Commissaire Pierre ELA, auteur, ancien responsable des Renseignements généraux .
Le Cameroun vient de fêter son cinquantenaire de la
Réunification. Si le Président a salué dans son discours les Héros de la
Réunification, il n’a cité aucun nom. Cela fait polémique…
Il est incontestable que les deux héros de la Réunification sont Ahmadou
Ahidjo et John Ngu Foncha. L’un et l’autre ont eu un contentieux avec
Biya. Ahidjo, c’est la rupture à la suite du faux complot. Le
contentieux avec Foncha est intervenu à la suite de sa démission
fracassante du parti au pouvoir début 1991, pendant l’affaire Yondo et
Albert Mukong. Mais c’est avec Ahidjo que la rupture a étéconsommée à
la suite de la violation des Accords de Foumban. Or Biya ne peut citer
Foncha sans citer Ahidjo. Tout ce cafouillage qui résulte des ruptures
d’harmonie irrite les Camerounais et légitime la tenue du Dialogue
national.
Que pensez-vous du décret du chef de l’Etat qui va entraîner,
entre autres, la libération de Michel Thierry Atangana et de Titus
Edzoa ?
Le Président Biya vient d’administrer au monde entier la preuve que la
force du pouvoir est concentrée entre ses seules mains : il est à la
fois l’organe gouvernemental, l’organe législatif et le véritable
détenteur du pouvoir judiciaire. Un tel déséquilibre des pouvoirs
constitue une entorse au bon fonctionnement d’un Etat de droit et de
démocratie. Le chef de l’Etat peut «créer» ou défaire un haut commis de
l’Etat, il peut refuser, contre la volonté populaire, d’organiser les
obsèques nationales à la mémoire de son illustre prédécesseur, le
fondateur de l’Etat qui lui a tout donné. Il répondra devant
l’Histoire, du «mensonge d’Etat» qui a été distillé pendant plus de 30
ans contre Ahmadou Ahidjo.
Parlant du supplice insupportable et inhumain infligé aux anciens secrétaires généraux de la Présidence, j’ai eu à démontrer que le mobile de ces arrestations et détentions est d’ordre politique. Il important que les Camerounais sachent que la fonction de secrétaire général de la Présidence est difficile et accablante, et que la relation entre lui et le Président est singulière. Le secrétaire général de la Présidence, à l’époque de Paul Biya – de 1972 à 1975 – puis de Samuel Eboua – de 1975 à 1982 -, était le confident du Président sur les dossiers sensibles de la République. C’est lui qui assurait la coordination de l’action gouvernementale.
En faisant subir des châtiments humiliants à certains de ses plus proches collaborateurs (condamnation à vie pour tel, lourdes peines pour tels autres) tout en laissant en liberté des collaborateurs qui ont détourné des fonds publics massifs, le Président Biya a franchi le seuil des violations les plus graves des droits de l’Homme. Les Camerounais sont interpellés.
Peut-on espérer que ces libérations ouvriront la voie à d’autres remises de peines ou des libérations sans condition ?
Je suis très confiant pour la suite des événements, surtout en ce qui concerne Marafa Hamidou Yaya.
Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que l’ancien ministre d’Etat pourrait bénéficier aussi d’une libération rapide ?
Tout simplement parce qu’il a été victime d’un complot dont j’ai apporté
la preuve irréfutable dans une de mes contributions publiée dans les
médias. Je suis à l’origine du renseignement qui a servi plus tard à
concevoir «l’Opération Albatros» destinée à éliminer politiquement
Marafa Hamidou Yaya. Tous les éléments décrits avec précision convergent
vers la thèse de complot : le contenu de la note verbale que j’ai
transmise au délégué général à la Sûreté nationale, le portrait robot du
principal commanditaire de ce complot, etc. Il sera difficile au
pouvoir de contredire cette thèse du complot. Les Camerounais ne sont
pas dupes : ils savent que «l’Opération Epervier» a été une manipulation
politique pour justifier la modification de la Constitution en 2008
afin de lever le verrou de la limitation du mandat présidentiel.
Qui était délégué général à la Sûreté nationale au moment vous transmettiez votre information sur Marafa ?
Minlo Medjo. J’avais rendu compte à la résidence de son secrétaire
général, Eko Jean Emile, du contenu de la note verbale relative au
projet secret des Français de remplacer Biya par une personnalité du
Nord.
Vous parliez aussi d’un cerveau du complot contre Marafa. A qui faites-vous précisément allusion ?
Le cerveau du complot est le Président Biya qui assume en signant des
actes qui violent gravement les droits de l’homme. Le portrait robot,
dressé dans une de mes contributions, est celui d’un membre du clan qui a
exécuté la volonté du chef. C’est le même scenario qui s’est passé en
1983 pour le complot contre le Président Ahidjo. Avec Ahidjo, c’était le
premier complot contre le Nord. Avec Marafa, c’est le second complot
contre le Nord.
Quelles sont les actions que vous menez ou que vous entendez
mener pour le retour de l’harmonie sociale, votre principal centre
d’intérêt ?
Nous organiserons un dialogue national avant le mois de septembre 2014.
De ce forum, sortira une Commission Vérité et Réconciliation chargée,
d’une part, de réexaminer les nombreux cas de contentieux qui émaneront
des violations graves des droits de l’Homme et d’autre part, de rédiger
l’avant projet de la future Constitution, le nouveau contrat social qui
va restaurer l’harmonie sociale. Pour ce faire, nous solliciterons le
soutien des pays amis : d’abord le Sénégal, terre hospitalière de la
famille Ahidjo et qui a tenu des assises nationales sous la présidence
d’Amadou Macktar M’Bow. Comme le Sénégal, les conclusions de notre
dialogue national qui sera présidé par le Cardinal Christian Tumi,
seront remises au chef de l’Etat.
En 22 ans de pouvoir, le président Ahidjo a ajouté au trafic ferroviaire existant avant l’indépendance les tronçons Yaoundé – Ngaoundéré (Trans-camerounais) et l’axe Mbanga – Kumba. En plus de 30 ans de pouvoir, non seulement le Président Biya n’a ajouté aucun kilomètre de rail, mais, plus grave, il a fait enlever par Camrail le rail qui reliait Mbanga à Nkongsamba, laissant dans le plus grand dénuement plusieurs villages. Aujourd’hui, la gare de Nkongsamba est un site « mort » et sinistré.
Un dernier mot sur le décès d’Ateba Eyene…
Sa disparition nous rappelle la fragilité de l’homme mortel. Je garde de
lui le souvenir d’un homme qui n’avait pas l’estime d’Abel Eyinga,
originaire comme lui du Sud. L’icône Eyinga avait refusé de coopter
Ateba Yene dans l’équipe des patriotes en 2008 quand je le lui avais
proposé. Paix à leurs âmes respectives.