Bakassi: Cinquante personnes kidnappées à en trois ans

YAOUNDE - 10 FEV. 2011
© Denis Nkwebo | Le Jour

Piraterie. Les « rebelles » sont devenus maîtres des plans d’eau à Bakassi, avec les mêmes modes opératoires et revendications ainsi que des réactions invariables du gouvernement.

Piraterie. Les « rebelles » sont devenus maîtres des plans d’eau à Bakassi, avec les mêmes modes opératoires et revendications ainsi que des réactions invariables du gouvernement.

Douze officiels camerounais, dont le sous-préfet de l’arrondissement de Kombo à Bedimo, le maire d’Akwa, des cadres de la police et de la gendarmerie ont passé depuis hier, leur troisième nuit en captivité dans un lieu inconnu au large de la péninsule de Bakassi.

Ils ont été kidnappés dans la nuit de dimanche par des hommes armés se réclamant des Africa Marine Commando, l’un des groupes extrémistes opérant dans la presqu’île de Bakassi. Les personnes prises en otage sont tombées dans une embuscade, alors qu’elles retournaient d’une mission d’accompagnement d’officiels onusiens, venus dans la région s’enquérir de la saine application des accords de Green Tree portant rétrocession de la péninsule de Bakassi au Cameroun par les occupants nigérians.

Cette énième prise d’otages, sans riposte appropriée et efficace, alourdit le bilan de l’activité criminelle des « rebelles ». Depuis le 29 octobre 2008, 50 personnes environ ont été capturées au large des eaux camerounaises par « des assaillants puissamment armés, portant des cagoules et opérant à bord de pirogues à moteurs ». Le dernier cas de piraterie, avant le rapt du week-end dernier remonte au 22 septembre 2010, jour de l’attaque du site Addax Okwori (Oml 126), situé à 25 milles nautiques, au sud de la Bony River, à 2 heures du matin. Cette nuit-là, le supply Bourbon Alexandre a été victime des pirates et 3 français et trois autres expatriés ont été enlevés, tandis que la barge Jascon subissait une attaque le même jour.

Le 12 septembre 2010, six marins étrangers avaient été enlevés dans un bateau belge au large de Douala, dans la zone de mouillage situé à près de 40 kilomètres du Port. En mars 2009, les Africa Marine Commando avaient déjà revendiqué l’enlèvement de sept pêcheurs chinois travaillant pour une société de pêche basée à Limbe et appartenant au promoteur de Fini Hotel.

Auparavant, deux ressortissants russes et un Lituanien avaient été capturés à bord d’un navire, au large des eaux territoriales camerounaises le 16 mai 2010 par des assaillants. Ils ont été libérés le 4 juillet 2010, après 49 jours de captivité, contre le paiement d’une rançon. La capture des trois expatriés intervenait moins de deux mois après celle de deux marins ghanéens en même temps qu’un travailleur camerounais, kidnappés le 16 mai 2010 à bord bateau Mv Seagull. Cette série de prises d’otages clôturait une année noire pour les pêcheurs, les pétroliers ainsi que l’armée camerounaise. En effet, le bilan ainsi établi exclut de nombreux blessés et des morts victimes des assauts répétés des pirates de mer.

Les eaux de Bakassi étaient moins troubles au cours de l’année 2009. Le 14 mars 2009, une bande d’hommes armés avait attaqué de nuit, un bateau de la société Tide Water, un sous-traitant de la compagnie pétrolière Pecten. Quatre personnes ont été capturées à bord et emmenés vers une destination inconnue. Les négociations en vue de la libération desdits otages étaient houleuses, les ravisseurs arguant après la libération des captifs qu’ils avaient été financièrement floués dans l’opération. Moins de trois mois après ces enlèvements, soit le 6 juillet 2009, six Chinois ont été enlevés à bord d’un chalutier ; une attaque suivie de celle du chimiquier Siehem Peace, avec capture de six personnes dont trois Russes, deux Philippins et un Indien.

C’est l’attaque du bateau Bourbon Sagitta qui avait inauguré un nouveau visage de la piraterie maritime à Bakassi. Avant le 29 octobre 2008, date du kidnapping de 10 marins dont sept Français et deux Camerounais, les assaillants prenaient pour cible les chalutiers et des positions de l’armée camerounaise. Ces premières opérations portaient la signature des Bakassi Freedom Fighters, alors dirigés par le commandant Ebi Dari et le « général » A. G. Basuo. Depuis la reddition de ces derniers et leur acceptation de l’offre d’amnistie faite par les autorités du Nigeria, les combattants des Africa Marine Commando sont devenus les maîtres de la mangrove. Ils capturent en priorité des étrangers, et les libèrent en échange d’espaces sonnantes et trébuchantes.

Denis Nkwebo


De l’argent pour les otages

Demande de rançon. Les assaillants qui frappent à Bakassi vivent des rançons payées et du poisson volé.

Il y a eu des images de choc, suite à la libération des dix employés du pétrole capturés sur le Bourbon Sagitta. Le chef des opérations des Bakassi Freedom Fighters, Ebi Dari se réjouissait du caractère juteux de l’assaut lancé contre le navire français. En effet, la libération des captifs a été négociée contre le paiement d’une importante rançon. Une source proche des milieux de la pêche en haute mer avait alors affirmé que plus de 200 millions de francs Cfa ont été payés aux combattants des Bff. D’ailleurs, Ebi Dari affichait ouvertement la santé financière de son groupe. La photo qu’il fit parvenir à la presse pour annoncer la cessation des hostilités envers les forces camerounaises montrait bien « une nouvelle veste made in China ».

Ni les autorités camerounaises, ni les responsables des sociétés pétrolières, encore moins les promoteurs des sociétés de pêche maritime n’ont indiqué la nature des transactions entreprises avec les ravisseurs. L’on sait tout de même que la libération des otages pris sur le bateau de Tide Water a fait l’objet d’un désaccord entre la partie camerounaise et les responsables de la société pétrolière. Aucune lumière n’a été faite sur la distraction présumée d’une somme de 15.000 dollars mobilisée pour désintéresser les preneurs d’otages. A chaque attaque, les membres des Bff et les combattants de Africa Marine Commando ont eu à formuler, outre des demande de rançon au montant variant entre 100.000 et 1.000.000 de dollars. Dès l’enlèvement dimanche dernier de 12 officiels camerounais, les ravisseurs ont exigé 3 millions de Nairas soit à peu près 10 millions de francs Cfa. Ils ont par ailleurs précisé que cette somme allait juste servir aux dépenses d’usage, en attendant le versement d’une somme considérable en échange de la libération des otages. Bien plus, les « rebelles » exigent désormais, le paiement d’une taxe mensuelle de 6 millions de Nairas par chacune des cinq compagnies pétrolières opérant à Bakassi.

En clair, les bandes armées qui écument les eaux camerounaises et attaquent l’armée, les pétroliers et les pêcheurs, ont des objectifs financiers.

D. N.


La riposte est infructueuse

Guerre des polices. Toutes les autorités camerounaises présentes sur la péninsule de Bakassi ne parlent pas de la même voix.

Dimanche dernier, les personnalités camerounaises enlevées par les pirates revenaient d’une mission officielle. Avec toutes les précautions d’usage que ce type de déplacement impose, dans une zone trouble. Le Jour a appris, de bonne source que les pirates qui ont pris le convoi officiel pour cible s’étaient déjà signalés quelques semaines auparavant dans la mangrove, au large de la localité de Ekondo Titi. « Nous entrons au Cameroun et nous ressortons quand nous voulons », indiquait il y a quelques jour, l’un des lieutenants de « Three Lion », le chef des pirates de Amc. L’arrogance de ce « combattant » tient, selon nos sources, de leur information permanente par des contacts en territoire camerounais. Ces contacts sont-ils civils ou militaires ? Difficile de dire. Sauf que « la maître de l’itinéraire des administrateurs camerounais ainsi que du personnel de l’armée par les pirates n’est pas un fait du hasard », confie un haut gradé de la gendarmerie.

Sur un plan interne, des disfonctionnements ont été signalés au niveau de la conjonction des efforts de l’administration à Kombo à Bedimo, cet arrondissement qui a connu l’assassinat de son sous-préfet, le vol du moyen de transport du directeur du Cetic, le cambriolage du domicile de l’adjoint d’arrondissement etc. Ces événements se sont succédé au moment où une brouille entre les gendarmes et les soldats du Bir était étalée au grand jour au beach à Akwa. « Des soldats du Bir refusent par exemple de donner le café au sous-préfet », témoignent un gendarme ayant été récemment dans la région. Bien plus, les gendarmes et les éléments du Bir ont étalé leur désaccord, au sujet de la surveillance du beach.

Courant décembre 2010, « ces disfonctionnements ont été signalés au chef de l’Etat », affirme une source proche des « Bir-Delta ». Aussi Paul Biya a-t-il envisagé, à en croire notre source, de nommer une autorité unique, pour coordonner les actions de sécurité dans toute la presqu’île de Bakassi.

D. N.


Votre avis: Faut-il payer les rançons aux preneurs d’otages ?

«Le paiement de la rançon pose un problème moral»: Robert Waffo, cadre SDF

Le discours officiel à la suite d’une prise d’otages consiste à dire qu’il n’y a pas et qu’il n’y aura jamais de rançon. Mes convictions républicaines m’obligent à soutenir une telle posture et à condamner toute prise d’otages quels que soient les motifs avancés par les ravisseurs. Toutefois aucun esprit raisonnable ne peut prétendre que le problème du paiement d’une rançon ne se pose pas quand il y a risque de perte en vies humaines, et c’est en cela que la question du paiement de la rançon aux ravisseurs pose un problème d’ordre moral. Pour éviter une telle issue, il faudrait que le gouvernement opte au préalable pour la stratégie du dialogue en épuisant bien évidemment tous les contours de la négociation.


“C’est pour sauver des vies” : Alexis Mboumoua Ekoka, agent commercial

Je pense qu’il faut payer la somme d’argent que réclament les preneurs d’otages. Car si on le fait à cet instant, c’est pour sauver des vies. En plus, si en Europe et un peu partout dans le monde les gens payent des rançons, pourquoi ne pas le faire au Cameroun. Ce n’est pas que j’encourage les auteurs de cet acte là. Loin de là. Mais j’estime qu’il faut verser la rançon. C’est important parce que si vous ne le faites pas, vous n’allez plus voir votre proche ou celui qui a été kidnappé. Et la vie d’un être humain vaut plus que l’argent qui est réclamé. Si on tient à revoir un sien, il faut donner l’argent.


«Il faut d’abord examiner les forces en présence»: Anicet Ekane, homme politique
En ce qui concerne les prises d’otages, les situations ne sont pas toujours les mêmes. Je pense qu’il faut à chaque fois examiner les forces en présence et les différents risques. Il n’y a pas en la matière d’enlèvement une règle absolue. Il ne faut pas être dans une logique de solution viciée. A chaque fois, il est toujours mieux d’étudier la situation. Car dans d’autre cas de prise d’otage, il faut payer la rançon. Sur l’enlèvement qui s’est passé à Bakasssi lundi dernier, je n’ai pas les données du problème et je ne connais pas les protagonistes. Donc, tout ce que je peux dire c’est qu’il faut d’abord analyser la situation. Car les kidnappings se traitent au cas par cas.

Propos recueillis par
Armelle Nina Sitchoma (Stagiaire)




13/02/2011
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