Le discours de Cavaye Yéguié Djibril à l’ouverture de la session ordinaire de juin divise les députés du septentrion.
Quel était le niveau de l’applaudimètre dans les rangs des députés du grand Nord mardi dernier lorsque le président de l’Assemblée dénonçait «la diversion» et «l’amalgame» dans laquelle «s’abîme» le ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya depuis qu’il se trouve dans les serres de l’Epervier ? « Pratiquement tous les députés du grand Nord n’ont pas applaudi », déclare un parlementaire de la région de l’Extrême Nord. « Moi, j’ai applaudi. Je leur ai dit que je n’ai pas de comptes à leur rendre, mais à mes électeurs », rétorque énergiquement un élu de la même région.
Ces deux postures mettent en lumière le malaise qui s’est emparé des députés de la partie septentrionale du Cameroun mardi dernier au plus fort de l’envolée oratoire anti-Marafa du président de l’Assemblée nationale (Pan). «C’est un jeu de rôles. Cavaye protège sa marmite. Il n’est pas indiqué de cracher dans la main qui t’a nourri. Il doit tout à Paul Biya. Et puis, ce n’est pas parce que Cavaye a parlé ainsi qu’il n’est pas préoccupé par le cas Marafa. Le grand Nord est un laboratoire de l’hypocrisie. Vous remarquerez d’ailleurs que la partie de son discours qui porte sur l’Opération épervier a été rajoutée à la fin», révèle un élu.
Un autre député du Septentrion croit savoir que « c’est le fait que Marafa refuse de se taire depuis qu’il est emprisonné qui a poussé le Pan à faire cette sortie musclée. Peut-être qu’il est trop loin dans son réquisitoire contre Marafa sous la contrainte douce de certaines personnalités qui tenaient à ce qu’il le fasse ainsi, en qualité de première personnalité politique du Rdpc dans le septentrion et deuxième personnalité de la République ».
La polémique suscitée par le discours de Cavaye Yéguié Djibril est telle qu’un élu rencontré hier à l’Hôtel des députés, à Yaoundé, souffle avoir reçu un groupe de jeunes originaires de l’Extrême Nord, qui sont venus lui demander « pourquoi les députés du grand Nord ne soutiennent pas Marafa ». « Je leur ai dit que ce serait une démarche dangereuse. Si les députés de l’Ouest viennent à se révolter parce qu’on a arrêté un ministre de cette région ou si les élus du département de la Lékié le font pour un des leurs, ce serait grave pour la République ».
Au-delà de l’allocution de Cavaye Yéguié Djibril mardi dernier à l’hémicycle de Ngoa-Ekellé, en ouverture de la session ordinaire de juin, des camps anti et pro-Marafa se forment déjà parmi les députés du grand Nord. « M. Biya n’a pas rapatrié la dépouille du président Ahidjo. Il a utilisé Sadou Hayatou avant de le limoger. Aujourd’hui, M. Hayatou souffre d’amnésie. Maintenant, c’est au tour de Marafa, qui a pourtant imposé le Rdpc à Garoua. Le régime veut aussi rendre le ministre d’Etat amnésique. A ces cas, il faut ajouter celui de Bello Bouba, qui a aidé à préserver la paix dans ce pays et qui se retrouve à la tête d’un ministère périphérique. Je n’oublie pas le cas d’Amadou Ali, « le fou du roi », qui est vice-Pm et garçon de course à la Présidence. Du jamais vu ! Et celui de Cavaye, qui a été humilié par Jean Nkuété dans l’affaire Sodecoton et qui se retrouve aujourd’hui sous la botte politique de M. Nkuété. Nous n’allons pas nous laisser faire. Le combat ne fait que commencer », martèle un député du Nord.
L’un de ses collègues, qui ne cache par ses rapports en dents de scie avec Marafa, affirme pour sa part : « Marafa n’est soutenu que par ses amis, qui se recrutent parmi les maires, les députés et les hommes d’affaires. Le ministre d’Etat n’était pas un homme de rassemblement, il avait une conduite élitiste. Je dois vous avouer que son arrestation est un motif de joie pour beaucoup de ses concurrents politiques à Garoua et ailleurs ». Sur le cas Marafa, les deux camps en présence s’épient et l’on promet des châtiments en cas d’incartades. C’est dans ce sens que la « cellule de veille politique» de Marafa a balancé lundi dernier la quatrième lettre de l’ancien Sgpr, avec des révélations mettant à mal Issa Tchiroma, célèbre pourfendeur de Marafa. Il n’est d’ailleurs pas exclu que la cinquième lettre de Marafa, qui serait déjà écrite, embarrasse davantage l’actuel ministre de la Communication dans l’affaire du crash du Boeing de la Camair en 1995. « Qu’il organise une conférence de presse, comme il en a l’habitude, pour prouver son innocence », se gausse un député.