’enseignants et de logistique. La création d’écoles
par décret est devenue la ruse favorite du régime, qui s’en sert pour
arnaquer les populations et abuser de leur confiance. Or, les
enseignants, tout comme les infirmiers et les médecins, sont des
personnels indispensables dans le bon fonctionnement de la société. Mais
ils sont négligés et clochardisés par le régime.
Pour éviter de
faire face au problème de manière concrète, le régime en place a trouvé
l’échappatoire consistant à autoriser les médecins et infirmiers à
exercer en clientèle privée. Il y a lieu de se demander à quel moment
ceux qui exercent en privé se consacrent aux patients qui font la queue
devant les services de santé publique. Il en est de même du secteur de
l’éducation, où le gouvernement a opté pour la voie du raccourci en
autorisant la création anarchique d’établissements privés sans
régulation. Beaucoup de ces structures, destinées à recevoir de jeunes
Camerounais, sont construites avec des matériaux provisoires dans des
marécages, sans aucune logistique et dans un environnement infeste et
invivable. Pour couronner le tout, le personnel qui y enseigne n’est pas
qualifié, et certains sont d’ailleurs de moralité douteuse.
Notre
gouvernement de transition s’attellera à la construction effective
d’infrastructures scolaires qu’elle dotera d’une logistique adéquate, et
d’enseignants bien formés et surtout rémunérés décemment, et
proportionnellement à leur apport dans le développement de notre nation.
La même anarchie est palpable dans le secteur de la médecine
traditionnelle, où il n’existe pratiquement pas de codification éthique
et scientifique pour réguler cette profession à l’échelle nationale. Or,
à l’échelle internationale, beaucoup de ces praticiens et chercheurs
sont reconnus dans et par leurs associations respectives, tandis que le
régime continue de voir en eux une menace plutôt qu’une contribution
importante dans la construction d’un système sanitaire camerounais
autonome. Notre gouvernement créera un partenariat permanent entre la
médecine occidentale et la médecine traditionnelle, afin de donner aux
herboristes et guérisseurs traditionnels l’opportunité d’approfondir
leurs recherches et de contribuer, ainsi, à la construction d’un système
de santé plus scientifique et crédible, mais aussi efficace et à la
portée de toutes les bourses. De nos jours, les 2/3 des médecins
camerounais formés dans nos propres universités exercent à l’étranger.
Nous nous engageons aussi à créer des conditions psychologiques,
sociales, financières et scientifiques qui soient intéressantes pour les
jeunes médecins dont la formation coûte si cher au contribuable, afin
de les encourager à exercer volontiers dans leur pays.
Qu’en est-il de la création d’emplois ?
Le
régime en place essaye, de temps à autre, de résoudre le problème du
chômage par des recrutements massifs dans la Fonction publique. Cette
approche est viciée par deux problèmes majeurs :
- les procédures de
recrutement sont si corrompues que bon nombre de ceux qui sont retenus
sont des personnes sans qualification, ou détentrices de faux diplômes.
Ce qui fait que, 5 ou 10 ans plus tard, le régime s’en sert pour faire
un autre tapage de mauvais goût sur la lutte contre la fraude et la
corruption ;
- la surpopulation de la Fonction publique, engendrée
par cette approche du Renouveau, oblige l’Etat à assumer une masse
salariale que notre économie ne peut supporter, car l’argent est injecté
dans des secteurs qui ne sont pas immédiatement productifs, au
détriment des secteurs productifs et générateurs d’emplois qui manquent
de financement.
Nous nous proposons de commencer par concevoir une
politique fiscale qui attire et encourage l’investissement des nationaux
et des étrangers. Les deux principaux obstacles, dont il faudra se
débarrasser, sont la corruption et les pesanteurs administratives qui
empoisonnent notre environnement et font de notre pays un mauvais risque
pour la plupart des investisseurs. Aussi, en l’absence d’un système
judiciaire impartial et autonome, capable de dire librement le droit en
cas de contentieux, les investisseurs n’oseront pas faire entrer leurs
capitaux dans nos marchés. La relance économique, et partant la création
d’emplois mieux rémunérés, est étroitement dépendante de la
l’élimination de ces obstacles. Le secteur agricole, par exemple, est
très prometteur, mais il ne suffit pas de dire aux jeunes de retrousser
les manches et de cultiver ; il faut encore mettre à leur disposition le
matériel moderne adapté à chaque type de terre et d’exploitation
agricole. Il faudra aussi s’assurer que les moyens routiers et
automobiles indispensables à l’écoulement des produits sont mis à la
disposition des cultivateurs, et réguler chaque secteur pour permettre
aux agriculteurs de jouir des retombées de leurs productions dans le
cadre d’un commerce équitable.
Et dans le domaine du sport, qui passionne tant les Camerounais…
Le
Cameroun a le potentiel qu’il faut pour devenir une grande nation
sportive, si l’on cesse de se focaliser uniquement sur le football.
Concernant le football, le soutien et les encouragements constants du
gouvernement, ajoutés à une dépolitisation de la gestion du football,
peuvent produire de meilleurs résultats. Dans d’autres disciplines, il
règne un grand déficit de reconnaissance et de subventions
proportionnelles aux exigences de chacune d’elles. Or, lorsque, par des
efforts personnels, de talentueux Camerounais réussissent à réaliser des
exploits à l’échelle internationale, le régime s’approprie tout de
suite leurs mérites sans pudeur. L’Etat du Cameroun se doit de mettre, à
la disposition des talents camerounais, des infrastructures et des
subventions pour encadrer l’éclosion de leur génie dans des disciplines
telles que le tennis, le cyclisme, la boxe, le karaté, etc. Mais, si la
gangrène de la corruption et du trafic d’influence n’est pas maîtrisée,
les fonds alloués à la subvention de ces sports finiront dans des
comptes privés, comme d’habitude.
Quelles sont les méthodes que vous préconiseriez dans la
lutte contre la corruption ? Votre stratégie de lutte sera-t-elle
différente de celle appliquée par M. Biya actuellement ?
Enquêter,
poursuivre et condamner les fonctionnaires qui se rendent coupables de
ces pratiques de corruption et de détournement, c’est comme courir après
une chèvre qui s’est échappée de l’enclos, ou alors poursuivre un
cambrioleur qui a pu braver les mesures de sécurité, s’emparer de ce qui
ne lui appartient pas et s’enfuir. S’il est important de poursuivre et
de rattraper le voleur ou la chèvre qui s’est échappée, il est encore
plus productif d’examiner les failles de l’enclos pour éviter que
d’autres chèvres ne s’échappent, ou alors que d’autres brigands ne
franchissent le dispositif de sécurité.
Il est plus sécurisant, pour
l’Etat et pour son patrimoine, qu’au-delà de la punition des
détourneurs et corrompus, une étude minutieuse de notre système soit
entreprise pour remédier à ces failles qui encouragent les gens de peu
de moralité à perpétrer leurs crimes. Cette réforme du système permettra
de limiter les détournements et la corruption, à défaut de les
éradiquer. N’est-il pas aberrant qu’au XXIème siècle, de hauts cadres de
l’Etat traînent encore des mallettes d’argent dans leurs bureaux pour
régler des factures et rémunérer d’autres services rendus à l’Etat ?
Cette pratique fait le lit de la corruption, puisque le ministre ou le
cadre de l’Etat a l’occasion de soustraire sa quote-part et obtenir, du
créancier, qu’il signe pour la totalité de la somme qu’il aurait dû
percevoir, même s’il n’en reçoit qu’une partie.
On peut tout
simplement instaurer que le payement de toute dette publique s’effectue
obligatoirement par chèque ou bon du trésor. Les ministres et cadres de
l’Etat, en mission à l’étranger, devraient effectuer leurs dépenses non
pas avec de l’argent liquide mais avec une carte de crédit conçue pour
eux à cet effet. Ce qui limite la confection de fausses factures. Pour
moi, le meilleur moyen de clouer les délinquants c’est de renforcer le
système de contrôle des décaissements, des encaissements et des dépenses
de l’Etat pour un meilleur suivi, afin de décourager les pratiques
financières frauduleuses.
Que pensez-vous de la plainte introduite contre M. Biya, concernant l’affaire dite des «biens mal acquis» ?
Tout
d’abord, permettez que je clarifie ma position sur la poursuite des
chefs d’Etat africains par des pays qui, hier, étaient nos colons et
persécuteurs : je n’exclus pas les structures judiciaires initiées et
promues par ces mêmes pays, exception faite des Cours créées par les
Nations Unies qui sont une autorité internationale, instaurée pour
atteindre un objectif et reconnues par la quasi-totalité des Etats de la
planète. La Cour pénale internationale et les juridictions internes de
certaines puissances occidentales, présentées comme des juridictions
universelles, recèlent un dessein néocolonial non avoué. Au début de
l’année 2010, répondant à la question d’un reporter de la Bbc concernant
le bilan de la Cour pénale internationale après plusieurs années, M.
Moreno Ocampo, le procureur de cet organe, répondit spontanément : «Vous
voyez, l’Afrique est en train de changer, l’Afrique est en train de
changer.» C’était la preuve que cet organe, soi-disant indépendant, a
été créé pour l’Afrique. Les pays d’Europe et d’Amérique du Nord n’ont
pas développé des Cours indépendantes parce que leurs pays ont su
prendre, sur eux, la responsabilité et le devoir de poursuivre leurs
politiciens véreux. Ma position de panafricaniste est claire : nous ne
réussirons jamais à mettre sur pied nos propres juridictions
indépendantes si nous nous accommodons toujours des juridictions créées
par des puissances néocoloniales. Nous devons pouvoir nous exercer à
régler nos propres contentieux. Les débuts peuvent être difficiles et
tortueux, mais c’est dans la pratique que nous nous améliorerons à
travers une autocritique qui nous permettra, à terme, d’avoir un système
judiciaire indépendant, impartial et juste.
L’élaboration d’une
Constitution qui soit adaptée aux réalités sociales de notre pays
constitue le fondement d’une telle modernisation de notre système
judiciaire. Même si nous n’arrivons pas à juger, dans un bref délai, nos
leaders politiques, il va de soi qu’une fois ces jalons
constitutionnels posés, il sera plus aisé, pour la nouvelle génération,
de parachever la construction d’une institution judiciaire indépendante
et outillée pour connaître tous les contentieux. L’émancipation de
l’Afrique passe aussi par la rupture d’avec l’époque où les crimes
commis en Afrique, contre les Africains et par les Africains, sont jugés
exclusivement dans des pays étrangers. La Commission vérité et
réconciliation aura pour mission de réconcilier les Camerounais entre
eux, gouvernants et gouvernés, le cas de notre président sortant ne fera
donc pas une exception.
Comment traiterez-vous des cas John Fru Ndi, du colonel Chi
Ngafor et de bien d’autres, qui sont inculpés depuis plus de 4 ans pour
l’assassinat d’un militant du Sdf ?
Ceux qui ont suivi, de
près, cette affaire d’assassinat savent pertinemment que ce sont en
réalité certains pontes du régime Rdpc, et certains responsables de
l’administration, qui avaient planté le décor de la scène de violence en
bloquant l’entrée du Palais des congres, pourtant régulièrement loué
pour notre cérémonie, et encouragé les caciques du Sdf à franchir le
rubicond. Et le pire arriva avec le meurtre de notre camarade, Diboulé
Grégoire. Les choses avaient donc été manipulées par certains acteurs,
pour atteindre leurs fins politiques. Cette affaire méritera aussi que
la Commission vérité et réconciliation s’y penche. Le nouveau Cameroun,
que nous voulons construire, devra être un pays d’harmonie et de
fraternité entre tous les citoyens.
Comment entrevoyez vous 2011, sur le plan international ?
Je
commencerai par l’Afrique. 2011 est une année électorale dans beaucoup
de pays africains. J’émets le vœu que ces élections se déroulent dans la
paix et la transparence. Il est vital que nos leaders politiques
apprennent à ne plus confondre leurs intérêts personnels avec les
intérêts de leur nation. Il est vital que nos leaders apprennent à
mettre l’intérêt général de l’Etat au-dessus de leurs intérêts égoïstes,
tribaux ou ethniques. Il y a eu un bain de sang post-électoral au
Zimbabwe, au Kenya et maintenant c’est le tour de la Côte d’Ivoire. Nous
devons en tirer des leçons pour repenser notre avenir politique. Cette
réalité implacable, qui s’impose, révèle l’inadéquation manifeste entre
le modèle de démocratie occidentale et les réalités ethnoculturelles de
nos pays. Il nous incombe donc de concevoir et de proposer un autre
modèle de démocratie, un autre modèle institutionnel qui prenne en
compte nos réalités locales.
Le problème, en Côte d’Ivoire, ne se
situe pas au niveau de qui a gagné et qui a perdu. Le problème réside
dans la précarité de nos institutions étatiques, laquelle précarité a
conduit à la négation de la Cour constitutionnelle d’un pays par toute
la communauté internationale. Mon rêve est que le projet des Etats-Unis
d’Afrique devienne, progressivement, une réalité afin que les Africains
se dotent d’institutions et textes nécessaires pour s’autogérer sur tous
les plans.
Sur le plan économique, mon souhait est que, dans un
premier temps, la Cemac, ainsi que les autres organisations
sous-régionales d’Afrique, se dotent de moyens juridiques et
institutionnels adéquats pour encadrer et fortifier une plus large et
libre circulation des biens et des personnes. Cela devra, à terme,
accoucher d’un espace monétaire et d’un marché continental mieux
structurés sur lesquels l’Union africaine s’appuiera pour développer sa
compétitivité. Je ne crois pas que l’Onu puisse changer, car elle reste
et demeure une institution au service des intérêts de grandes puissances
et de leurs alliés les plus fidèles. Néanmoins, l’Onu reste le seul
organe qui a la responsabilité d’œuvrer pour la paix dans le monde. La
consolidation de sa crédibilité passe par le respect de ses missions
originelles, qui se résumaient en la défense des intérêts des plus
faibles. L’Onu devrait redevenir la voix des sans-voix, conformément à
l’esprit qui sous-tendait sa création.
Que pensez-vous de la «Françafrique», de la Francophonie et du Commonwealth ?
Premièrement,
il s’agit d’organisations dont le but exprimé est de mettre, ensemble,
des pays autour d’une table pour discuter de questions et de problèmes
qui les concernent. Vu sous cet angle, on peut dire qu’il s’agit de
regroupements destinés à créer des pôles de leadership et de lobbying
voués à la défense des intérêts des membres faibles par les membres
puissants, qui peuvent facilement faire entendre leur voix sur des
questions de grande importance. Pour moi, ces organisations devraient
promouvoir le partage du savoir, des découvertes, des compétences, de la
culture, etc. afin de cultiver la compréhension et la tolérance
interplanétaire pour un monde plus juste et plus fraternel.
Quels sont vos vœux aux Camerounais, en cette année 2011?
Je
formule le vœu que chacun de nous, croyant ou non, soit abondamment
béni par Dieu tout-puissant en 2011. Puissions-nous recevoir la santé,
la prospérité, le succès dans toutes les sphères de la société sur les
plans académique, professionnel ainsi que le succès dans toutes nos
initiatives. Puisse 2011 être, pour notre pays, l’année de
réconciliation nationale, de la paix, de la liberté et de la vraie
démocratie.
Je voudrais lancer un vibrant appel à tous les patriotes
camerounais en âge de voter : allez vous inscrire massivement sur les
listes électorales afin d’exercer votre devoir de citoyens en
participant aux élections. Le faisant, vous contribuerez à la
réalisation des grandes mutations politiques et sociales que connaîtra
notre pays au cours de cette année. Je prie pour la paix et la
prospérité, dans notre pays, et remercie Dieu tout-puissant qui nous a
fait grâce d’une armée républicaine qui est restée fidèle aux intérêts
de l’Etat et de la nation. Puisse le Seigneur lui accorder davantage de
clairvoyance au cours de cette année, afin qu’elle reste le fidèle
serviteur de la nation au-delà des régimes politiques appelés à passer,
fatalement.
Entretien mené par Jean Francis Belibi/Mutations 05-01-2011