Atteintes à la fortune publique: Pourquoi la procédure de vérification d`urgence fait peur

 


Cette nouvelle modalité d’intervention du Contrôle supérieur de l’Etat, qui prône célérité et souplesse de l’action, va permettre à défaut de les prévenir d’intensifier la lutte contre les atteintes à la fortune publique.


La publication de la note d’information du ministre délégué à la présidence de la République chargé du Contrôle supérieur de l’Etat (Consupe) a provoqué une levée de boucliers. Dans le camp de ceux qui vouent cette initiative aux gémonies, d’aucuns ne veulent voir à travers la mise en branle de la procédure de vérification d’urgence qu’une initiative personnelle de Henri Eyebe Ayissi. Une manière d’intimidation des dirigeants des sociétés publiques et parapubliques. Pire, pour certains, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une imposture.

Pourtant, cette nouvelle modalité d’intervention du Consupe participe du « renforcement de la prévention des atteintes à la fortune publique au Cameroun » adopté en septembre 2014 par le Comité interministériel des programmes ministériels (Ciep), en charge de la coordination de l’action gouvernementale. De plus, ce processus traduit la matérialisation d’une recommandation des états généraux sur les atteintes à la fortune publique organisés par



le Consupe en 2012.


La procédure de vérification d’urgence apparait donc comme une mesure salutaire pour la fortune publique. Surtout quand on se rappelle que, dans l’accomplissement de ses missions, le Consupe se déploie à travers des missions spéciales prescrites par le président de la République ou des missions classiques prévues par un programme annuel validé par ce dernier qui requièrent beaucoup de moyens. Conséquence : beaucoup de structures échappent pendant de longues années aux missions de vérification du Consupe.
Pour plus de célérité et d’efficacité de l’action, la procédure de vérification d’urgence, dont la mise en œuvre est prévue cette année, et qui tire sa légalité et sa légitimité du décret présidentiel du 4 septembre 2013 lui assignant « la mission permanente de procéder à la centralisation, à l’exploitation et au recoupement des informations et dénonciations relatives aux actes portant atteinte à la fortune publique et, le cas échéant, à des investigations en matière de détection des actes frauduleux », se veut souple dans ses modes opératoires.

Le Consupe entend ainsi exercer cette attribution soit en demandant aux responsables des structures visées de mettre à disposition un ‘’compte d’emploi de l’utilisation des ressources financières et matérielles’’ mobilisées dans le cadre d’une opération donnée ou d’une dotation financière spécifique qu’il se chargera d’éplucher.

Le Consupe aura aussi le loisir de procéder au contrôle en exigeant « la production et la transmission, dans des délais prescrits, d’un ‘’rapport ad hoc et circonstancié’’ portant sur certains actes de gestion identifiés ou sur des comportements dénoncés et jugés problématiques, douteux, voire potentiellement préjudiciables aux intérêts publics dans le cadre de l’utilisation d’un projet d’investissement public ou à financement public et/ou extérieur ».

Enfin, le Consupe pourra exiger« la production et la transmission, par une correspondance spécifique, des ‘’éléments d’information pertinents et suffisants’’ devant permettre de faire le point sur certaines situations signalées dans les lettres reçus ou sur la substance et la portée de certains documents de gestion parvenus au Contrôle supérieur de l’Etat ».
Autant dire que la procédure de vérification d’urgence, qui ne perd pas de vue que « le recoupement prescrit par les textes constitue implicitement mais nécessairement une invite à la circonspection, à l’objectivité et à la rigueur, bref au professionnalisme dans le traitement des informations », va alléger le contrôle, l’étendre à un plus grand nombre de structures concernées et fatalement, à défaut de les prévenir, permettre d’intensifier la lutte contre les atteintes à la fortune publique.

D’après Evariste Tsala Onana, chef de division des affaires juridiques et de l’exploitation des informations au Consupe, dans une interview accordée au quotidien Mutations le 27 mars, « la conception des modes opératoires moins coûteux, mais plus efficaces et faciles à déployer est apparue comme un impératif au regard, d’une part du coût élevé des contrôles classiques, lequel coût ne permet pas à l’institution de contrôler un nombre maximum d’entités, et, d’autre part, de la diminution notable de l’effet dissuasif desdits contrôles au fil des années ».

A ceux qui la redoutent déjà en prétextant que la procédure de vérification d’urgence est de nature à polluer l’environnement de travail des gestionnaires publics, M. Tsala Onana rétorque que « il est prévisible voire souhaitable que les gestionnaires indélicats ou tentés de le devenir soient gagnés par la psychose de la dénonciation des irrégularités commises ou projetées, et soient dissuadés de la propension à s’écarter des pratiques de bonne gestion. En définitive, il s’agit de marquer, en permanence dans les esprits des cibles du contrôle externe dont le Consupe a la charge, la présence du gendarme de l’Etat en charge de la protection de la fortune publique ».

Dans cette forme de croisade contre un fléau qui a tout d’un cancer social, l’implication des citoyens et de la société civile, supposés tirer la sonnette d’alarme à travers la saisine du Consupe par des dénonciations pas forcément signées, sera déterminante. Le recours à ces acteurs, qui se révèlent très souvent une mine d’informations, répond non seulement à une attente sociale, mais épouse aussi les pratiques en la matière adoptées par des pays ayant une bonne tradition de lutte contre les atteintes à la fortune publique.

Surtout que, souligne M. Tsala Onana, « en matière de détournements des deniers publics, chacun de nous est soit victime, soit bénéficiaire, soit auteur, soit témoin, soit complice. C’est dire que la lutte contre ce fléau interpelle tout le monde ». La procédure de vérification d’urgence n’inquiète pas outre mesure les gestionnaires adeptes de la transparence et de la reddition des comptes. En revanche, elle annonce des jours sombres pour ceux chez qui l’indélicatesse semble avoir été érigée en mode de gouvernance.

Dominique Mbassi



05/04/2015
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