Le Français d'origine camerounaise Thierry Michel Atangana, ainsi que le Camerounais Titus Edzoa, ancien secrétaire général à la présidence devenu candidat contre Paul Biya, ont été libérés hier soir, lundi 24 février au Cameroun, après plus de dix-sept ans de détention. M. Atangana, qui a toujours nié les faits, était en prison depuis 1997, accusé comme M. Edzoa de détournement de fonds publics. Tous deux avaient été condamnés à deux reprises, la dernière fois en 2012.
Lorsqu'elle a entendu la voiture s'arrêter devant sa porte, puis qu'elle l'a vu sortir, la femme de Titus Edzoa a compris que son mari était enfin libre. « Réellement, je n'ai pas eu de réaction, confie-t-elle. Jusqu'à présent, je regarde mon mari, je le regarde, je suis contente, mais je n'arrive pas à manifester une joie extrême. Je sais que ça viendra, je suis heureuse, mais je n'arrive pas à le manifester. »
Plus personne n'attendait un tel dénouement. Son comparse Thierry Michel Atangana, libéré quant à lui aux alentours de 21h, a été discrètement conduit à la résidence de l'ambassade de France, après avoir été remis aux officiers français par le patron de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE). Ses avocats, sa famille et les journalistes, qui attendaient toute la journée devant les portes de la prison, ont tous été pris au dépourvu. Ils n'ont pu le voir ce lundi soir, interdits d'accès à l'intérieur de l'ambassade.
Depuis Paris, son fils Eric lui-même n'a pu lui-même échanger avec son père que par SMS, explique-t-il. « C'est vraiment beau. On a tellement dû se battre pour obtenir sa libération, et ce soir, enfin, on a la certitude qu'il est à l'ambassade, c'est un énorme soulagement. »
Les deux anciens prisonniers ne se sont pas encore exprimés publiquement. Mais voilà plusieurs jours que la nouvelle de leur libération paraissait imminente, depuis un décret présidentiel signé le 18 février 2014. Le texte prévoyait, sans citer de nom, la possibilité d'une remise totale de peine concernant les personnes condamnées pour détournement de deniers publics et dont le séjour en milieu carcéral était supérieur à dix ans. D'autres personnalités emprisonnées dans le cadre de l'opération anticorruption Epervier pourraient elles aussi bénéficier de ce décret, et se voir libérer incessamment.
La fin d'un long calvaire pour les deux hommes
Titus Edzoa avait arrêté et incarcéré en avril 1997. Autrefois personnage parmi les plus puissants du régime de Paul Biya, il venait de déclarer sa candidature à la présidentielle. Il sera immédiatement condamné à 15 ans de prison pour détournement de fonds publics. Le Français Thierry Michel Atangana avait alors été à son tour incarcéré pour les mêmes motifs. Proche de Titus Edzoa, il était chargé par la présidence camerounaise de gérer des projets d'infrastructures routières. Son sort sera scellé à celui de la bête noire du chef de l'Etat. Pour leurs avocats, nul doute : leurs clients ont fait l'objet d'un règlement de compte politique.
Durant de longues années, Michel Atangana s'est battu seul pour faire valoir son innocence. Ce n'est que ces dernières années que Paris a pris en compte le cas de ce ressortissant français d'origine camerounaise. Sans succès. Le fils de Thierry Michel, qui n'avait que 5 ans en 1997, s'est alors lancé dans le combat pour faire libérer son père. Mais en 2012, MM. Atangana et Edzoa seront à nouveau condamnés pour les mêmes faits : 20 ans de prison. Une décision confirmée par la Cour suprême du Cameroun.
Pour Me Dominique Tricaud, l'un des avocats de Thierry Michel Atangana, « après la libération vient maintenant le temps de la demande d'indemnisation ». En décembre dernier à Paris, les avocats du Français ont déposé plainte contre trois ministres camerounais pour détention arbitraire. « C'est une affaire dans laquelle la justice camerounaise n'a pas eu son mot à dire, dans laquelle la raison d'Etat a été la seule responsable de la détention arbitraire criminelle de Michel Atangana », plaide Me Tricaud, invitant le Cameroun à « avancer sur le chemin de l'Etat de droit ».
En mai dernier, le président François Hollande avait jugé « inadmissible » la durée de détention de Thierry Michel Atangana. Plus récemment, c'était le Haut Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies qui s'en était mêlé, dénonçant les conditions inhumaines de détention et réclamant une indemnisation pour le préjudice subi. Le tout en relevant le manque d'impartialité des juges. Alors que tous les recours semblaient épuisés, l'espoir sera finalement relancé le 18 février avec la signature par le président Biya du décret de remise de peine. Thierry Michel Atangana fêtera ses 50 ans en juin prochain. En homme libre.