Bébé volé: « Justice trop tardive est déni de justice ».
« L’Affaire Vanessa Tchatchou » du nom de cette jeune maman qui s’est vue voler son bébé le samedi 20 août 2011 à quatorze heures et quinze minutes à l’hôpital Gynéco-obstétrique et Pédiatrique de Ngousso dans la banlieue de Yaoundé nous donne l’occasion de nous adresser à vous, hommes et femmes de Dieu présents dans notre pays.
Notre pays riche de ses 256 tribus a la chance de vous avoir, vous
les trois religions présentes dans notre pays de façon durable et
séculaire au sens sociologique de ce dernier mot. C’est grâce à vous,
prêtres des réligions traditionnelles du Cameroun (RTC), c’est
grâce à vous Imans serviteurs d’Allah et du Saint Coran, c’est grâce à
vous, prêtres et pasteurs du christianisme que les peuples du Cameroun
construisent jour après jour l’espace public de croyants dont nous
sommes fiers aujourd’hui et qui fait de notre pays, un espace
tri-confessionnel harmonieux. C’est donc à vous que je souhaite
m’adresser afin que du secret confessionnel puisse germer la lumière qui
enfante la vie ; celle dont Vanessa a besoin aujourd’hui.
Vanessa Tchatchou |
Aussi loin que remontent mes souvenirs, en regardant les peuples
frères et amis autour de nous, j’ai appris que la liberté comme la
justice n’est jamais accordée de bon gré par l’oppresseur, elle doit
être exigée par l’opprimé ; le plus faible. C’est le cas de Vanessa
aujourd’hui. Honnêtement, je ne me suis jamais engagé dans un mouvement
d’action directe à un moment jugé « opportun », d’après le calendrier de ceux qui n’ont pas indûment subi le triste vent de l’injustice.
Depuis
sept mois déjà, les services d’enquête de notre pays au cri du cœur
maternel de Vanessa Tchatchou, nous ont répondu par ce mot : «Attendez!».
Il résonne à mon oreille, comme à celle de chaque personne qui jour
après jour découvre l’horreur de la situation de Vanessa Tchatchou, nous
decouvrons sans nous émouvoir que cette expression est d’une perçante
familiarité.
Il nous faut à présent constater avec certains éminents juristes que «justice trop tardive est déni de justice ».
Nous avons attendu et nous attendons depuis 7 mois et notre attente
n’est pas plus douloureuse que celle de Vanessa Tchatchou, pauvre,
analphabète, orpheline mais digne et intègre. La justice pour les
pauvres dans notre pays avance à l’allure d’une tortue de brousse ! Ceux
qui n'ont jamais senti le dard brûlant de l’attente d’un enfant ont
beau jeu de dire: «Attendez!»
Mais quand vous avez vu de gros
bras vous arracher le fruit de vos entrailles et que le voleur est
identifié mais que rien ne bouge; alors vous comprenez pourquoi nous
trouvons si difficile d'attendre. Il vient un temps où la coupe est
pleine et où les hommes ne supportent plus de se trouver plongés dans
les abîmes du désespoir. J'espère, Messieurs, que vous
pourrez comprendre notre légitime et inévitable impatience face à la
fabrication de l’intrigue, face à la fabrication de la preuve, face au
discours arrogant des bien-pensants, face à l’indifférence des tenants
de la « justice » et du « droit » dans notre pays.
Ceux
qui brandissent la quête de la sécurité et de la stabilité comme
bouclier de l’immobilisme, ceux et celles qui chaque jour se cachent
derrière la force d’un décret pour commettre de nombreux forfaits, oui
ceux-là sont les premiers aujourd’hui à claironner partout en nous
désignant comme étant ceux et celle qui veulent enfreindre la loi !
Voilà donc l’hôpital qui se moque de la charité !
Depuis le début
de l’affaire Vanessa, nous avons prôné le respect de nos institutions
et nous nous sommes référés autant que possible aux différentes
administrations, leur communiquant d’ailleurs les lieux et les heures de
nos rencontres. Si nous saluons le comportement exemplaire des forces
de polices à Yaoundé nous ne pouvons pas dire de même pour les
administrateurs ; préfets et sous-préfets, nous nous interrogeons aussi
sur votre silence ! Oui votre silence vous si prêts du peuple, vous qui à
force de nous écouter et de prier pour nous avez fini par vous vêtir du
manteau de nos problèmes au quotidien.
Chers prêtres des Religions Traditionnelles Camerounaises, Chers
Imans serviteurs d’Allah, de son envoyé Mohamed et du Saint Coran, chers
prêtres et pasteurs serviteur de l’Evangile, votre silence se veut
complice du triomphe de l’injustice dans notre pays ; Vanessa est
l’orpheline qui appelle au secours et mérite votre écoute. Les peuples
du Cameroun vous écoutent et vous regardent. Vous nous enseignez au
quotidien le respect à la Loi ce qui rime avec désobéissance à ce qui
est injuste et qui ne saurait être une loi comme le dit saint Augustin « une loi injuste n’est pas une loi. »
Quelle
est la différence entre les unes et les autres? Comment déterminer si
une loi est juste ou injuste? Une loi juste est une prescription établie
par l'homme en conformité avec la loi morale ou la loi de Dieu. Une loi
injuste est une prescription qui ne se trouve pas en harmonie avec la
loi morale. Pour le dire dans les termes qu'emploie saint Thomas
d'Aquin, une loi injuste est une loi humaine qui ne plonge pas ses
racines dans la loi naturelle et éternelle. Toute loi qui élève la
personne humaine est juste. Toute loi qui la dégrade est injuste. Toute
loi qui impose qu’au nom de l’argent et du pouvoir on arrache à
l’affection maternelle et maternante un nourrisson pour le confier au
plus nanti est injuste car le kidnapping d’un innocent au-delà des
explications et des circonstances déforme l'âme et endommage la
personnalité.
Sosthène Fouda Essomba |
Oui, votre silence installe au cœur de la relation humaine le
fallacieux sentiment de supériorité des nantis, des riches intellectuels
et matériels sur les pauvres. Pour employer les termes de Martin Buber,
le grand philosophe juif, votre silence substitue à la relation entre «moi et toi» une relation entre «moi et celui-là»
qui finit par reléguer des personnes au rang de choses. Aussi votre
silence je ne le dirai jamais assez est non seulement malsain du point
de vue politique, économique et sociologique, il est également mauvais
du point de vue du péché. Paul Tillich a dit que le péché c'est la
séparation. Le silence, le vôtre, n'est-il pas l'expression
existentielle de la tragique séparation de l'homme, une expression de
son épouvantable bannissement, de son terrible état de péché?
Sachez
que le peuple et avec moi n’accepterons pas ce qui se prépare parce que
l’enfant de Vanessa est bien en vie, nous l’avons prouvé à suffisance.
Toute autre déclaration ne sera pas acceptée parce qu’entourée du sceau
du mensonge d’Etat et de la protection de la tribu.
Chers hommes et femmes de Dieu, le peuple de Dieu autour de Vanessa vous interpelle, sans rancœur ni rancune. A travers vous « doit jaillir le droit comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable » Comme le dit saint Paul. Et avec Vanessa je voudrais dire non je mets dans sa bouche ces paroles de Martin Luther «Me voici, je ne peux faire autrement, et que Dieu me vienne en aide» Alors si vous la jugez extremiste, elle l’est comme John Bunyan - «Je resterai en prison jusqu'à la fin de mes jours plutôt que d'assassiner ma conscience »
- Extremiste ? Elle l’est comme Engelbert Mveng, comme Me Ngongo, comme
tous ceux qui ont porté dans notre pays le cri du pauvre, Jean-Marc
Ela, Mgr Dongmo !
Aussi la question n'est-elle pas de savoir si nous voulons être des extrémistes, mais de savoir quelle sorte d'extrémistes nous voulons être. Serons-nous des extrémistes pour l'amour ou pour la haine? Serons-nous des extrémistes pour la préservation de l'injustice ou pour la cause de la justice? Au cours d'une scène dramatique, sur la colline du Calvaire, trois hommes ont été crucifiés.
Nous ne devons pas oublier que tous trois ont été crucifiés pour le
même crime - le crime d'extrémisme. Deux d'entre eux étaient des
extrémistes de l'immoralité et s'étaient ainsi rabaissés au-dessous de
leur entourage. L'autre, Jésus Christ, était un extrémiste de l'amour,
de la vérité et du bien, et s'était ainsi élevé au-dessus de son
entourage. Vanessa vous interpelle et nous marchons auprès d’elle.
Dr Vincent-Sosthène FOUDA inspiré par Martin Luther King