2001-2012. Cela fait bien 11 ans que le Pr Augustin Kontchou n’a pas accordé d’interview à un média écrit. En effet, en qualité de ministre d’Etat en charge des Relations extérieures, cet universitaire chevronné s’est ouvert pour la dernière fois en 2001 au quotidien Cameroon Tribune, au lendemain du sommet Afrique France, qu’avait alors accueilli le Cameroun. Au moment où le Cameroun s’apprête à organiser la deuxième édition des états généraux de la Communication de son histoire, après ceux de 1994 dont Augustin Kontchou fut l’artisan, Mutations est reparti sur les traces de « Zéro mort »
Avec le style ouvert qu’on lui connaît, l’ancien
ministre d’Etat s’exprime non seulement sur cet évènement, mais
également sur la rencontre tripartite de 1991, les incidents mortels à
l’université de Yaoundé, l’opération « coup de cœur » en faveur des
Lions indomptables au Mondial américain de football de 1994, l’activité
politique de Maurice Kamto, l’alternance au sommet de l’Etat,
l’Opération Epervier, le Code électoral, etc.
En dépit de l’usure du temps et de sa mise en réserve de la République,
l’ancien ministre d’Etat en charge des Relations extérieures a gardé sa
verve et ses convictions. Dans cet entretien qui regorge de révélations
et de saillies historiques, « Zéro mort » ne se prive pas de décocher
des flèches contre des hommes et des partis politiques de la place. Il
n’a pas changé !
Vous vous exprimez rarement en public depuis plusieurs années, est-ce le nouveau Augustin Kontchou Kouomegni ?
Vous savez que pendant longtemps, j’ai vécu une surexposition
médiatique. C’était tout au long des années 90 et au début des années
2000. Ce fait était lié à mes fonctions officielles comme ministre de
l’Information et de la Culture, ministre d’Etat chargé de la
Communication, ministre d’Etat chargé des Relations extérieures et
surtout de porte-parole du gouvernement. Il est tout à fait normal que
suite à la sortie du gouvernement, ma prise de parole soit de plus en
plus rare. Toutefois, je ne sais pas depuis quand vous datez ma dernière
prise de parole en public, mais à ce que je sache durant tout le
processus d’intensification des inscriptions sur les listes électorales
en 2010-2011, et la campagne électorale de la récente présidentielle,
j’étais plus que présent, et je suis intervenu plusieurs fois, surtout
que j’étais le chef de la délégation du comité central pour le
département des hauts-plateaux.
Cependant, il est vrai que depuis ces échéances qui ont été toutes
couronnées de succès, notamment par la victoire magistrale du président
Paul Biya, j’ai fait une petite retraite afin de faire le point comme
cela est nécessaire en toute chose, mais aussi pour me consacrer
davantage à l’encadrement des étudiants que j’ai en thèse de doctorat,
ainsi qu’à la poursuite des recherches que je mène actuellement.
Toujours est-il que durant cette retraite, je n’ai cessé, malgré moi, d’être porté sur l’avant-scène médiatique à diverses occasions. D’ailleurs, vous-même avez eu à faire une publication récemment à propos d’une affaire, dite d’Etat, qui défraye la chronique et à travers laquelle on tente parfois de m’éclabousser, alors que je ne suis ni de près ni de loin acteur de celle-ci ou impliqué.
Mais je suis habitué depuis les années 90 à être ainsi indexé par la presse, sans qu’en aucun cas je me sente le besoin d’attaquer qui que ce soit devant les tribunaux. C’est une partie de ma modeste contribution à la liberté d’expression dans notre pays.
D’aucuns ont cru déceler derrière ce
silence, un repli stratégique afin de rebondir, au gouvernement, ou à la
tête du secrétariat général du Rdpc…
Vous savez, comme je le disais tantôt, les supputations et les
allégations à mon propos sont légion, et au fil du temps je m’y suis
largement accommodé. Par cette interpellation, vous me donnez l’occasion
de rappeler que ma seule ambition politique est celle d’accompagner le
plein succès du Renouveau national, c’est-à-dire, de servir le président
Paul Biya où il juge bon de m’appeler. Donc point besoin de repli
stratégique. Je n’en ai pas effectué pour obtenir mes précédentes
promotions. Je me consacre tout simplement à mes tâches quotidiennes que
je viens de vous préciser.
Que représentent les 30 ans de magistrature suprême de Paul Biya à vos yeux ?
Les 30 ans du Renouveau national représentent pour moi, 30 ans de succès
dans le grand chantier de la construction nationale, c’est-à-dire en
particulier, 30 ans de paix et de stabilité pour le Cameroun dans une
Afrique très souvent en proie à des tensions de basse et de haute
intensité. C’est aussi 30 ans d’avancées démocratiques incommensurables
et incontestables. C’est également avant tout, désormais 30 ans de lutte
pour la moralisation et la rigueur dans la gestion de la chose
publique. Ces 30 ans sonnent tout autant l’amorce d’une nouvelle ère de
prospérité avec les grandes réalisations lancées par le président Paul
Biya et qui sont en cours. Il reste néanmoins vrai que sur chacun de ces
points beaucoup reste à faire ; ce qui est normal, car le développement
d’un pays est une œuvre de longue haleine !
Vous avez été l’un des acteurs clés au
début des années 90 au Cameroun, notamment lors de la tripartite et des
états généraux de la Communication. Quels sont les souvenirs que vous
gardez de ces deux évènements majeurs de l’histoire du Cameroun ?
Je vous laisse juge du modeste rôle que j’ai joué alors sous la haute
autorité et la boussole du chef de l’Etat son Excellence Paul Biya. Je
tiens à rappeler qu’avant les états généraux de la communication, nous
avions eu à convoquer en août 1991 les états généraux de la culture,
dont le chef de l’Etat avait décidé de promouvoir certaines résolutions
comme la création d’un ministère de la Culture distinct du ministère de
l’Information, l’institution d’un festival national de la culture et des
festivals particuliers, la prise en main de la gestion des droits
d’auteur par les artistes et les hommes de culture eux-mêmes à travers
la mise sur pied de la Socinada, etc.
S’agissant de la Tripartite, ce fut incontestablement un moment fort
dans la vie politique camerounaise, mais également une étape phare car
elle avait permis d’une part, de ramener la paix sociale qui était plus
que malmenée, et d’autre part, de jeter les bases solides d’une vie
politique pleinement démocratique avec la recherche du consensus autour
des critères de la qualité d’acteurs et autour des règles du jeu
sociopolitique dans un contexte de libéralisation et d’ouverture.
Les états généraux de la communication, tenus en 1994 ont été tout simplement révolutionnaires, car ils ont contribué, entre autres, à faire entériner la libéralisation de la communication sociale telle qu’amorcée en 1990, et d’ouvrir de nouvelles perspectives de consolidation de la liberté d’expression dans le pays, en particulier : les derniers vestiges de la censure ont été levés par une loi en 1996, et l’audio-visuel privé a amorcé son expansion véritable comme vous le constatez aujourd’hui, avec la suppression effective du monopole de l’Etat sur les secteurs de la radio, de la télévision, et autres pans des nouvelles technologies de l’information et de la communication, comme internet. Ne soyez pas surpris que je vous dise que je suis très fier de l’œuvre réalisé par le chef de l’Etat dans le secteur de la communication sociale ; œuvre à laquelle j’ai apporté ma modeste contribution.
Les résolutions de la Tripartite,
notamment du point de vue de l’armature institutionnelle, et l’essentiel
des actes des états généraux semblent avoir été passés par pertes et
profits par le pouvoir…
A l’observation objective des faits, je ne peux malheureusement pas être
d’accord avec cette perception des choses. Lorsque nous regardons de
plus près de manière tout à fait lucide, nous constatons que les
institutions déjà en place, vont en se renforçant. D’autres sont mises
sur pied ou concrétisées progressivement : une nouvelle constitution a
vu le jour pour soutenir notre nouvelle dynamique en matière de
gouvernance. Les titres de presse, les chaînes de radio et de télévision
ainsi que les partis politiques et autres associations naissent tous
les jours et fonctionnent le plus librement possible.
Ces organisations sont libres au point où nous
constatons malheureusement de très nombreuses dérives au quotidien.
Nulle part en Afrique et dans le monde, sinon dans les pays
véritablement démocratiques, vous ne verrez autant de stations de radio,
de chaînes de télévision, de partis politiques, d’associations, d’ONG,
foisonner et fonctionner avec autant de liberté. Mieux encore, les
élections se déroulent le plus librement et tranquillement qu’il est
possible, dans notre contexte d’une démocratie en développement.
Les plaintes et contestations de l’opposition à cet égard me semblent de
bonne guerre. Une certaine tension permanente entre la majorité au
pouvoir et une opposition de plus en plus effective est indispensable
aux reformes et à l’alternance éventuelle. Un déploiement crédible et un
traitement équitable des candidats, comme cela a été le cas lors de la
récente élection présidentielle est une avancée à relever. De jour en
jour, un consensus général est en train de se construire autour de nos
institutions et de notre dynamique d’évolution vers la démocratie et de
la prospérité.
Cela veut dire que non seulement notre pays n’a pas reculé dans ces domaines, mais au contraire que le Renouveau national tient fermement et avec dextérité autant la boussole que le gouvernail du destin de la nation.
Dans le rétroviseur, diriez-vous encore aujourd’hui des évènements à l’université que le bilan fut de «zéro mort» ?
Evidemment oui ! Je tiens à rappeler une chose comme j’ai déjà
eu à le faire à maintes reprises, apparemment sans réussir à faire taire
toutes les suspicions. Je n’ai jamais prétendu que durant les
évènements de contestation qui avaient secoué l’université de Yaoundé
pendant près de trois ans il n’ y avait pas eu de perte en vie humaine,
puisque nous avons par exemple le cas de ces deux étudiants qui avaient
été lynchés ou brulés par leurs camarades au prétexte qu’ils étaient des
traitres.
Mais ces incidents étaient survenus longtemps après ma sortie médiatique
à laquelle vous faites allusion, et qui, elle, venait à la suite d’une
descente d’une formation mixte des forces de l’ordre au campus de
Ngoa-Ekellé en 1991 ; descente à l’issue de laquelle nous avions, au
niveau gouvernemental, tenu une réunion d’évaluation et procédé à des
strictes vérifications qui nous avaient permis de constater que
s’agissant de cette intervention précise, il y avait eu zéro mort.
Jusqu’à nos jours, aucun fait, aucune personne et en particulier aucun
média n’est venu ne serait-ce qu’effleurer de prouver le contraire. Donc
je peux le réitérer, deux décennies après : à l’issue de la descente
des forces de l’ordre au campus en 1991, précédant ma communication
officielle, il y avait eu zéro mort ! Comme les faits sont têtus, la
vérité a fini par triompher !
De l’ «Opération coup de cœur» en faveur
des Lions indomptables, vous diriez toujours que « la mallette d’argent
circule entre Paris et New York » ?
Voilà une autre méprise que je sens que je passerai ma vie à
expliquer. Le fait est pourtant simple à décrire et devrait convaincre
toute personne de bonne foi qu’il n’y a rien à me reprocher. Je réitère
qu’en partant du Cameroun comme envoyé spécial du chef de l’Etat dépêché
à la rencontre des Lions indomptables, ni moi encore moins un
quelconque membre de la délégation n’étions porteur du moindre sous à
destination de quiconque. Nous n’emportions donc ni valises, ni sacs
d’argent susceptibles de disparaitre ou non.
Cette histoire de valises d’argent que j’aurais fait disparaitre est tout simplement une élucubration mentale malveillante.
Quant à la déclaration à laquelle vous faites allusion, c’était une
simple boutade ou blague de ma part, faite à des journalistes qui
m’interrogeaient. Je constate malheureusement que j’ai été pris au mot
jusqu’aujourd’hui, alors que je pensais honnêtement que mes
interlocuteurs saisissaient la nuance humoristique des valises voguant
sans fin entre Paris et New-York.
Quel est votre regard sur la scène politique camerounaise aujourd’hui ?
Le regard que je porte aujourd’hui sur la scène politique
camerounaise est celui d’une société non pas certes en pleine maturité,
mais en pleine maturation. Vous savez qu’à la faveur de la
libéralisation, je dirais même de l’ivresse de la liberté retrouvée de
camerounais du début des années 90, certains ont perçu la compétition
politique comme une arène de gladiateurs voire une guerre. Mais au fil
des années, nous avons observé une civilisation croissante des mœurs
politiques, avec dans un premier temps le rapprochement avec le pouvoir
de certaines formations politiques telles que le MDR [Mouvement
démocratique pour la défense de la République, ndlr], l’UPC [l’Union des
populations du Cameroun, ndlr] ainsi que la transgression opportune de
certaines personnalités à l’instar des ministres Issa Tchiroma et
Hamadou Moustapha venant de l’UNDP [Union nationale pour la démocratie
et le progrès, ndlr], et qui sont entrés dans la majorité
présidentielle.
Ces derniers ont été suivis plus tard par leur parti politique, qui a
entériné cette démarche qu’on avait d’abord présentée comme étant
personnelle voire égoïste. Aujourd’hui, c’est le SDF [Social Democratic
Front, ndlr] qui est en train de se rapprocher de la majorité
présidentielle comme vous avez dû le constater plus manifestement depuis
le récent séjour du chef de l’Etat à Bamenda.
Cependant, il est juste et légitime de relever que si nous sommes
arrivés à ce niveau de maturation et de pacification de la vie politique
dans notre pays, c’est bien grâce aux efforts permanents du président
Paul Biya qui n’a eu de cesse de prôner l’apaisement, le dialogue et
l’ouverture.
Votre concitoyen Maurice Kamto est
désormais à la tête d’un parti politique. C’est une nouveauté qui
provoque des frémissements dans les Hauts Plateaux en particulier et au
sein de votre parti en général.
Le professeur Kamto était-il membre du RDPC ? J’en doute. Quant à moi,
j’ai toujours cru qu’il était plutôt proche du SDF. Je l’ai par la suite
classé parmi les opposants qui ont compris les enjeux majeurs et ont
rejoins le président Paul Biya, quand il est entré au gouvernement.
Il vient de prendre la tête d’un parti politique. C’est bien. Au début
des années 1980, il défendait l’idée de « la distanciation de
l’intellectuel vis-à-vis des politiciens ». D’où ma surprise et mon
étonnement de le voir peu après proche du SDF, plus tard dans la
proximité du président Paul Biya, et aujourd’hui, d’une autre obédience
politique. Les revirements successifs du ministre Kamto me semblent
quelque peu embarrassants dans la mesure où ils traduisent un important
déficit de fidélité, de loyauté et en conséquence de crédibilité.
Sur l’alternance au sommet de l’Etat, comment entrevoyez-vous cette échéance capitale ?
Effectivement, vous avez raison de remarquer que beaucoup de choses se
disent à ce sujet. Mais à mon niveau, je pense que nos institutions sont
solides, républicaines et fonctionnent normalement. Elles sont donc
conçues pour faire face à toute éventualité. En outre, il va sans dire
que l’une des préoccupations permanentes du président Paul Biya est de
s’inscrire dans l’histoire comme celui qui aura apporté au Cameroun la
démocratie et la prospérité. Je suis donc sûr qu’il prend au jour le
jour des mesures idoines et efficientes pour qu’au moment opportun, les
choses se déroulent dans une parfaite harmonie, c’est-à-dire dans la
paix et la stabilité.
Il va sans dire que le moment venu, le degré de maturité et de
patriotisme dont les Camerounais feront preuve sera déterminant. Et à ce
propos, j’ai l’intime conviction que demain comme hier, en d’autres
circonstances, mes concitoyens étonneront le monde.
C’est une entreprise vitale pour l’avenir du Cameroun. Je pense non seulement que l’opération Epervier doit continuer, mais aussi qu’elle doit aller en se renforçant sur tous les plans, préventif et répressif. Il est de notoriété publique que la corruption a causé et cause encore des torts insupportables, à la fois, sociaux, moraux et économiques à notre pays. Il semble qu’elle est même une menace à la stabilité des institutions. Dès lors, l’Opération Epervier n’est pas qu’un souhait ; c’est un impératif pour notre société.
Quelles appréciations faites-vous du Code électoral, de la refonte biométrique des listes électorales?
J’en ai une impression positive. Ce sont là des éléments d’une
autre preuve palpable que notre démocratie avance paisiblement et
sûrement. Ces éléments récents que vous évoquez sont en très grande
partie considérés comme des concessions du gouvernement face aux
revendications des partis politiques d’opposition. Même si ces reformes
ne font pas encore l’unanimité de tous les acteurs, et c’est d’ailleurs
très normal dans un pays démocratique où le pluralisme des points de vue
est la norme, l’important est qu’il ne faut surtout pas exclure
l’avènement, étape par étape, d’autres améliorations.
L’intelligentsia camerounaise à laquelle
vous faite partie est accusée d’avoir contribué à l’abaissement
socio-économique du Cameroun ces 30 dernières années !
Vous comprenez naturellement que je ne puisse pas être de cet avis. Tout
d’abord, parce que pour arriver à une telle conclusion, il faudrait
démontrer que le Cameroun recule, ce qui n’est pas du tout le cas à
l’observation des réalisations et évolutions de toutes natures que nous
avons connues depuis notre indépendance et surtout depuis l’accession du
président Paul Biya à la magistrature suprême. L’on peut prétendre
qu’on aurait pu faire plus et mieux. Mais mes réponses précédentes
montrent bien qu’il serait herculéen de vouloir démontrer le contraire.
Par ailleurs, il ne faudrait pas réduire l’intelligentsia aux
professeurs d’universités. Et à propos de ceux-ci, à ma connaissance,
ils n’ont jamais revendiqué, encore moins exercé, en tant que corps
social, le pouvoir, dans notre pays. On ne saurait donc leur adresser
cette accusation. Maintenant, si vous entendez par l’intelligentsia ce
que le concept révèle effectivement, à savoir l’élite intellectuelle
dans un pays, voici ce que j’en pense pour notre contexte :
l’intelligentsia, au Cameroun comme ailleurs, doit faire face aux défis
de la mondialisation et aux contraintes sociopolitiques endogènes, pour
mener à bien la conduite des affaires de la nation.
Il est clair que notre pays a réussi à sauvegarder l’essentiel à savoir
la paix et l’unité ; et qu’il se bat pour consolider la démocratie et la
prospérité. Cela signifie que l’élite a largement accompli sa mission
historique, malgré des obstacles incommensurables.