Au Cameroun, poser la question de l’après-Biya, c’est risquer la prison
Par Raoul Mbog (Yaoundé, envoyé spécial)
LE MONDE Le 24.11.2015 à 09h57
Combien d’années encore Paul Biya sera-t-il président du Cameroun ? Qui pour lui succéder ? Dans ce pays d’Afrique centrale, ces questions ne divisent pas, parce que personne n’ose les poser ouvertement. Intimidations, accroissement des arrestations, nervosité évidente du pouvoir.
Début novembre, alors que les thuriféraires du régime et les militants du parti présidentiel célébraient dans un grand tapage médiatique les trente-trois ans de règne de Paul Biya, seules quelques « têtes brûlées » ont accepté d’évoquer la répression en cours et les conditions d’une alternance politique. Têtes brûlées, ou plutôt « ampoules grillées », comme se désignent eux-mêmes une poignée d’intellectuels et d’activistes issus de la société civile qui disent ainsi « ne pas craindre de court-circuit ».
« Nous assistons aux dérives d’un groupe de vieillards ayant pris le pays en otage. » Le militant Cabral Libii, par ailleurs enseignant en droit à l’Université de Yaoundé II, tient le chef de l’Etat, bientôt âgé de 83 ans, pour seul responsable de la situation délétère du Cameroun. Le pays a vu la pauvreté s’accroître fortement : un quart des 25 millions d’habitants vit désormais avec moins d’un euro par jour. « C’est la conséquence de l’usure et d’une présidence qui n’a jamais eu de cap, regrette Cabral Libii. Mais c’est surtout le signe que le système est en train de s’effondrer. »
Arrestations répétées
En ce mois de novembre, aux abords de plusieurs artères de Yaoundé, se dressent d’immenses affiches de Paul Biya le représentant jeune et triomphant dans les premières années qui ont suivi son arrivée au pouvoir, en 1982. « Aujourd’hui, son âge avancé est un signe avant-coureur de fin de règne, avance le militant Bernard Njonga, fondateur du parti Croire au Cameroun (CRAC). Ajoutez à cela des incohérences et des disputes au sein de l’appareil d’Etat. » Pour ce militant prodémocratie qui se bat depuis une vingtaine d’années, la communication qui a entouré l’anniversaire de l’accession de Paul Biya à la présidence cache mal la tournure autocratique prise par un régime qui avait pourtant promis « progrès et démocratie » à ses débuts.