Attentats de Boko Haram: Le silence assourdissant de Paul Biya

Paul Biya:Camer.be 

Cinq jours après les attaques kamikazes les plus meurtrières de l’histoire du pays, les effets ne sont toujours pas perçus sur le plan émotionnel. Kerawa combine pourtant plus de dégâts en vies humaines que les attaques jumelées de Fotokol et de Maroua. 

 

 

Un palier vient d’être franchi dans la guerre que le Cameroun mène depuis plus d’un an contre les insurgés islamistes : la banalisation de la violence. Un des signes du relâchement de la mobilisation est sans doute les manchettes des journaux, le lendemain de l’attentat de Kerawa. Sur les sept quotidiens paraissant, seuls deux ont barré leur grande Une avec cette actualité. Les autres ont ramené le fait à sa portion congrue. La veille, il a fallu plus de 10 heures pour que le gouvernement confirme l’attaque et fasse un bilan. Pas de « breaking news » sur les chaînes de télé, pas d’évocation aux journaux parlés de 13, 15, 17, 19 et 20 heures. Il faudra attendre le 20 h 30 à l’office national pour entendre la première réaction officielle. Le double attentat a pourtant eu lieu plus tôt…à 9 heures de la journée d’après des témoignages. Une sortie sur le tard qui n’a néanmoins pas vraiment offusqué, le public ne semble pas s’être montré indigent d’information sur le sujet, ni particulièrement affecté par le carnage.

 

Au sommet de la chaîne de l’indifférence, se trouve immanquablement le président Paul Biya, chef des armées, qui n’a pas jugé bon de perturber sa retraite européenne pour montrer de la compassion devant la quarantaine de Camerounais qui venaient de perdre la vie au cours de cette attaque. On imagine difficilement, dans les pays qui nous servent de modèle démocratique, le premier citoyen briller par autant d’indifférence, à la limite du mépris, envers ses concitoyens. Peut-on imaginer le locataire de l’Elysée se calfeutrer dans sa Corrèze natale alors que deux kamikazes viennent de faire une quarantaine de morts et une centaine de blessés dans une ville française ? Peut-on imaginer le patron de la Maison blanche resté muet devant un drame qui secoue la nation. « A chacun son style », répètent à l’envi les inconditionnels du président. « Le Cameroun semble échapper à toute catégorie de l’entendement. Ce qui arrive à ce pays relève de l’inimaginable, de l’incroyable et de l’impossible. Tout se passe, en définitive, comme si sous le règne de M. Paul Biya, le Cameroun tout entier avait basculé dans le ‘hors-norme’. La déraison ou la ‘folie’ », pensait le prélat Jean Marc Ela. 

 

 

Je suis Fotokol, Je suis Maroua… 

Le président de la République étant en court séjour privé depuis des semaines, son ministre délégué à la Défense et son secrétaire d’Etat en charge de la gendarmerie étant eux également en mission hors des frontières nationales, la machine de la communication de l’Etat s’est tout simplement grippée. La mobilisation sur les principes de base de la communication politique n’a pas été activée. Pas même l’habituel communiqué laconique du secrétaire général de la présidence de la République relayant la « compassion » du chef de l’Etat. Issa Tchiroma Bakary a délivré, à plus de 20 heures, les condoléances par procuration du président Paul Biya aux familles endeuillées. 

 

Cette malséance n’est malheureusement plus l’apanage de l’exécutif. Le sommet de l’Etat qui inspire la base, hypnotise la conscience collective. La classe politique n’a pas réagi avec plus de panache. Les leaders des partis politiques sont restés coi : Boko Haram a cessé d’être l’urgence au Cameroun. La société civile est aux abonnés absents, et les médias paraissent plus préoccupés par les manchettes commerciales que par leur engagement. Quand à la population, l’engagement citoyen s’est étiolé. Après les premiers attentats à Fotokol le 12 juillet, c’était « je suis Fotokol », le slogan de ralliement, idem pour Maroua, où « je suis Maroua » foisonnait. Cependant, pour Kerawa où le bilan est de loin le plus lourd, c’est le silence assourdissant. « Tout se passe comme si le Cameroun envisage désormais de vivre avec les attentats », commente un agent du ministère des Enseignements secondaires, professeur d’histoire.

 

© Le Messager : Jean François Chanon


09/09/2015
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