Des parents s’endettent pour envoyer leurs enfants à l’étranger. Beaucoup se font avoir et perdent même tous leurs biens.
Au matin du lundi 1er octobre 2012, les habitants du quartier Cité de Billes à Douala sont réveillés par des lamentations. C’est Pierre. Un quinquagénaire. Il est tout nu et pleure dans la cour de sa maison. L’étonnement se lit sur les visages des voisins qui ont accouru, eux qui sont habitués à voir ce maçon vêtu en jeans et tee-shirt. « Je suis mort ! Je suis mort ! », crie Pierre. Personne ne semble comprendre ce qui se passe.Certains pensent qu’il a perdu un proche. D’autres croient y voir un début de folie. Ils sont loin du compte. Le quinquagénaire vient de comprendre qu’il a été la proie d’un escroc qui lui a tout pris. En fait, Pierre a mis ses deux maisons en gage pour envoyer son fils en Allemagne.
«La personne à qui j’ai proposé mes deux maisons m’a donné 10 millions de francs Cfa », explique-t-il.Par la suite, il a remis 8 millions à un « monsieur » qui se proposait de « faire les papiers » de son fils, afin que celui-ci quitte le Cameroun. Depuis trois jours, Pierre tentait en vain de joindre le « monsieur » au téléphone. Il a été obligé d’appeler l’intermédiaire. «Aux environs de 5 h, le lundi 1er octobre, j’ai appelé mon contact qui m’a dit que ce « monsieur » avait déménagé de son studio», lance Pierre en pleurs. A toutes les tentatives, le téléphone répète que « le numéro que vous venez de composer n’est pas disponible pour l’instant, veuillez rappeler ultérieurement ». Pierre a cinq ans pour rembourser les 10 millions de F. Cfa. «C’est malheureux », se désole un voisin.
Le passeport à 163 000 F. Cfa
Comme Pierre, de nombreux parents sont «prêts à tout» pour envoyer leurs enfants en Europe. Richard Tcheffack a perdu ses trois maisons parce qu’il voulait envoyer sa fille poursuivre ses études en Italie.
«J’ai construit mes maisons du temps d’Ahidjo. Je vendais des vêtements achetés au Nigeria, au marché central de Douala », raconte-t-il. Richard explique que c’est en 2002, après que sa première fille a obtenu son baccalauréat C au lycée Joss à Douala, qu’il a eu l’idée de l’envoyer en Europe. «Elle a réussi son examen avec la mention Assez bien, ce qui m’a encouragé à faire ses papiers pour l’Europe », confie-t-il. Richard commence par faire le passeport de sa fille, grâce au frère d’un de ses amis qui, d’emblée, lui demande 163.000 F. Cfa. A l’époque, Richard Tcheffack refait le passeport deux fois. «La première fois, il m’a dit qu’on l’avait trompé. Il m’a demandé 120.000 F.Cfa la deuxième fois et j’ai donné sans discuter», se souvient-il. Après le passeport, Richard confie au même homme le soin de s’occuper de tous les papiers du voyage de sa fille. Celui-ci lui exige 4 millions de francs Cfa pour préparer les premiers documents. «J’ai vendu ma première maison au quartier Souboum pour m’acquitter de cette somme. Malheureusement, ce n’était pas suffisant», dit Richard. Encouragé par sa fille, il vend la deuxième. « J u s q u e -là, il y avait toujours des choses à acheter. Il me disait que c’était difficile parce que ma fille n’avait pas de famille d’accueil en Italie. Il fallait donc payer le bail d’un an pour un studio à Milan où elle était censée vivre.
J’ai vendu cette maison en matériaux provisoires à 3, 5 millions de francs Cfa », regette-t-il. Un an plus tard, rien n’aboutit. Les papiers « ont raté », lui apprend le « prestataire ». «Ma fille n’a pas pu obtenir le visa malgré toutes ces dépenses. Elle avait pourtant achevé ses cours accélérés de langue italienne », confie Richard. Pour autant, le père de famille ne se décourage pas. Cinq ans plus tard, en 2007, il retente le coup. Cette fois, il faut 7 millions de francs Cfa. Richard vend précipitamment sa troisième maison. «Je l’ai vendue à cinq millions et ma femme est allée dans ses réunions pour compléter la somme requise. Il nous fallait obtenir le visa et payer la caution », révèle-t-il. Par mesure de prudence, Richard change d’intermédiaire. « Certaines personnes m’ont dit que le premier m’avait volé. J’ai voulu changer pour voir », justifie-t-il. Huit mois après la transaction, toujours pas de « visa ».
L’homme à qui Richard a confié la charge de préparer le départ de sa fille le nourrit d’espoir pendant des mois, lui certifie à chaque fois que le visa sera disponible dans quelques semaines. « J’ai des entrées à la présidence de la République », rassurait-il. Mais, cette fois-ci encore, Richard Tcheffack s’est fait avoir. C’est ainsi qu’il décide de porter plainte pour escroquerie et abus de confiance contre le monsieur dont il ignorait la véritable identité. « Je ne connaissais pas son vrai nom, ni son lieu de résidence. Je savais seulement qu’il vivait à Yaoundé. On n’a pas pu le localiser. J’ai ainsi tout perdu. Ma fille poursuit ses études à l’université de Douala aujourd’hui. Si j’avais su, j’aurais négocié un concours ici au Cameroun », regrette Richard Tcheffack.
Trois jours au commissariat
Des regrets que partage Mélanie Nana. Elle est passée par le même calvaire. Âgée de 49 ans, elle a été gardée à vue dans un commissariat à Douala en 2008. «J’avais fait un emprunt de quatre millions de francs Cfa pour un an dans ma réunion. On m’avait indiqué un réseau par lequel je pouvais envoyer mon fils en Italie», se souvient Mélanie. Une fois la somme à sa disposition, elle la confie aux promoteurs du réseau. Douze mois plus tard, rien n’aboutit. Ses dépenses sont déjà de l’ordre de 6 millions de francs Cfa. Il faut régler la dette contractée auprès de sa réunion. « Malheureusement, à la date convenue, mon mari n’a pas eu l’argent pour rembourser. Ma réunion m’a conduite au commissariat où j’ai passé trois jours», confie Mélanie. Son mari a dû s’endetter pour rembourser afin qu’elle en sorte. A la différence de cette habitante du quartier Pk 8 à Douala, Hilaire Djambou a été obligé de mettre sa maison et sa plantation de cacao d’ Ediki en garantie, pour ne pas faire la prison.
Le septuagénaire a contracté des dettes dans sa réunion pour envoyer ses deux enfants aux Etats-Unis d’Amérique en 2006. Rien n’a marché. Gelbertinne Nguelieumeni, la trentaine, a été trompée deux fois. «La première fois, je voulais quitter le Cameroun pour la France. J’ai rencontré un pasteur qui m’a promis qu’il allait me faire partir en France dans la vague des supporters des Lions Indomptables lors de la Coupe des Confédérations de football qui se jouait à Lyon en juin 2003», explique-t-elle. L’homme de Dieu lui demande alors 300.000 F. Cfa comme avance. Gelbertinne donne l’argent sans difficulté. Elle verse la même somme trois fois de suite. « Entre-temps, chaque fois qu’il se déplaçait pour Yaoundé, soit disant pour s’occuper de mon dossier, je lui donnais 15.000 F.Cfa », s’énerve Gelbertinne. Cependant, elle ne parvient même pas à entrer à l’ambassade de France àYaoundé pour la demande de visa. Elle ne fera pas partie du voyage.
Des pasteurs impliqués
La jeune femme tente de nouveau le coup en 2010, avec un autre pasteur. Rien n’aboutit. Elle porte alors plainte au commissariat central N° 1 de Bonanjo à Douala. En fait, la jeune femme veut émigrer vers les Etats-Unis. Elle s’approche de l’homme d’Eglise qui garantit pouvoir l’aider à faire ses papiers. «Il m’a d’abord demandé de faire le diplôme de son Eglise à 15 000 F.Cfa. Je l’ai fait», explique- t-elle. Juste après, la jeune femme a versé respectivementles sommes de 300 000 F.Cfa et 500 000 F.Cfa. «Je n’ai jamais eu de suite. Il a disparu. Heureusement que je connaissais où le trouver. J’ai donc traîné ce pasteur de l’Eglise vinale internationale au tribunal, pour escroquerie et abus de confiance.
Il a pris peur et a demandé un arrangement à l’amiable. Je lui réclamais la somme de 1.600.000 F. Cfa. J’ai été remboursée», se réjouit-elle. Aujourd’hui, Gelbertinne ne souhaite plus partir à tout prix. Elle gère un cyber café au quartier Village à Douala. Contrairement à elle, de nombreuses personnes continuent de caresser le rêve d’arriver un jour en Europe. Florence Takam ne jure que pour l’Occident. «J’ai fait les papiers deux fois sans succès. Je retenterai ma chance l’année prochaine », jure-t-elle. En attendant, elle travaille comme femme de ménage. Justin, lui, vend des fruits dans un porte-tout à Douala. Le jeune homme dit avoir déjà économisé 3.000.000 F.Cfa. Il veut faire ses papiers, mais craint de tomber sur un mauvais réseau comme son ami. «Il a perdu 5 millions de francs Cfa l’année dernière. Je ne sais pas à qui m’adresser », se désole-t-il.
Un passeur propose de vous faire voyager pour la France. Si l’individu est d’accord, il doit tout juste payer 2,5 millions de francs Cfa. Les montants varient selon les réseaux et selon les destinations. Il y en a de moins chers, qui n’exigent que 1,5 million de francs Cfa. Ensuite, le passeur fait faire une nouvelle carte d’identité au candidat à l’émigration, avec une nouvelle profession, ciblée en fonction du tuyau. Pour une carte expresse, il faut débourser entre 80 et 100.000 F. Cfa.
Le candidat doit également se faire un passeport express, avec la nouvelle profession mentionnée sur la carte nationale d’identité. Le passeur prépare alors son client aux interviews à l’ambassade sollicitée. Il lui fait croire qu’il a des relations au service des visas, alors qu’il n’en est rien. Lorsque le visa est refusé, le processus reprend. A ce moment, le client ne paie que pour faire refaire sa carte nationale d’identité et son passeport. Il peut arriver que la démarche aboutisse. Dans ce cas, lorsque le visa est accordé, le passeur qui attend devant le consulat récupère le passeport, et ne le restitue à son propriétaire qu’après versement de la totalité de la somme convenue. Si le client ne s’exécute pas, il arrive que le passeur utilise ses relations à l’aéroport pour retenir le client et lui faire pression dans le but d’obtenir paiement des sommes exigées. Devant les locaux du commissariat de l’émi-immigration à Douala, il y a des démarcheurs qui proposent leurs services pour faciliter l’obtention des passeports. L’ancien délégué régional à la Sûreté nationale, Joachim Mbida Nkili, avait même donné ordre d’interpeller toute personne suspecte rodant sans droit devant la délégation.