Arrestations dans le cadre de l’Épervier: l’exécution d’un compromis sur le dos du peuple ?
NAMUR (Belgique) - 20 AVRIL 2012
© Léon Koungou | Correspondance
Aujourd’hui, que l’on soit riche, puissant ou pauvre, la justice camerounaise fait peur. Au même titre que l’armée, la justice est devenue le bras oppresseur du peuple. Son action viserait à décimer les acquis de la république (liberté, droit de l’homme, etc.). La création du Tribunal Criminel spécial (TCS), qui a comme « innovation », la suppression du double degré de juridiction est une preuve.
© Léon Koungou | Correspondance
Aujourd’hui, que l’on soit riche, puissant ou pauvre, la justice camerounaise fait peur. Au même titre que l’armée, la justice est devenue le bras oppresseur du peuple. Son action viserait à décimer les acquis de la république (liberté, droit de l’homme, etc.). La création du Tribunal Criminel spécial (TCS), qui a comme « innovation », la suppression du double degré de juridiction est une preuve.
Arrestations dans le cadre de l’Épervier: l’exécution d’un compromis sur le dos du peuple ?
« Le Cameroun, c’est le Cameroun »… À la recherche d’une réelle appréhension de cet objet d’étude qui a tant inspiré des spécialistes en science sociale (Jean-François Médard, Jean-François Bayart, Marie-Emmanuelle Pommerolle, etc.), on retiendra notamment que le Cameroun est un Etat néo-patrimonial. Le pays de Paul Biya présente à ce jour une diversité de sens attribués au néo-patrimonialisme. Lequel concept fut utilisé en science sociale dès 1978. Il s’agissait d’une étude de J.F Médard axée sur le Cameroun. De la confusion entre domaine public et domaine privé – références essentielles du patrimonialisme -, s’est adjoint sous le Renouveau une institutionnalisation insuffisante. Depuis 1982, le Cameroun renvoie l’image d’un Etat qui se veut moderne, mais qui, contrairement à l’Etat bureaucratique wébérien régi par des règles impersonnelles, associe des normes qui sont tout à la fois publiques et privées.
Le néo-patrimonialisme ne traduit donc pas l’absence de normes légales ni le règne de la tradition, mais bien un conflit de normes. Ainsi découle une interpénétration récurrente entre intérêts privés et intérêts publics, la gestion sur un mode privé des fonctions officielles, le népotisme dans le recrutement des fonctionnaires et dans la sélection de l’entourage des officiels. En outre, on relève la primauté des loyautés personnelles sur les relations institutionnelles, ainsi qu’une faiblesse corrélative des institutions et du droit qui n’ont pas la capacité d’encadrer le comportement des acteurs. De ce fait, depuis 1982, s’observent des « politiciens entrepreneurs » et des « big men ». L’Etat camerounais est devenu prédateur et kleptocrate. D’où sa criminalisation et sa privatisation.
Au regard de ces observations, les adultes de 1982 devenus des hommes, et les camerounais nés sous le Renouveau, n’auraient pas conscience que la corruption est un fléau. De leur socialisation, la corruption est apparue comme une vertu – un moyen de réussite sociale. À moins d’entretenir l’hypocrisie ambiante, tout Camerounais de bonne foi, sait qu’il suffisait d’un coup de fil de son parent haut placé pour avoir la place dans un Lycée de son choix. Ceux qui n’avaient pas de parents à des positions de pouvoir voyaient la famille se mobiliser pour apporter une enveloppe au proviseur…Il fallait tout faire pour que l’enfant réussisse.
L’instrumentalisation de la justice
Le régime gouvernant entretient la corruption, car celle-ci protège le pouvoir par l’étouffement des contestations que généraient les mauvaises conditions de vie des populations. Parce que l’Etat est incapable de se réinventer pour créer des emplois et la richesse, le système D fait son chemin. Les Camerounais se débrouillent comme ils peuvent. Et de quelle manière ? Comment comprendre que le fonctionnaire, fut-il de catégorie A, a des villas, des dizaines de cylindrées, des terrains et ce, sans avoir sollicité un prêt bancaire ? L’agent des impôts, douanes, police, etc. a des véhicules de transport, de somptueuses villas, des maîtresses au prix fort. Le directeur d’un hôpital public gère parallèlement une clinique privée, etc. De toute évidence, si le gouvernement manifestait la volonté de contenir les fraudes et autres abus, tout laisse penser que de nombreux camerounais qui, à ce jour, ont un train de vie de sénateur malgré leur salaire de catéchiste, descendraient dans la rue et marcheraient en direction du Palais de l’unité – sous l’indifférence des balles – pour dénoncer l’état de délabrement du pays. La lutte contre la corruption semble ne pas être une priorité pour le gouvernement. Il faudrait certainement trouver d’autres mobiles à ce machin qualifié d’« Opération Epervier ».
Plus inquiétant aujourd’hui apparaît le compromis entre régime gouvernant et institution judiciaire. La justice s’est érigée en une machine implacable, inhumaine et incontrôlable. Elle broie les individus et les idées. L’Exécutif et le Judiciaire, au Cameroun, sont des « associés ». La concomitance de certains événements est-il toujours un hasard ?
- En février 2008, lorsque des Camerounais tombent sous les balles des forces de l’ordre, dans la foulée, les ministres Abah Abah et Olanguena sont interpellés ;
- En avril 2008, la révision constitutionnelle consacrant la « présidence à vie » crée des tensions dans le pays. Le dossier Atangana Mebara est hâtivement ficelé. Il est interpellé au mois d’août ;
- En novembre 2010, lorsque le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour « recel de détournements de fonds publics » visant le président Paul Biya, contre toute attente, M. Yves-Michel Fotso est interpellé en décembre ;
- Avril 2012, suite aux mécontentements - partis de l’opposition, une partie de la majorité présidentielle (undp), des leaders de la société civile – suscités par l’adoption d’une loi électorale qui ne comblerait pas toutes les attentes, MM. Inoni et Marafa sont interpellés…
Il apparaît clairement qu’un compromis existe entre régime gouvernant et autorité judiciaire tenue en laisse. Car, n’en déplaise à ceux qui y voient dans les victoires des ministres Abah Abah et Olanguena, devant la Cour suprême, un signe de l’indépendance de la justice ; les décisions de justice et les ordres d’interpellation dans le cadre de l’Epervier sont pris au Palais de l’unité sur proposition du Minjustice. Habiles manipulateurs, ceux qui ficèlent les dossiers lâchent parfois du lest, question de donner du crédit à l’Opération. Dans cette parfaite orchestration, dans les prochains jours, on pourrait assister à l’élargissement de certaines grosses prises.
La Haute Cour: l’oubli d’un attribut constitutionnel
Le compromis entre autorité judiciaire et gouvernant repose sur la théorie de l’accordéon. Dans les tiroirs de la justice, y sont déposés des dossiers élastiques dont les tentacules tiennent en respect les collaborateurs du chef de l’Etat. Il suffirait que le pouvoir soit dans une mauvaise passe (Affaire Vanessa, code électoral contesté, etc.) pour que la justice déroule son accordéon. Logiquement dans le cadre de l’Affaire dite Albatros, Inoni et Marafa, ne ferment pas la liste de ceux qui rejoindront le Centre d’internement administratif de Yaoundé – logé au sein de la prison de Kondengui. La justice soutien le régime gouvernant dans des contextes difficiles. À travers ce deal, la haute autorité judiciaire serait exempte de retraite, alors que les autres membres de la corporation bénéficient d’un régime de quasi impunité.
Tout ce spectacle suscite de l’attrait - d’où une abondante littérature sur le pays de Paul Biya (Fanny Pigeaud 2011, Thierry Amougou 2011, Thomas Deltombe 2011, etc.). Mais les différents écrits prêcheraient dans le vide. L’Etat de droit connaît un péril sous l’indifférence des gouvernants. Avec des arrestations à tout vent - symbole de l’égalité des citoyens devant la loi -, c’est plutôt l’instrumentalisation de la justice qui est en marche.
Certes, le peuple a déjà rendu son verdict : « tous coupables ». Et uniquement sur la base des passions. En appeler à la retenue susciterait la colère de nombre de personnes qui se délecteraient des malheurs des « puissants » tombés en disgrâce. À vrai dire, dans un pays où M. Amadou Ali, alors ministre de la justice, et son cher collègue en charge de la communication, Issa Tchiroma, ont décrété l’«abolition» de la présomption d’innocence à travers des sorties médiatiques, la justice s’inscrit dans un registre spécifique. En fait, le citoyen lambda, aidé en cela par des pseudo intellectuels courtisans, éprouve des difficultés à démêler les particularismes du vocabulaire judiciaire. Ainsi, prévenu, mis en examen, condamné, seraient pareils. La preuve, tout ce monde est logé à Kondengui. Au Cameroun, la justice sous sa forme parodique, est hostile à toute comparution libre. Apparemment les Camerounais n’auraient pas de domicile fixe. D’où certainement le placement du Chief Inoni Ephraïm à Kondengui.
Messieurs les magistrats, certes les citoyens seraient égaux devant les lois de la République. Toutefois, la même république à l’instar du Cameroun, a par ailleurs érigé des mécanismes de différenciation : il en est du privilège des juridictions. La Constitution du Cameroun a institué la Haute Cour pour juger les membres du gouvernement et assimilés pour les « actes de types infractionnels » commis dans le cadre de leur service. Lorsqu’on est responsable de haut rang : « Détourner des fonds alloués à l’achat de l’avion présidentiel et/ou vouloir attenter à la vie du président de la République en dotant sa flotte d’un avion défaillant – aux dires de certains », relèvent de la haute trahison. D’après la Constitution, on se serait attendu à ce que MM. Inoni, Marafa, Atangana Mebara, etc. soient présentés devant la Haute Cour. Mais que non.
Aujourd’hui, que l’on soit riche, puissant ou pauvre, la justice camerounaise fait peur. Au même titre que l’armée, la justice est devenue le bras oppresseur du peuple. Son action viserait à décimer les acquis de la république (liberté, droit de l’homme, etc.). La création du Tribunal Criminel spécial (TCS), qui a comme « innovation », la suppression du double degré de juridiction est une preuve.
On s’abstiendrait de commenter certaines affaires pendantes devant la justice – pour reprendre la rhétorique des gouvernants face à des questionnements embarrassants de l’opinion. Toutefois, on ne peut s’empêcher de relever l’esprit de chicane qui se développe dans les TGI du Mfoundi et du Wouri. Face à l’évidence le tribunal refuse de trancher.
Dans l’Affaire Atangana Mebara, Mendouga, Otélé c/ Etat du Cameroun : Comment comprendre qu’après 2 années d’instruction et une année de procès (avec mobilisation de nombreux experts au frais du contribuable), le tribunal soit encore par exemple à questionner sur le détournement de 1,5 milliard imputé à l’accusé Mebara à propos du paiement des impayés de Camair à la firme Anset (loueur d’avions) ? En fait, devant le même tribunal, et après maintes hésitations, l’ex-minefi, Michel Meva’a Meboutou, a reconnu que l’argent débloqué par l’Etat était parvenu à bon port. Le cabinet d’expertise Dooh Collins, sollicité par l’Etat, sans empressement a fini par admettre devant le tribunal que le 1,5 était parvenu dans les comptes de Anset. L’accusé lui-même, comme il l’avait fait devant le juge d’instruction, n’a sans cesse brandi le récépissé délivré par Anset, après l’encaissement du 1,5 milliard. Toutefois, l’accusation reste maintenue.
De toute évidence, la justice ne rassure personne, même pas le chef de l’Etat. On pourrait voir à la volonté du président Biya de rester au pouvoir ad vitam æternam, la peur de ne point affronter de son vivant le monstre judiciaire qu’il a construit.
Somme toute, comme le relevait le physicien Albert Einstein : « L’esprit qui est à l’origine d’un problème n’est pas celui qui le résoudra ». La lutte efficace contre la corruption, si elle devenait effective, se heurterait certainement à un problème de légitimité. Le régime du Renouveau, à notre avis, n’aurait aujourd’hui ni la légitimité, ni la crédibilité nécessaire pour conduire une telle opération.
Léon Koungou.
FUNDP/Namur - Belgigue.
Auteur de L'Afrique des timocrates. La politique des privilèges, Paris, Éd. du Cygne, 2011.
« Le Cameroun, c’est le Cameroun »… À la recherche d’une réelle appréhension de cet objet d’étude qui a tant inspiré des spécialistes en science sociale (Jean-François Médard, Jean-François Bayart, Marie-Emmanuelle Pommerolle, etc.), on retiendra notamment que le Cameroun est un Etat néo-patrimonial. Le pays de Paul Biya présente à ce jour une diversité de sens attribués au néo-patrimonialisme. Lequel concept fut utilisé en science sociale dès 1978. Il s’agissait d’une étude de J.F Médard axée sur le Cameroun. De la confusion entre domaine public et domaine privé – références essentielles du patrimonialisme -, s’est adjoint sous le Renouveau une institutionnalisation insuffisante. Depuis 1982, le Cameroun renvoie l’image d’un Etat qui se veut moderne, mais qui, contrairement à l’Etat bureaucratique wébérien régi par des règles impersonnelles, associe des normes qui sont tout à la fois publiques et privées.
Le néo-patrimonialisme ne traduit donc pas l’absence de normes légales ni le règne de la tradition, mais bien un conflit de normes. Ainsi découle une interpénétration récurrente entre intérêts privés et intérêts publics, la gestion sur un mode privé des fonctions officielles, le népotisme dans le recrutement des fonctionnaires et dans la sélection de l’entourage des officiels. En outre, on relève la primauté des loyautés personnelles sur les relations institutionnelles, ainsi qu’une faiblesse corrélative des institutions et du droit qui n’ont pas la capacité d’encadrer le comportement des acteurs. De ce fait, depuis 1982, s’observent des « politiciens entrepreneurs » et des « big men ». L’Etat camerounais est devenu prédateur et kleptocrate. D’où sa criminalisation et sa privatisation.
Au regard de ces observations, les adultes de 1982 devenus des hommes, et les camerounais nés sous le Renouveau, n’auraient pas conscience que la corruption est un fléau. De leur socialisation, la corruption est apparue comme une vertu – un moyen de réussite sociale. À moins d’entretenir l’hypocrisie ambiante, tout Camerounais de bonne foi, sait qu’il suffisait d’un coup de fil de son parent haut placé pour avoir la place dans un Lycée de son choix. Ceux qui n’avaient pas de parents à des positions de pouvoir voyaient la famille se mobiliser pour apporter une enveloppe au proviseur…Il fallait tout faire pour que l’enfant réussisse.
L’instrumentalisation de la justice
Le régime gouvernant entretient la corruption, car celle-ci protège le pouvoir par l’étouffement des contestations que généraient les mauvaises conditions de vie des populations. Parce que l’Etat est incapable de se réinventer pour créer des emplois et la richesse, le système D fait son chemin. Les Camerounais se débrouillent comme ils peuvent. Et de quelle manière ? Comment comprendre que le fonctionnaire, fut-il de catégorie A, a des villas, des dizaines de cylindrées, des terrains et ce, sans avoir sollicité un prêt bancaire ? L’agent des impôts, douanes, police, etc. a des véhicules de transport, de somptueuses villas, des maîtresses au prix fort. Le directeur d’un hôpital public gère parallèlement une clinique privée, etc. De toute évidence, si le gouvernement manifestait la volonté de contenir les fraudes et autres abus, tout laisse penser que de nombreux camerounais qui, à ce jour, ont un train de vie de sénateur malgré leur salaire de catéchiste, descendraient dans la rue et marcheraient en direction du Palais de l’unité – sous l’indifférence des balles – pour dénoncer l’état de délabrement du pays. La lutte contre la corruption semble ne pas être une priorité pour le gouvernement. Il faudrait certainement trouver d’autres mobiles à ce machin qualifié d’« Opération Epervier ».
Plus inquiétant aujourd’hui apparaît le compromis entre régime gouvernant et institution judiciaire. La justice s’est érigée en une machine implacable, inhumaine et incontrôlable. Elle broie les individus et les idées. L’Exécutif et le Judiciaire, au Cameroun, sont des « associés ». La concomitance de certains événements est-il toujours un hasard ?
- En février 2008, lorsque des Camerounais tombent sous les balles des forces de l’ordre, dans la foulée, les ministres Abah Abah et Olanguena sont interpellés ;
- En avril 2008, la révision constitutionnelle consacrant la « présidence à vie » crée des tensions dans le pays. Le dossier Atangana Mebara est hâtivement ficelé. Il est interpellé au mois d’août ;
- En novembre 2010, lorsque le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour « recel de détournements de fonds publics » visant le président Paul Biya, contre toute attente, M. Yves-Michel Fotso est interpellé en décembre ;
- Avril 2012, suite aux mécontentements - partis de l’opposition, une partie de la majorité présidentielle (undp), des leaders de la société civile – suscités par l’adoption d’une loi électorale qui ne comblerait pas toutes les attentes, MM. Inoni et Marafa sont interpellés…
Il apparaît clairement qu’un compromis existe entre régime gouvernant et autorité judiciaire tenue en laisse. Car, n’en déplaise à ceux qui y voient dans les victoires des ministres Abah Abah et Olanguena, devant la Cour suprême, un signe de l’indépendance de la justice ; les décisions de justice et les ordres d’interpellation dans le cadre de l’Epervier sont pris au Palais de l’unité sur proposition du Minjustice. Habiles manipulateurs, ceux qui ficèlent les dossiers lâchent parfois du lest, question de donner du crédit à l’Opération. Dans cette parfaite orchestration, dans les prochains jours, on pourrait assister à l’élargissement de certaines grosses prises.
La Haute Cour: l’oubli d’un attribut constitutionnel
Le compromis entre autorité judiciaire et gouvernant repose sur la théorie de l’accordéon. Dans les tiroirs de la justice, y sont déposés des dossiers élastiques dont les tentacules tiennent en respect les collaborateurs du chef de l’Etat. Il suffirait que le pouvoir soit dans une mauvaise passe (Affaire Vanessa, code électoral contesté, etc.) pour que la justice déroule son accordéon. Logiquement dans le cadre de l’Affaire dite Albatros, Inoni et Marafa, ne ferment pas la liste de ceux qui rejoindront le Centre d’internement administratif de Yaoundé – logé au sein de la prison de Kondengui. La justice soutien le régime gouvernant dans des contextes difficiles. À travers ce deal, la haute autorité judiciaire serait exempte de retraite, alors que les autres membres de la corporation bénéficient d’un régime de quasi impunité.
Tout ce spectacle suscite de l’attrait - d’où une abondante littérature sur le pays de Paul Biya (Fanny Pigeaud 2011, Thierry Amougou 2011, Thomas Deltombe 2011, etc.). Mais les différents écrits prêcheraient dans le vide. L’Etat de droit connaît un péril sous l’indifférence des gouvernants. Avec des arrestations à tout vent - symbole de l’égalité des citoyens devant la loi -, c’est plutôt l’instrumentalisation de la justice qui est en marche.
Certes, le peuple a déjà rendu son verdict : « tous coupables ». Et uniquement sur la base des passions. En appeler à la retenue susciterait la colère de nombre de personnes qui se délecteraient des malheurs des « puissants » tombés en disgrâce. À vrai dire, dans un pays où M. Amadou Ali, alors ministre de la justice, et son cher collègue en charge de la communication, Issa Tchiroma, ont décrété l’«abolition» de la présomption d’innocence à travers des sorties médiatiques, la justice s’inscrit dans un registre spécifique. En fait, le citoyen lambda, aidé en cela par des pseudo intellectuels courtisans, éprouve des difficultés à démêler les particularismes du vocabulaire judiciaire. Ainsi, prévenu, mis en examen, condamné, seraient pareils. La preuve, tout ce monde est logé à Kondengui. Au Cameroun, la justice sous sa forme parodique, est hostile à toute comparution libre. Apparemment les Camerounais n’auraient pas de domicile fixe. D’où certainement le placement du Chief Inoni Ephraïm à Kondengui.
Messieurs les magistrats, certes les citoyens seraient égaux devant les lois de la République. Toutefois, la même république à l’instar du Cameroun, a par ailleurs érigé des mécanismes de différenciation : il en est du privilège des juridictions. La Constitution du Cameroun a institué la Haute Cour pour juger les membres du gouvernement et assimilés pour les « actes de types infractionnels » commis dans le cadre de leur service. Lorsqu’on est responsable de haut rang : « Détourner des fonds alloués à l’achat de l’avion présidentiel et/ou vouloir attenter à la vie du président de la République en dotant sa flotte d’un avion défaillant – aux dires de certains », relèvent de la haute trahison. D’après la Constitution, on se serait attendu à ce que MM. Inoni, Marafa, Atangana Mebara, etc. soient présentés devant la Haute Cour. Mais que non.
Aujourd’hui, que l’on soit riche, puissant ou pauvre, la justice camerounaise fait peur. Au même titre que l’armée, la justice est devenue le bras oppresseur du peuple. Son action viserait à décimer les acquis de la république (liberté, droit de l’homme, etc.). La création du Tribunal Criminel spécial (TCS), qui a comme « innovation », la suppression du double degré de juridiction est une preuve.
On s’abstiendrait de commenter certaines affaires pendantes devant la justice – pour reprendre la rhétorique des gouvernants face à des questionnements embarrassants de l’opinion. Toutefois, on ne peut s’empêcher de relever l’esprit de chicane qui se développe dans les TGI du Mfoundi et du Wouri. Face à l’évidence le tribunal refuse de trancher.
Dans l’Affaire Atangana Mebara, Mendouga, Otélé c/ Etat du Cameroun : Comment comprendre qu’après 2 années d’instruction et une année de procès (avec mobilisation de nombreux experts au frais du contribuable), le tribunal soit encore par exemple à questionner sur le détournement de 1,5 milliard imputé à l’accusé Mebara à propos du paiement des impayés de Camair à la firme Anset (loueur d’avions) ? En fait, devant le même tribunal, et après maintes hésitations, l’ex-minefi, Michel Meva’a Meboutou, a reconnu que l’argent débloqué par l’Etat était parvenu à bon port. Le cabinet d’expertise Dooh Collins, sollicité par l’Etat, sans empressement a fini par admettre devant le tribunal que le 1,5 était parvenu dans les comptes de Anset. L’accusé lui-même, comme il l’avait fait devant le juge d’instruction, n’a sans cesse brandi le récépissé délivré par Anset, après l’encaissement du 1,5 milliard. Toutefois, l’accusation reste maintenue.
De toute évidence, la justice ne rassure personne, même pas le chef de l’Etat. On pourrait voir à la volonté du président Biya de rester au pouvoir ad vitam æternam, la peur de ne point affronter de son vivant le monstre judiciaire qu’il a construit.
Somme toute, comme le relevait le physicien Albert Einstein : « L’esprit qui est à l’origine d’un problème n’est pas celui qui le résoudra ». La lutte efficace contre la corruption, si elle devenait effective, se heurterait certainement à un problème de légitimité. Le régime du Renouveau, à notre avis, n’aurait aujourd’hui ni la légitimité, ni la crédibilité nécessaire pour conduire une telle opération.
Léon Koungou.
FUNDP/Namur - Belgigue.
Auteur de L'Afrique des timocrates. La politique des privilèges, Paris, Éd. du Cygne, 2011.