Insécurité, Scnc, fin du régime de Paul Biya, etc, l’ancien député Rdpc, analyse la situation du Cameroun à partir de sa nouvelle posture d’opposant.
A quoi vous vous occupez depuis que vous n'êtes plus député ?
Je travaille sur mes mémoires, relativement à la gouvernance, en général
et, surtout, sur mes mandats à l’Assemblée nationale. Et je suis au
village tous les deux mois, au moins, pour faire l’agriculture. Il est
aussi souvent question de se pencher sur le statut du Southern
Cameroons. Ce n’est de l’intérêt de personne que M. Biya continue de
tourner le dos aux multiples recommandations de la communauté
internationale. Il faut un dialogue entre les autorités camerounaises et
les leaders du Southern Cameroons. La paix n’a pas de prix. Tout homme
responsable ne doit pas prendre la voie qui mène plutôt à la violence.
Je me bats pour promouvoir le dialogue, qui, d’ailleurs, ne coûte rien à
personne.
Comment gérez-vous le fait que votre salaire de magistrat soit toujours suspendu ?
Voilà une très bonne question! Je suis juriste et il n’y a pas d’autre
solution que d’intenter une action en justice. Malheureusement, le
président de la République est à la tête de la magistrature; et c’est
bien lui qui dicte les décisions judiciaires. Il est ainsi juge et
partie. Inutile donc de procéder contre celui-là qui ne peut, en aucun
cas, se condamner. Souvenez-vous combien de jugements de la Chambre
plénière de la Cour suprême demeurent sans exécution, même ceux qui sont
contre les simples ministres. Peut-on espérer à se prévaloir contre le
président de la République ? La seule voie qui reste ? C’est saisir les
instances internationales dès que j’aurais des moyens. Et le bon Dieu va
me guider sans doute dans le proche avenir.
Ne s’agit-il pas que d’un simple problème de bureaucratie ?
Non ! N’oublions pas que j’avais condamné vigoureusement le fait que le
Secrétaire général de la présidence de la République ait une dotation
budgétaire quotidienne de 2,5 millions de francs Cfa pour le carburant,
alors qu’il manquait à une Camerounaise villageoise 5 francs pour
acheter le maggi cube. Le Secrétaire général de l’époque est aujourd’hui
le ministre de la Justice. Or, la même dotation perdure après lui. Je
ne parlais donc pas d’une personne physique, mais d’un service! Mais au
Cameroun, le citoyen ordinaire n’a pas le droit à la parole. S’il ose
parler, on interprète comme on veut, pour avertir les autres. Il y a
aussi le Secrétaire général adjoint à la Présidence, un certain Peter
Agbor Tabi, qui avait déclaré publiquement lors de la campagne
électorale en 2013 qu’il fallait écraser Ayah une fois pour toutes.
Sa vendetta est de longue date et elle perdure. Pour lui, le fait que je sois dans l’opposition entrave son ambition d’être nommé Premier ministre. Il faut donc tout faire, par tous les moyens, pour que je paie un prix. Il y a aussi mon ancien parti, le Rdpc, où on se sent humilié, non seulement par ma démission, mais surtout, par ma montée politique et ma cote de popularité. Nous savons tous qu’en 2011, sans sous et en peu de temps, j’ai pu émerger cinquième à la présidentielle. Peu de temps après, on a adopté une loi qui fait passer la caution à la présidentielle de 5 à 30 millions, pour s’assurer que je sois totalement écarté. Il faut retenir mon salaire pour servir de leçon à tous ceux du Rdpc qui pourraient suivre mon chemin. C’est la démocratie très à la camerounaise.
N’est-il pas aussi facile d’accuser le Rdpc ?
En dehors de la guerre financière, un sergent-chef a révélé tout
récemment à Akwaya que depuis plus de 20 ans, il demandait d’être
affecté à Mamfe, sans suite. Mais dès l’intervention de M. Peter Agbor
Tabi, Secrétaire général adjoint à la Présidence, son affectation a vu
le jour. Il a été ensuite envoyé en mission à Akwaya pour couper la tête
de Ayah Paul, et l’apporter à M. Biya, car j’ai eu l’audace de vouloir
remplacer « le choix du peuple ». Quand la presse « anglophone » a
publié cette révélation, les autorités ont précipitamment retiré ledit
militaire en moins d’un mois, alors que, d’habitude, les militaires sont
envoyés à Akwaya pour une période de trois mois. Le vendredi 25
juillet, les forces du maintien de l’ordre ont fouillé un hôtel à Mamfe
sur ordre des autorités administratives du coin, pour la simple raison
que j’allais loger dans ledit hôtel pour assister aux obsèques de M.
Ayamba, le leader du Southern Cameroons National Council. Les services
officiels de renseignements m’avaient demandé de ne pas aller à Mamfe
parce qu’ils étaient au courant du complot contre ma vie. Je n’ai pas
douté de cela, car on appelait le sous-préfet d’Akwaya et les services
de la sécurité du coin deux fois par jour, au moins, pour avoir des
informations relatives à la route que j’allais emprunter d’Akwaya pour
Mamfe.
Comment observez-vous le Rdpc que vous avez quitté depuis quelques années?
L’implosion est très imminente! On n'attend plus que le départ de M.
Biya pour que ce parti politique éclate. Les tendances se font voir
assez clairement ; il y a donc une guerre aux visages multiples.
Comment avez-vous accueilli la hausse des prix des produits pétroliers ?
L’avenir du Cameroun n’est pas du tout prometteur. Comment expliquer que
c’est le Camerounais moyen qui est toujours appelé à faire des
sacrifices? Quelles sont les récompenses des deux décennies de sacrifice
pour atteindre le point d’achèvement? Où sont passés les fonds Ppte?
J’ai eu le privilège d’analyser les dotations budgétaires pour le
carburant accordées à certaines personnalités du pays pendant quelques
années. J’ai été amené à condamner avec force la dotation journalière de
2,5 millions accordée au Secrétaire général à la présidence de la
République. J’en ai fait autant pour les dotations exorbitantes pour les
frais des missions et des cérémonies. Quant aux dépenses dites
communes, je n’ai jamais compris de quoi il s’agit. Mais voyons: des
centaines de milliards sont mis à la disposition du ministre des
Finances sans buts clairs. En fin de compte, la hausse n’a nul effet sur
les biens placés du pays, compte tenu des avantages qui leur sont
accordés. Ce n’est que le bas peuple qui paie le prix. Le baspeuple est
appelé à faire des sacrifices.
On se rappelle que vous avez été actif contre cette hausse
des prix. Êtes-vous satisfait des mesures d'accompagnement adoptées par
le gouvernement?
Qu’appelle-t-on mesures d’accompagnement ? On hausse les prix à plus de
10%, on « augmente » le salaire à 5%, où se trouve l’équilibre? De toute
façon, que profite le bas-peuple si 500.000 travailleurs, les forces
armées comprises, bénéficient d’une « augmentation » de salaire de 5% ?
Mais voyons! Il n’y a pas eu augmentation des salaires! Voyez-vous, on a
baissé les salaries de 70% en 1993. La valeur du franc CFA a chuté de
moitié. Il y a quelques années, on a réajusté les salaires à 15%. Si
l’on ajoute les 5% d’aujourd’hui, ce n’est que la moitié du salaire d’il
y a plus de 20 ans. Si l’on considère la valeur actuelle du franc CFA,
le salaire d’aujourd’hui n’est qu’un quart du salaire de 1993. Vous
appelez ça augmentation ? Par ailleurs, comment peut-on expliquer ce
raisonnement où l’on baisse les impôts pour les transporteurs en même
temps qu’on hausse les frais de transport, alors que des ministres
sillonnent les marchés pour veiller à ce que les prix des denrées
alimentaires soient maintenus au statu quo? C’est-à-dire que le
cultivateur paie plus pour transporter les denrées, mais, il est obligé
de vendre au même prix qu’hier. Est-ce cela la justice sociale? Est-ce
cela l’agriculture de seconde génération? Je ne peux ne pas vous dire
que la révolte se prépare chez nous!
Quelle lecture faites-vous de la situation du Cameroun assailli par la secte Boko Haram?
Rien n’est plus destructeur pour le Cameroun aujourd’hui que la posture
individualiste, voire impériale du président de la République. On ne
peut pas faire injure à l’intelligence des Camerounais en concluant que
les milliers des conseillers techniques mis à la disposition de M. le
Président sont tous incompétents. La vérité se trouve plutôt dans
l’isolement de M. Biya, une posture qui entrave les échanges et surtout
la circulation des idées. C’est pourquoi nous avons comme résultat,
aujourd’hui, plusieurs gaffes présidentielles. Pour nous limiter à Boko
Haram, ce groupe a sévi au Nigeria assez longtemps avant de perpétrer sa
toute première attaque au Cameroun. Alors que c’est le Nigeria qui
avait subi des pertes en vies humaines, M. Biya s’est précipité à
déclarer la guerre à Boko Haram. Qu’à cela ne tienne, en faisant cela,
il a dû susciter la colère de Boko Haram.
Que reprochez-vous concrètement au chef de l’Etat ?
D’une part, M. Biya a vite payé une rançon pour les sept Français
enlevés, alors que le Nigeria jusque-là, n’a pas fait autant pour 276
filles enlevées. Au fur et à mesure que des rançons sont payées, les
envahisseurs s’habituent à perpétrer d’autres enlèvements pour se
ravitailler. Ce qui leur assure des moyens nécessaires pour d’autres
enlèvements et crée donc un cercle vicieux. C’est là où nous en sommes
aujourd’hui. D’autre part, M. Biya semble obsédé par la volonté de
rester éternellement au pouvoir. Dans cette optique, il suit aveuglement
un chemin unique sans songer aux conséquences. Il repose donc
essentiellement sur la spontanéité aux dépens même des amis d’hier.
Quels rapports établissez-vous entre ces attaques, les personnalités de la région du Nord et les grandes puissances ?
Cela ne fait que s’ajouter aux rivalités entre les hommes forts de
l’Extrême-Nord: coopérer pour abattre l’ennemi commun! En dehors de ces
problèmes internes, il y a le facteur français. Rappelons qu’un ministre
français, contrairement au langage diplomatique d’usage, avait appelé
publiquement la France à combattre les intérêts commerciaux chinois au
Cameroun. Dix Chinois (des travailleurs d’une entreprise commerciale)
sont aujourd’hui tenus en captivité par Boko Haram. Ne peut-on pas
déduire aussi que M. Biya est aussi ciblé par les Français à cause de
l’ouverture du Cameroun à la Chine? Je ne peux pas en conclure
autrement. On ne peut pas ne pas suggérer que pour se mobiliser contre
Boko Haram, la base des décisions doit être élargie; et le Cameroun doit
cesser d’être gouverné par un individu si le bien-être de tous doit
être protégé. Rien ne peut impulser la défense nationale autant que
l’intérêt, et se sentir concerné!
Une certaine rumeur fait état de l'implication des fils ou élites du Nord dans cette secte. Partagez-vous cette opinion?
En tant qu’un homme de droit, je ne peux pas affirmer que je saisis bien
cela. Mais comme je l’ai déjà dit, Boko Haram avait déclaré que le
groupe allait frapper le Cameroun si on ne libérait pas M. Marafa. Il
est possible d’en déduire que l’entourage politique de M. Marafa
soutient le groupe. Mais ce n’est là qu’une observation non avérée.
John Fru Ndi, dans une interview récente accordée au Jour,
pense que de gros nuages planent sur le Cameroun. Êtes-vous de cet avis?
Il a tout à fait raison. Il y a la situation centrafricaine à l’Est,
Boko Haram s’installe dans le Nord du pays. Et les Southern Cameroonians
risque de s’agiter un jour. Ils ont le dos au mur face au mépris de M.
Biya vis-à-vis de toute recommandation internationale de dialoguer avec
eux. On ne peut mieux le dire, le pays est encerclé par des mouvements
déstabilisateurs.
Quelles solutions proposez-vous au gouvernement, en tant que citoyen camerounais pour sortir de l'étau?
M. Biya doit abandonner sa posture arrogante et dialoguer avec tout
groupe mécontent. La force n’a jamais rien réglé dans le monde. Toute
guerre aboutit toujours en règlement de paix. Un homme de paix ne
s’empresse pas de faire recours à la force pour revenir au règlement de
paix par la suite. Après des pertes inutiles de biens et de vies
humaines, un homme de paix privilégie le dialogue! Voilà une bonne leçon
pour M. Biya!
Y a-t-il un problème anglophone au Cameroun?
Je parle rarement d’anglophone désormais, parce qu’il est bien difficile
de dire qui est anglophone dans le pays actuellement. Voilà pourquoi,
nous autres, nous parlons des Southern Cameroonians. On touche du doigt
la situation juridique de Southern Cameroons. On n’atteint jamais
l’indépendance « by joining », c’est-a-dire on n’est pas indépendant en
se débarrassant d’une domination pour entrer dans une autre. La notion
de l’« independence by joining » n’est pas monnaie courante en droit
international.
Soyez plus explicite…
Ce que nous appelons « Réunification » au Cameroun n’a pas de base
légale. Même s’il en était autrement, l’abolition de la fédération,
contrairement aux dispositions expresses de l’article 47 de la « Federal
Cameroon Constitution », a mis fin à toute cohabitation entre la
république du Cameroun et le Southern Cameroons. Inutile de parler de la
République du Cameroun de 1984: un acte qui constituerait la haute
trahison, s’il y avait réunification. C’est pourquoi les Southern
Cameroonians sont reconnus par la communauté internationale comme « un
peuple ». Dès qu’il y a le territoire et « un peuple », il ne reste plus
que le gouvernement pour qu’un Etat soit né. Voilà pourquoi les
instances internationales ont appelé la République du Cameroun, maintes
fois, à dialoguer avec les Southern Cameroonians : soit pour former une
association de deux Etats, soit pour que l’Etat du Southern Cameroons
forme son gouvernement en tant qu’un Etat indépendant. On attend.
Peut-être pas pour longtemps encore.
Quels sont vos rapports avec les membres du Scnc?
Le Scnc a toute ma compassion. Je travaille étroitement avec ses
dirigeants, surtout sur le plan juridique. Mais je ne suis pas encore un
membre formel. Je le serai en temps opportun.
Quelle évaluation faites-vous de la situation économique du Cameroun?
Tant que l’on ne combat pas la corruption avec sincérité, on a beau
faire des taux de croissance, cela ne mène à rien. Citons un seul
exemple pour justifier ces propos. La production ivoirienne du cacao
était presqu’au même niveau que celle du Cameroun dans les années
soixante. Alors que la Côte d’Ivoire a produit au moins 1.200.000 tonnes
en 2009, le Cameroun s’efforce à atteindre 260.000 tonnes en 2014. Bien
bizarre, n’est-ce pas? Tout ce qui marche chez nous, c’est la
corruption; c’est rester au pouvoir perpétuellement moyennant des
modifications malsaines de la Constitution; c’est verser le sang des
citoyens non armés pour imposer la peur et le silence… Vous parlez de la
situation économique? Elle est désastreuse, monsieur.
Que pensez-vous du conflit à Elecam, qui oppose le Dg et le Conseil électoral ?
Elecam ne devrait pas avoir deux structures: le conseil et la direction
des élections. Ceci dit, je sais que c’est la direction qui gère Elecam
au quotidien. Le conseil a un rôle de supervision essentiellement. Il ne
devrait pas y avoir de malentendu si chacun observait le rôle que la
loi lui reconnait. Il me semble que, s’agissant du malentendu actuel, le
directeur des élections a raison.