Hilaire sikounmo, l’auteur de cette démarche, a trouvé à son dernier essai de critique littéraire1 un titre a priori ambigu, à la Cheikh Hamidou Kane2 ; ou tout simplement dialectique, assez convenable pour pouvoir servir comme sujet de dissertation classique, avec sa fameuse problématique-thèse-antithèse-synthèse. Du Défaitisme dans l’œuvre de Ferdinand Oyono : tare ou philosophie ?
Réalité ou fiction, de la part du nouvelliste camerounais ? Est-il, au bout du compte, question d’une ruse de guerre psycho-diplomatique dans son engagement littéraire de jeune étudiant en situation de colonisé contre les outrances assassines de l’entreprise coloniale française, l’une des plus indécrottables qui soient au monde – à travers le temps et l’espace ?
Autrement dit, s’il y a un peu partout absence de perspectives, démission, couardise, complaisance dans la veulerie, le laisser-faire, comme traits dominants des personnages qui frétillent dans l’univers oyonesque, cela relève-t-il directement des événements socio-historiques en cours en Afrique dite francophone, au Cameroun plus précisément, son pays d’origine, des années 1950 ? par ailleurs décennie de la conception, rédaction et publication de sa trilogie3.
Il se peut agir aussi d’un choix délibéré de ses narrateurs d’esquiver la bouillonnante réalité camerounaise de l’époque, pourtant l’une des plus interpellatrices ; d’y tourner le dos ou de tendre à la
1 Il a déjà publié en 2010, aux Editions L’Harmattan, Ousmane Sembène, écrivain populaire.
2 L’auteur de L’Aventure ambiguë, Julliard, 1961
3 Chez le même éditeur, Julliard : Une Vie de boy (1956), Le vieux Nègre et la médaille (1956) et Chemin d’Europe (1960)
masquer en quelque sorte. Pour servir quels intérêts ? A moins que ce ne soit en toute naïveté. Paraît néanmoins peu admissible, celle d’un étudiant camerounais, parti en Europe déjà à l’âge de la raison, vingt-et-un ans ; pour « évoluer » en compagnie des Mongo Beti, David Diop, Francesco Ndinsouna, Cheikh Anta Diop, et autres militants chevronnés de l’anticolonialisme.
Il serait plutôt question, chez le romancier diplomate, alors encore en herbe, d’une préférence marquée pour le pan quelque peu résiduel de la vérité historique à illustrer, à monter en épingle, à faire de préférence passer à la mémoire collective : la réalité tout aussi historique des collabos indigènes sans doute inconscients de la gravité des enjeux, crédules probablement.
Sauf s’il ne fut au fond question que de petits calculateurs-défenseurs nègres de la situation coloniale ; une atmosphère de contestation qui était déjà éruptive au Cameroun de cette période-là – pour au moins deux décennies, sans interruption significative. 1984, 1991, 2008 sont les derniers jalons du phénomène avéré des plus récurrents. Peut-être jusqu’à la fin de la mainmise étrangère.
Les soubresauts des années 50 relevaient principalement du fait d’une soldatesque française sortie éreintée de la Seconde Guerre, humiliée au Viêt-Nam, bousculée en Algérie (comme jadis à Haïti de Toussaint Louverture), et en retraite sourdement revancharde au pays de Um Nyobe, pourtant sous tutelle des Nattions Unies. Une ONU qui n’attendra pas très longtemps – juste cinquante années d’une recolonisation à peine masquée - pour confirmer, comme on sait, sa congénitale et grandissante duplicité avec les deux Puissances les plus remuantes de son Conseil de Sécurité : au Rwanda, au Zaïre, en Côte-d’Ivoire, en Lybie, etc.
Presque rien de tout cela, de ce début de massacres en coulisses des populations camerounaises, en parallèles à de sordides manœuvres d’émasculation collective à long terme - pas un traître mot, une image ou une allusion significative - n’est mentionné dans l’œuvre du romancier, pour être en mesure de rappeler à la mémoire du lecteur des rudiments de la Crise camerounaise, quelques reflets de la résistance multidimensionnelle d’un peuple cependant résolument debout, pour désespérément tenter de faire mentir le Destin.
Monsieur Sikounmo a rapproché le témoignage de l’écrivain diplomate de ceux de nombre de ses homologues et contemporains, pour établir tantôt des similitudes presque convergentes (Aké Loba comme Camara Laye, L. S. Senghor, …) ou de saisissants contrastes (Mongo Beti, Sembène Ousmane, Chinua Achebe, Roger Dorsinville, Jacques Roumain, …) sur le même contexte colonial français à travers le Continent Noir et ailleurs dans le monde.
A chacun de défendre de sa plume tranchante ou émoussée, plus ou moins ouvertement sa vérité, une cause, individuelle ou de groupe, dignement populaire ; pour se servir personnellement en douce ou prendre des risques considérables, se sacrifier carrément à plus ou moins long terme à la sollicitation pressante d’un lendemain espéré moins dramatique pour son peuple continuellement martyr. Des témoignages d’historiens - camerounais en l’occurrence - vont pareillement dans ce sens, à l’instar de l’abbé Thomas Kethoua4 et du R. P. Engelberg Mveng5.
S’il y a finalement tendance réciproque au démenti entre la fiction oyonesque et la vérité socio-historique au Cameroun et en Afrique, il y a également quelque part une coïncidence marquante entre le
4 KETCHUOA (Thomas), Contribution à l’histoire du Cameroun, Nkongsamba, 1960
5 Mveng (Engelberg), Histoire du Cameroun, Présence Africaine, Paris, 1963
louvoiement artistique parfois caractériel de ses narrateurs comédiens des années 50 et une certaine indifférence, le silence passablement éloquent de l’auteur puis du diplomate, et plus tard du politique sur des événements historiques décisifs, le concernant cependant au premier chef.
Comme la guerre avortée de libération nationale dans son pays natal, le calvaire de Lumumba et du Panafricanisme au Congo dès 1960, la crise économique, des Institutions, de la solidarité citoyenne comme de la gouvernance sous le Renouveau du Président Biya. On continue de chercher en vain l’intellectuel Oyono homme de grande culture (classique), à la lumière des actions publiques (et de coulisses surtout) de l’écrivain diplomate, du ministre-vice-roi.
Monsieur Sikounmo prétend détenir la clé de la controverse. A découvrir et à apprécier, à tête franchement reposée, dans son captivant essai qu’il a commis chez Edilivre, cette année même. Il s’agit d’une réécriture adaptée de son mémoire du Diplôme d’Etudes Supérieures soutenu dans un contexte kafkaïen - il y a exactement quarante années de cela - à l’Université Fédérale du Cameroun, Fondation Française.
Moïse Meutou
Repères
Titre de l’ouvrage : Du Défaitisme dans l’œuvre de Ferdinand Oyono : Tare ou philosophie ?, Edilivre, Paris, 2012.
Editeur : Edilivre
Collection : collection universitaire
Genre : essai
Nombre de pages : 153
Date d’édition : le 31 juillet 2012
Prix : 25 euros
Point de vente : les librairies Edilivre et celles de ses associés et correspondants
Nom de l’auteur : Hilaire Sikounmo
Nationalité : camerounaise
Profession : enseignant
Charge : écrivain
Du même auteur
* Sur les Traces d’une vie en demi-teinte. Œuvre-mémoire d’un enseignant camerounais, Edilivre, Paris, 2012, récit
* Au Poteau, L’Harmattan, Paris, 2010, roman.
* Afrique aux épines, L’Harmattan, Paris, 2010, nouvelles
* Débris de rêves. Pensées à la carte, L’Harmattan, Paris, 2010, essai.
* Jeunesse et éducation en Afrique noire, L’Harmattan, Paris, 1995, essai.
* L’Ecole du sous-développement. Gros plan sur l’enseignement secondaire en Afrique, L’Harmattan, Paris, 1992, essai.