Belgique, Commémoration des victimes des émeutes du 28 Février 2008 au Cameroun.Exposé du Pr. Pierre Mila Assouté , Président du RDMC et du CNL

Chief Mila:Camer.beThème : Le Rôle de l’armée dans les processus démocratiques des pays autocratiques.Avant de prendre la parole, je voudrais remercier du fond du cœur, les organisateurs de cette journée du souvenir et de recueillement dédiée à ceux de nos compatriotes qui ont tragiquement perdu la vie le 28 Février 2008, dans des circonstances d’une barbarie militaire des plus atroces comme notre pays n’aimerait plus les revivre.Je m’excuse de n’être pas venu moi-même physiquement présenter cet exposé comme je l’avais initialement décidé. Des raisons spécifiques indépendantes de ma volonté sont venues changer mon calendrier à la dernière minute. Je m’en excuse auprès du comité d’organisation et singulièrement de M. Marcel Tchangue et de M. Elie TChuessa qui m’ont adressé une invitation empreinte de beaucoup de patriotisme et de fraternité.

Toutefois, malgré mon absence physique, je suis de tout cœur avec la communauté nationale qui se réunit à Bruxelles aujourd’hui, pour immortaliser historiquement nos jeunes, plutôt nos martyrs tombés hélas non pas sous les balles ennemis, mais celles de notre propre armée. La douleur est immense de savoir qu’ils sont morts, tués impunément leurs propres parents militaires alors qu’ils n’étaient qu’à la quête de la liberté, de la démocratie et du mieux-être…

En effet, comme tout le monde le sait, un corps spécial dirigé par un étranger a dû être appelé inopportunément cette année-là par son chef, M. BIYA, chef de l’Etat et des armées du Cameroun, (qui en porte la responsabilité), pour réprimer une simple émeute de jeunes qui s’opposaient dans le désarroi à la vie cher et aux tripatouillages constitutionnels qui les maintiendraient durablement dans la misère…A la place des forces de maintien de l’ordre dont c’est le rôle et la mission en pareille circonstance, l’armée s’est déployée effroyablement dans le pays pour provoquer un bain de sang… Elle a massacré avec une violence inouïe et de sang froid, près de deux centaines de leurs propres concitoyens aux mains nues, arrêté trois milliers autres, qui criaient famine dans les rues… Ils sont nos héros de la liberté commémorés aujourd’hui avec une grande peine de coeur dans la mort.

Ce drame national pose la problématique du rôle des armées dans les processus démocratiques des pays autocratiques et dictatoriaux et de leurs relations avec le Peuple, objet de l’exposé que je présente à votre auguste conférence d’aujourd’hui.

Il pose aussi la question du sens à donner aux interventions à géométrie variable de la communauté internationale quand les pays sont victimes de telles barbaries. Le silence de la communauté internationale sur le cas camerounais, le 28 février 2008, interroge et condamne, il reste un mystère lorsque l’on pose un parallèle avec le cas de la Guinée à Conakry, sous le capitaine Dadis Camara…

Nous allons dans cette analyse succincte, commencer par fixer le rôle de l’armée et son champ d’intervention dans un Etat. Ensuite, nous établirons sa relation avec le pouvoir politique duquel il reçoit ses ordres, puis nous analyserons son implication dans la gestion du pouvoir étatique et enfin son importance dans la construction de l’idéal démocratique des Peuples.

Le Rôle et les devoirs de l’Armée : l’armée est une institution clef dans l’existence d’un pays. Son principal rôle est de défendre militairement le territoire national contre des forces armées étrangères et contre toutes attaques ennemies…

Le rôle majeur de l’institution de l’armée comme je l’ai dit plus haut, entraîne les devoirs et des responsabilités immenses des militaires dans un pays. Les devoirs les obligent, aussi bien, envers leur pays que les citoyens dont les impôts permettent l’acquisition des armes pour protéger la nation tant à l’intérieur qu’éventuellement à l’extérieur des frontières nationales si les circonstances impérieuses l’exigent…

Les militaires ont de ce point de vue, une vocation. Elle doit les motiver en toute occasion de garder la distance suffisante pour assurer avec une neutralité vigilante et sans dérapages graves, la charge et l’engagement qui les obligent à servir la nation le mieux que possible. La responsabilité des officiers supérieurs, eux qui mettent en mouvement des troupes et les armes en ce qui concerne la protection du territoire jusqu’au sacrifice suprême, la défense de l’intégrité territoriale du pays et de l’intégrité physique du Peuple qui le compose, est essentielle parmi les premières contraintes qui régulent et fondent, le fonctionnement et l’accomplissement légaux des missions des forces de défense.

Sa mission fondamentale cantonne l’armée exclusivement à la protection de la souveraineté nationale. Cette mission, lorsqu’elle est respectée, place le militaire en situation de constante contradiction à la pratique sur les théâtres d’opérations. Il s’agit pour le militaire de se mettre au-dessus des opinions politiques sans s’exposer aux risques des violations des droits civiques et des droits de l’homme qu’ils doivent contrôler et maîtriser. La gestion des crises internes et même externes dans la chaîne de commandement militaire et la gestion de sa relation avec le Peuple, avec la presse et surtout de la façon de gérer des instructions conflictuelles ou controversées de leurs supérieurs, qu’ils soient militaires ou civils de l’ordre politique gouvernant doit obéir à cette rigueur éthique qu’incarne le devoir et l’obligation de la protection civile de l’armée…

C’est pourquoi, les forces de l’ordre pour accomplir des missions de défense territoriale et de préservation de la paix ainsi que celles d’assurer la garantie de la stabilité des institutions républicaines, sont réparties en trois différentes catégories à savoir la police, la gendarmerie et l’armée.

Les responsabilités de ces différentes forces dans le maintien de l’ordre interne contribuent ou non, à l’avènement d’une société démocratique. Selon qu’ils confondent leurs rôles et se tiennent essentiellement à leurs devoirs ou qu’ils servent des causes politiques partisanes comme c’est le cas de nombreux pays africains et surtout du Cameroun en particulier pour ce qui nous concerne, l’épanouissement de la démocratie en dépend largement. Chaque chef d’Etat se donne une armée de défense fortement dominée par des considérations tribalo-ethniques pour mater des velléités de liberté...

Certaines armées s’émancipent des pouvoirs politiques dictatoriaux, surtout dans les pays dits du tiers monde et singulièrement en Afrique. Elles prennent le pouvoir par des coups d’Etat. Certaines autres restent fidèles à l’esprit des fondements et des missions d’une armée, tout en dévoyant leurs devoirs pour se mettre exclusivement au service du détenteur du pouvoir politique civil, c’est le cas du Cameroun. La frontière dans l’exercice du pouvoir dans les systèmes autocratiques étant mince entre les institutions, le militaire apparaît inconsciemment comme un allié consubstantiel incontournable de la conservation du pouvoir politique civil et non pas comme un défenseur de l’ordre transfrontalier des menaces de guerre. Le chef du pouvoir civil est le chef des armées. La tendance de concéder des parcelles de liberté, des libéralités et des pouvoirs à l’armée pour qu’elle pèse sur le destin national, transforme très rapidement les chefs des corps armés en instrument de prédation. Ils soutiennent objectivement le chef des armées en marge des missions légales pour partager le pouvoir. Lorsque l’armée se met au service des autocraties et participe au musèlement du Peuple qu’il est censé défendre, Il est difficile, voir impossible, de venir à bout des autocraties sans effusion de sang.

Il n’est pas surprenant dans le cas camerounais, que l’on se soit trouvé en face du 28 Février 2008 avec une hécatombe humaine en raison de cette obéissance servile des armes dirigées contre le Peuple. Comment comprendre que l’armée soit sortie des casernes pour assurer les missions de maintien de l’ordre et massacrer un peuple qui crie famine ?

La singularité de l’intervention armée disproportionnée, pendant les émeutes du 28 février 2008, c’est la descente sur le théâtre, d’un corps d’élite créé pour lutter contre le grand banditisme, les coupeurs de routes et les preneurs d’otages armés aux larges de Bakassi qui s’est retrouvé à traquer à balles réelles des jeunes scolaires qui se mutinaient…

Cette intervention disproportionnée d’un corps spécial qui agit comme une milice surarmée au service du prince, le BIR, traduit à la fois, la fébrilité d’un régime gagné par le spectre de son renversement populaire possible et l’instrumentalisation de l’institution militaire à des fins de conservation du pouvoir par la force. Cette situation ne permet pas une analyse claire du rôle et des responsabilités du commandement des forces de 1er et 2e degré (police, gendarmerie) spécialisées dans le maintien de l’ordre qui sont intervenues face au peuple au cours de ces émeutes. J’en déduis en subodorant, que l’appel du BIR sur le théâtre, suppose l’existence dans nos forces armées, des corps peut-être minoritaires, qui ne partageaient pas forcément d’obéir aveuglement, à un seuil gérable de violence urbaine maîtrisable sans barbarie militaire, l’esprit d’une répression sauvage et surtout meurtrière et partisane, contre les populations qu’elles sont appelées à protéger…

L’armée et la démocratie.

Il n’est pas possible à une nation de passer d’un régime dictatorial ou autocratique à une société démocratique ouverte où la pluralité d’opinions a cours, sans l’implication de l’armée. Notre armée a besoin d’une conscience élevée pour assumer son importance et sa place dans la construction nationale d’une société démocratique. Elle n’a pas encore intégré aujourd’hui dans sa globalité, que la pluralité politique est un facteur critique de progrès commun que doit protéger l’armée.

Il faut remonter aux sources de la création de notre armée, pour comprendre sa mauvaise relation avec notre Peuple. Le Cameroun a hérité d’un embryon de l’armée coloniale dont les missions les missions de conquête furent réduites à servir le pouvoir naissant en 1960 dans un contexte de tourmente politique interne. Elle n’a véritablement jamais livré de guerre en dehors de ses interventions dans les conflits politiques nationaux et plus récemment à Bakassi où le droit a prévalu sur l’usage de la force pour reconquérir la partie de territoire jadis assiégé par le Nigeria.

Le réflexe de protéger les régimes politiques par la répression des populations s’est donc installé dans ses mœurs et son mode de gestion de la stabilité par la force au cours de ces 60 dernières années. Son éloignement du Peuple en découle. Même le conflit de Bakassi n’a pas permis à notre armée de prouver son utilité au combat à notre Peuple, vu le choix de l’issue du conflit armé de Bakassi et la porosité des frontières qui en résulte…

Le rapport militaire au politique dans le contexte pluraliste.

L’opposition camerounaise n’a pas non plus beaucoup travaillé sa relation avec les officiers supérieurs pour rassurer l’armée, au contraire, les conflits de contestations électorales de rue avec le parti au pouvoir, ont renforcé le positionnement militaire dans sa prédisposition de gestion des crises internes par la répression et de conservation des parcelles de pouvoir qu’elle détient, et qui la pousse à se comporter comme un allié du pouvoir qui protège ses propres arrières.

Il est difficile dans ce contexte de ne pas avoir recours à des révolutions ou à des rebellions…Les organisations de résistance pour libérer les peuples opprimés de l’emprise tyrannique des autocrates et des missions dévoyées de l’armée poursuivent cet objectif.

Le recours aux interventions étrangères, s’impose alors parfois aux acteurs politiques internes anéantis et désabusés par le poids de la collusion entre le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et l’armée, comme des solutions de mauvaise fortune… Certains y voient les seuls mécanismes susceptibles d’évincer les despotes et de limiter les dégâts d’une désagrégation générale du pays dont le basculement dans la guerre civile est souvent catastrophique au Peuple et leurs patrimoines…

La responsabilité de la communauté internationale.

L’intervention internationale pour libérer les peuples des jougs dictatoriaux n’est pas un luxe, même si elle n’est pas souhaitable parce qu’elle fragilise les capacités de la souveraineté des Etats, elle constitue les Peuples opprimés, des recours et moyens ultimes de dissuasion des despotes. Il est à considérer que face à la tyrannie et au risque d’un génocide manifeste, il est un devoir de la communauté internationale de se mobiliser pour agir, au-delà des intérêts stratégiques, à l’effet d’arrêter les drames humains, n’en déplaise les discours souverainistes sans armes et sans solutions exposant les peuples à rien d’autre que la prévalence et la préférence du chaos interne à la coopération internationale…

A la réalité, il est impossible que des défenseurs des droits de l’homme et de la démocratie dans un monde qui se globalise y compris avec des intérêts stratégiques transnationaux imbriqués, restent insensibles à l’effondrement des peuples et aux cris des humains qui se font couper les mains, les pieds dans des zones de non droit qui plaide pour l’autarcie des croyances, ou des peuples qui se font exécuter en masse par les armées des despotes des régimes totalitaires.

Il est préférable en règle générale par souci de souveraineté, j’en conviens, que les peuples prennent eux-mêmes en main leur destin sans intervention étrangère pour se libérer de leurs despotes. Cette préférence n’a pas à faire perdre de vue aux idéologues et autres théoriciens politiques souverainistes ou nationalistes, la réalité des expériences du Rwanda, de Somalie et autres, où les conflits ethniques internes de pouvoir sont allés au-delà des intérêts matériels pour provoquer des drames génocidaires ayant fait plus d’un million de morts, malgré la présence internationale…

Les Camerounais se doivent d’assumer pleinement la responsabilité de leur destin national. Notre obsession à faire croire que nos problèmes de développement ou de notre incapacité de gérer notre patrimoine ou encore de nous libérer des jougs despotiques proviennent uniquement de la volonté extérieure et spécialement de la France, relève d’une doctrine passéiste et d’un formatage nés des soutiens que des despotes ont bénéficié du temps des partis uniques de leurs homologues occidentaux en contrepartie des échanges des ressources stratégiques protégés par des accords de défense…

Or l’Egypte et la Tunisie viennent de démontrer aux yeux du monde que lorsque l’armée nationale a compris le sens et son rôle dans une société de liberté et de démocratique, lorsqu’elle a tissé des liens avec le peuple et les politiques alternatives, tout devient possible face aux régimes despotiques dans l’ordre interne et sans intervention étrangère, quel que soit l’influence et le soutien des acteurs étrangers dans le pays. Cette dimension reste à construire avec l’armée au débat de démocratie et de transition politique dans notre pays.

Je vais clôturer mon exposé pour ne pas être trop long, en rendant un vibrant hommage à nos martyrs et en souhaitant que nous oeuvrions ensemble dans la lutte, malgré nos différences, pour qu’ils ne soient pas morts pour rien.

Pierre Mila Assouté.

© Correspondance : Cellule de Communication de l'Asbl CEBAPH


07/03/2013
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