Benjamin Zébazé : Les dix millions de la discorde

(... ) Je n’oublie pas que c’est Pius Njawé, accompagné de Sévérin TCHOUNKEU qui a conduit mon défunt père à sa dernière demeure. Je n’oublie pas non plus toutes les longues heures de discussions que nous avons eues à son domicile pendant la période précédant l’enterrement de son épouse ; période pendant laquelle il ne cessait de s’inquiéter de l’avenir de ses enfants qui venaient de perdre une véritable maman poule.

C’est pour cette raison que je suis triste en pensant à eux aujourd’hui.
Par bonheur ils ont de qui tenir, à l’image d’Amanda, très digne samedi dernier parlant au nom de ses frères et sœurs dans un émouvant témoignage.

Célestin Monga était dans son rôle samedi dernier
On a tout entendu et son contraire dans les médias le week-end dernier; voir à quels points des journalistes paresseux assènent des contre-vérités à la chaîne toute honte bue avec pour objectif de ternir l’image de quelqu’un venu enterrer un ami est tout simplement navrant. Les donneurs de leçon habituels de la CRTV s’en sont donné à cœur joie. Voilà des journalistes « instruisant uniquement à charges ». Pourquoi ne pas avoir contacté le camp Monga pour sa version des faits plutôt que débiner leur bile haineuse sur les écrans d’une chaîne de télé qui appartient à tous les camerounais ?
La vérité est toute simple : c’est Célestin MONGA qui, toute affaire cessante, s’est occupé du rapatriement de la dépouille de son ami avec l’accord de la famille, s’est déplacé avec cercueil, clefs que les membres de la famille lui avait confiés.
Avant son départ des USA, les amis du défunt les plus influents l’ont contacté afin qu’il prononce l’oraison funèbre lors de l’enterrement ; il l’a refusé dans un premier temps. Ces amis sont revenus à la charge avec comme argument le fait que son accord mettrait fin à un débat qui commençait à enfler au sujet du choix de la personne à qui attribuer cette tâche.

Il l’a finalement accepté sous réserve de l’accord des enfants NJAWE qui n’ont d’ailleurs émis aucune objection.
Samedi dernier, il était clair qu’il prononcerait cette oraison après le discours des politiciens et la lecture de la lettre du Chef de l’Etat. Après toutes les interventions prévues et imprévues, un membre du protocole est venu lui annoncer qu’il était temps qu’il intervienne. Annoncé par le speaker, quelle n’a pas été sa surprise face à l’intervention intempestive du gouverneur ?
 Il faut peut-être s’interroger sur ce que l’on entend par oraison funèbre. Il ne s’agissait pas pour Célestin Monga d’un témoignage comme ce qui avait été fait auparavant ; il devait  parler du défunt, de son séjour aux Usa, des circonstances de sa mort sans aucune polémique. Fallait-il enterrer Pius Njawe juste après les invectives des opposants et l’hypocrisie du pouvoir ? S’agissait-il d’obsèques officielles ? La lettre de M Biya lue, le gouverneur ne pouvait-il pas, dans un éclair de lucidité quitter les lieux  d’autant plus que la suite ne concernait que la famille et les amis ? Le moins que l’on puisse dire est que le gouverneur et M. Biya n’en faisaient pas partie.
Lorsque M Tchiroma, oubliant son rôle dans le comité de libération de Célestin Monga dans les années 90 ( où a-t-il laissé ses compagnons de lutte ?) prétend qu’après la lecture du  message du chef de l’Etat, personne ne peut plus intervenir, il croit peut être que tout le monde manque de personnalité comme lui au point de se coucher devant des règles stupides. L’autorité administrative est au dessus des autorités traditionnelles ; pourtant dans son Nord natal, des préfets se mettent à genoux pour les saluer sans qu’une véritable girouette comme lui ne trouve rien à redire. Quand on veut faire du « Kontchou », il faut un minimum de talent.

Une manœuvre du Gouvernement
On a aussi tout entendu au sujet de l’aide de 10 (dix) millions de francs CFA accordée à la famille par le gouvernement en vue de participer aux obsèques de Pius Njawé.
La question qui revient le plus souvent est simple : fallait – il oui ou non accepter cette aide ? Très sincèrement la réponse à une telle question n’est pas évidente.
On peut considérer que Pius Njawé a travaillé toute sa vie pour rendre au peuple camerounais un peu de sa dignité. Dans ces conditions, il serait normal que l’argent du peuple contribue à l’enterrer. Faut – il rappeler que cet argent n’appartient pas à M Biya ? Un plaisantin me faisait d’ailleurs remarquer samedi à Babouantou que, n’eût été le manque de perspicacité du président Ahidjo, il est presque certain qu’en travaillant avec ses deux mains, Paul Biya n’aurait pu accumuler pareille somme.
Mais on peut aussi se demander s’il était opportun de prendre cette somme venant d’un pouvoir qui avait battu, combattu, torturé, traumatisé, humilié et « tué » à petit feu le défunt pendant plus d’un quart de siècle. Les tenants de cette thèse feront aussi remarquer que Pius Njawé de son vivant avait toujours refusé toute compromission avec le pouvoir au point de rejeter l’aide à la presse à laquelle il avait légalement droit.
En acceptant ou en refusant cette « aide » du gouvernement, la famille Njawé s’exposait de toutes les façons à des critiques venant d’un camp comme de l’autre.

Le rôle maléfique du pouvoir
Toutes les explications du monde ne pourront me convaincre de l’innocence de l’action du gouvernement. Depuis quand l’a-t-on vu avoir de la compassion et agir de manière désintéressée ?
Le grand public saura un jour comment l’aide fragmentée a été faite à la famille. Connaissant le cynisme des membres de ce gouvernement, tout a été certainement fait sciemment avec une volonté manifeste de ternir l’image du défunt qu’ils avaient combattu des années durant parfois avec des méthodes d’un autre monde.
Pour apporter une quelconque aide à une famille, fallait – il un tel renfort de publicité ? En remettant l’argent en « pièces détachées », le pouvoir a agit comme un loup entrant dans une bergerie et dès lors, des événements malheureux se sont succédés.
J’ai failli, à titre personnel m’étrangler en constatant que la parole était donnée au représentant du Ministère de la Communication. Je me suis rappelé  d’un entretien avec Pius avant son départ pour les USA, dans lequel il insistait une fois de plus sur ses déboires avec le Ministère de la Communication au sujet de sa radio bâillonnée depuis des années.
En entendant le Docteur Mbida rabâcher un discours convenu qu’il ne tiendrait pas sur la CRTV et surtout du vivant de Njawé, j’ai pensé à ce matin où il m’avait demandé de le retrouver en urgence au futur siège de cette radio pour déballer avec son enthousiasme contagieux, un matériel dernier cri. L’idée même qu’on puisse lui refuser ce qui était accordé facilement aux autres ne lui traversait pas une seule seconde l’esprit.
C’est un homme meurtri, révolté, presque découragé qui assistera à la mise à sac de son outil de travail au cours d’une opération quasi militaire, orchestrée par le Ministère de la Communication. Il fallait s’appeler Njawe pour rebondir face à tant d’adversité.
Qu’une tribune soit offerte à ses bourreaux d’hier pour se refaire une virginité me paraît insupportable, comme l’est tout aussi insupportable le sort réservé à Célestin MONGA au nom d’une règle de protocole surannée lors de l’enterrement d’un personnage dont le caractère iconoclaste était connu et répertorié.

Le procès des élites de l’Ouest
Il faudra bien que l’on fasse un jour le procès des élites de l’Ouest. L’intervention du Gouverneur montre une fois de plus la passivité de ces élites couchées devant tout pouvoir depuis plus d’un demi siècle ; quand se relèveront-elles ? Il ne s’agit pas de se comporter en vandales, mais de montrer au moins qu’on n’est pas d’accord ne serait-ce que par une présence et une attitude. Seuls les jeunes se sont montrés solidaires de Célestin Monga jusqu’au bout ; on a même vu, comme un symbole, un natif de l’EST Jean François Channon (journaliste au Messager) prêt à tout pour que l’honneur d’un homme soit sauvegardé.
Ce qui s’est passé à Babouantou le week-end dernier ne pourrait se passer nulle part ailleurs au Cameroun. On a vu, comme je le disais plus haut, des préfets retirer leurs chaussures et se mettre à genoux afin de saluer des autorités traditionnelles dans le grand nord.
Il s’agissait quand même de  l’enterrement de MIAFFEU KWENKAM III, l’un des plus emblématiques notables de la région de l’Ouest. Malgré la présence des Chefs traditionnels et des patriarches originaires de la région, un fonctionnaire fraichement sortie de la machine à fabriquer de l’incompétence créée par le Chef de l’Etat s’est levée afin d’interdire toute prise de parole à un des plus illustres enfants de la région sans aucune réaction des élites.
L’image insolite de certains s’enfuyant le plus vite possible du lieu des cérémonies malgré une évidente surcharge pondérale restera certainement dans les mémoires.
Face à une telle faiblesse de son peuple, un personnage célèbre crée par l’écrivain nigérian à succès Chinua ACHEBE répondant au doux nom d’Okonkwo s’était tranquillement rendu derrière sa case pour se pendre avec dignité. C’est vrai qu’en ces temps là, les hommes avaient encore un peu de fierté.



12/08/2010
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